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L’IRAN

Fariba ADELKHAH

Collection Idées reçues, Le Cavalier Bleu

Ce compte rendu est né d’une rencontre radiophonique avec Fariba Adelkhah. Invitée par Ali Baddou aux « Matins de France Culture » à l’occasion des trente ans de la Révolution islamique, elle répondait avec clarté, nuance et humour, aux questions que nous nous posons légitimement sur ce pays. Cette enseignante, anthropologue d’origine iranienne, enseignante à Sciences Po et directrice de recherches au CERI travaille à partir d’enquêtes de terrain. Elle cherche, dans ses nombreux travaux, comme lors cet entretien, à s’attaquer aux thèses à la simplicité trompeuse, aux points de vue partisans, bref aux idées reçues. Et s’il est bien un pays qui méritait sa place dans la collection éponyme aux éditions Le Cavalier bleu, bien connue des Clionautes, c’est bien l’Iran. « Aux vieilles civilisations, vieilles idées reçues » écrit-elle d’emblée.

Critique décapante

Dans son opuscule de 127 pages, elle fait la critique décapante des jugements à l’emporte pièce dont souffre ce grand pays dans l’opinion et les médias. De l’ «Iran des mollahs » à l’ « l’obscurantisme de la République islamique » en passant par la bombe atomique, la condition féminine, la sexualité ou l’absence de liberté, elle brosse en 13 thèmes regroupés en 3 parties [« Dieu dans la cité », « Amour et sacrifice », « Libertés »] un portrait tout en nuance d’un Etat de 70 millions d’habitants souvent méconnu.
« L’Iran est la république des mollahs », entend-on souvent. On ne peut certes pas nier l’importance de la religion dans ce pays. C’est une République islamique de par sa Constitution mais le rôle du clergé chiite dans la révolution ne doit pas être surestimé en comparaison de celui des milieux universitaires et étudiants par exemple. La proportion de clercs au parlement ne cesse de décroître depuis les années 80. L’Iran a dont d’abord un régime politique inédit qui « repose au moins en théorie sur la légitimité de la représentation par le biais d’élections au suffrage universel […] C’est un référendum et non une décision de l’imam Khomeiny ou une délibération du clergé qui a approuvé la Constitution de la République islamique » (p.22). Et même si les religieux semblent tenir un rôle essentiel, Fadel Adelkhah montre que la dissociation de l’Etat par rapport au religieux est une réalité. « La promotion du Guide au rang de mardja’ avait pour enjeu l’équilibre des pouvoirs au sein de la République : […] A l’un [le Guide] l’incarnation de ce principe de légitimité religieuse ; à l’autre [le président de la République) la charge de la reconstruction et de la conduite des affaires publiques » (p. 25).

« La République islamique est archaïque et obscurantiste » : Non dit l’auteur. Les vingt-cinq dernières années ont vu la poursuite de la transformation rapide de la société iranienne : l’urbanisation s’est accélérée, l’alphabétisation a progressé de façon considérable, y compris chez les femmes puisque 85% d’entres elles savent lire et écrire. Les techniques modernes de communication (internet notamment), les marqueurs de la mondialisation (fast food, centres commerciaux, cosmétiques) y sont répandus.

Archaïsme et obscurantisme

Sur la question de la bombe atomique d’une actualité explosive, elle n’apporte pas de réponse tranchée. Elle se contente de relativiser les accusations américaines et insiste sur le fait que la bombe atomique « ne sera pas pour autant « islamique » mais iranienne» (p. 44). La crainte qu’un Etat musulman se dote de l’arme nucléaire fait oublier que cette ambition s’inscrit dans une continuité diplomatique qui entend assurer au pays le statut de puissance régionale et garantir sa sécurité et son indépendance nationales (la guerre contre l’Irak n’est pas étrangère à cette volonté).
Elle démonte ainsi de suite les clichés et nous donne un éclairage distancié sur ce que l’on croit savoir. Non, la sexualité n’est pas taboue. Elle est même au cœur du débat public et s’affiche de façon croissante dans l’espace public. Sur les femmes, son sujet de recherche actuelle, elle montre que « le paradoxe veut que ce soit sous la République islamique que l’universalisation des droits se soit poursuivie » (p.74). Elle ne cherche pas à minimiser les contraintes ou les inégalités qui pèsent encore sur elles. Elle dresse un bilan mitigé. Le statut de la femme a progressé : certaines ont de hautes responsabilités politiques et administratives, elles peuvent prendre l’initiative d’un divorce (dans certaines conditions), le recours à l’IVG est toléré. Elles restent, en revanche, sous la tutelle légale des hommes.

Voici un maigre aperçu de ces préjugés que l’auteur remet en cause en les replaçant dans leur contexte. Elle ne cherche pas à tout démonter ou à relativiser à tout prix ces « idées reçues » qui ont, pour certaines, une part de vérité. Mais elle veut redonner à l’Iran sa juste valeur et éviter « le piège de la systémisation » (p.117). « S’il n’était qu’une idée reçue à sacrifier, ce serait bien celle d’une République islamique archaïque hors de l’histoire ou encline au passéisme, et déconnectée du changement de la société qu’elle gouverne » (p. 118).

Ce petit livre dense, argumenté donne envie de se plonger dans la société iranienne pour en comprendre toute la complexité.

@Clionautes

A propos de l'auteur

Marie-Anne Vandroy-Schaumasse

Professeure agrégée d'histoire. DEA d'histoire moderne. Affectée à l'Ecole Alsacienne à Paris. Chargée de cours dans diverses universités (successivement Paris X Nanterre, USJ de Beyrouth, Assas). Intérêt particulier pour la géopolitique et plus spécifiquement le monde arabe et l'histoire des arts.

L’Iran

Questions internationales, N° 25, mai - juin 2007

Editions la documentation française. Compte rendu réalisé par Bruno Modica

Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille dans le cadre de la prépa-ENA
L’Iran : Questions internationales, N° 25, mai – juin 2007.

L'Iran
L'Iran

Avec ce numéro consacré à l’Iran, la revue Questions internationales publiée par la documentation française confirme l’excellente impression qu’elle avait donnée lors de ses précédentes parutions. Le titre qui semblait limiter son audience à des specialistes, familiers des grandes revues spécialisées comme foreign affairs, ou Politique internationale, destinées à un public très averti, a fait au contraire un autre choix éditorial. Tout en proposant des articles de très bon niveau, rédigé par des spécialistes reconnus, l’équipe éditoriale de Questions internationales a fait le choix de s’ouvrir à un lectorat d’enseignants et d’étudiants.
Certains numéros précédemment parus, comme celui sur le pétrole ou mondialisation et inégalités ont été largement utilisés dans l’enseignement secondaire par les professeurs mais aussi par leurs élèves. Certains centres de documentation se sont très rapidement abonnés à cette revue qui se caractérise également par un support cartographique d’excellente tenue. Autre caractéristique, et ce n’est pas dénué d’intérêt. Le prix au numéro (9,80 €) est particulièrement attractif.

Chaque numéro de la revue comporte un thème dominant, ici l’Iran, une partie consacrée aux questions européennes et à des regards sur le monde et à la fin des documents de référence. Originalité également, la revue comporte une rubrique internet, consacrée aux questions internationales avec une présentation de chaque site. Nul doute que les Clionautes et co-listiers d’H-Français, entre autres, sauront y trouver leur bonheur.

Ce N° 25 inaugure également une nouvelle rubrique, cette fois-ci consacrée au cinéma. C’est Serge Sur, professeur à Assas et rédacteur en chef de la revue qui ouvre le bal avec un article très dense, associant connaissance de la filmographie et des questions liées à la politique européenne, consacré au film de Cédric Klapish, les poupées russes ou un rêve d’Europe.

Point n’est besoin d’être spécialiste des questions internationales ou la géopolitique en effet, pour dévorer cette revue et spécifiquement ce numéro particulièrement riche. L’article de Yann Richard, professeur à Paris III situe l’Iran dans son contexte historique avec une évocation précise, et enrichie de cartes de l’histoire de l’Iran contemporain. Rare pays à échapper à la colonisation, l’Empire perse, qui était la puissance dominante de l’Asie Occidentale du VIè au IVè siècle avant de s’effondrer sous les coups d’Alexandre a su préserver son unité territoriale malgré les appétits de ses puissants voisins.

Un pays enjeu

Dès la fin du XIXe siècle en effet, les religieux chiites pèsent fortment dans le débat politique et s’opposent aux modernistes qui souhaitaient remettre en cause une monarchie absolue fortement inspirée par le modèle autocrate russe. Avec le XXe siècle, l’Iran devient un enjeu de la rivalité entre les grandes puissances. On apprendra notamment que les Russes, en 1911 exercent une pression directe sur le pays à propos de la présence d’un contrôleur financier américain. L’Empire ottoman exerçait déjà une influence de fait sur le Kurdistan iranien tandis que les Britanniques s’implantaient dans le Sud, champs pétrolifères obligent. Même les allemands s’implantent solidement en Perse centrale en 1915.
Cette histoire de l’Iran dans l’après première guerre mondiale est particulièrement intéressante. Incursions militaires, irruption de Reza Khan à la tête de son régiment cosaque, coup d’état et destitution de la dynastie Qadjare, fourniraient la trame d’un beau roman historique voire d’un film à grand spectacle. Il n’empêche que Reza Pahlavi Khan fonde une nouvelle dynastie de Shah, celle qui sera renversée avec son fils, en 1979 par les Ayatollahs chiites. Ce dernier cherche à imposer aux religieux des réformes modernistes très inspirées de la révolution kémaliste en Turquie. Il tenta, sans succès de lutter contre les prétentions de l’Anglo-Iranian Oil Company qui tirait des gisements iraniens plus de revenus que l’Iran lui-même. Ces appétits anglo-saxons ont amené Réza Pahlavi à se rapprocher de l’Allemagne nazie ce qui entraîne l’occupation anglo-russe de tout le pays en 1941.
Son fils, jeune prince jugé plus malléable, lui succède dès 1941.
L’article passe un peu vite par contre sur l’épisode de 1946, à propos du retrait des troupes soviétiques du Nord de l’Iran. Staline aurait bien voulu faire de la Caspienne un lac russe, tandis que les britanniques, soutenus par les Etats-Unis considéraient déjà le pays comme un élément essentiel de la stratégie de ce que l’on appellera par la suite le containment soviétique. L’article consacre, ce qui est normal, un large développement à la tentative de Mossadegh, premier ministre, de reprendre le contrôle des pétroles d’Iran aux britanniques et au coup d’état largement soutenu par Washington qui permet le retour du Shah au pouvoir.

La Révolution blanche

Ce dernier qui n’a plus rien à voir avec le jeune prince noceur de 1941, applique une politique de force contre les opposants, y compris les religieux, ce qui lui aliène de fait une partie considérable du pays. Les fastes de Persépolis pour le 2500e anniversaire de l’Empire perse, la folie dépensière liée au triplement des revenus du pays du fait du premier choc pétrolier attisent un mécontentement social que les religieux utilisent largement, inspirés par Khomeyni, l’Ayatollah Osma, ( Grand ayatollah réfugié un temps en Irak puis en France.)
La maladie du Shah, l’attitude très critique de Jimmy Carter précipitèrent la chute du régime et l’arrivée au pouvoir le 1er février 1979, de Khomeyni. La révolution islamique commence.

L’article de Azadeh Khan-Thiébaut, maître de conférence à Paris VIII explore les ressorts de la modernisation de ce pays, à différentes époques. L’Iran se différencie de ses voisins par l’irruption de mouvements populaires, 1906, 1952, 1979, contrairement à ses voisins où les changements sont liés à des coups d’état auxquels assistent en spectateurs les populations. Irak, Syrie.
La place spécifique de l’Iran, non arabe et chiite dans un environnement sunnite est également anlysée tout comme les spécificités de ce régime théocratique qui s’appuie sur un état fort.
Mohammed Reza Djalilli, professeur à l’IUHEI de Genève remet dans le contexte régional et mondial la place de l’Iran. Dans ce cas précis la place de l’Iran dans le Sud-Caucase fait l’objet d’un traitement riche d’enseignement pour percevoir les évolutions à venir de cette zone sensible. Le nucléaire iranien est l’objet d’un traitement particulier par Georges Le Guelte, de l’IRIS, tandis que Bernard Hourcade (CNRS) présente le fonctionnement de ce pouvoir iranien, qui n’est pas loin s’en faut totalement dominé par le remuant président Ahmadinedjad dont les dérapages verbaux défraient la chronique. L’économie est également abordée, et l’Iran qui bénéficie forcément de la hausse des cours du brut n’est pas forcément dans une très bonne situation, du fait de son absence d’ouverture économique et de la méfiance, compréhensible, des investisseurs internationaux. (Thierry Coville, CCI Paris). Ce dossier s’achève sur l’article de Faribah Adelkhah, (CERI-IEP Paris) consacré aux transformations de la société iranienne, la place des femmes et de la religion étant essentielles pour en cerner les évolutions.)

Le numéro 25 de la revue contient également, dans la partie consacrée aux questions européennes, des éléments sur la position française face à l’élargissement de l’Europe, qui ne devrait pas connaître, malgré des propos de campagne, de larges inflexions, et sur la politique environnementale à relier aux déclarations du dernier G8.
Enfin, pour ceux qui voudraient avoir une vision précise de leur avenir, les « réflexions sur le système éducatif aux Etats-Unis », de Véronique Gaultier, ( Université de Columbia) devraient les rassurer où les inquiéter, en cas de transposition dans l’hexagone de modèles d’outre atlantique.

A propos de l'auteur

Bruno Modica

Agrégé d'histoire, Chargé du cours d'histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA) Chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l'ENA. (2001-2006) Enseignant à l'école supérieure de journalisme de Lille entre 1984 et 1993. Rédacteur/correcteur au CNED de Lille depuis 2003. Correcteur de la prépa. Sciences-po Paris. Master 1. Rédacteur CAPES ( CNED Vanves) Rédacteur du cours prépas IEP Professeur d'histoire-géographie au lycée Henri IV …

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