Le présent ouvrage de Jean-Philippe Rey s’intéresse à la période au cours de laquelle Napoléon Bonaparte s’est affirmé parmi les principaux protagonistes de la Révolution pour, in fine, s’emparer du pouvoir. Le point de départ est l’apparition sur la scène d’un jeune officier d’artillerie à l’occasion de la prise de Toulon aux Anglais en 1793 ; le point d’arrivée la victoire de Marengo, le 14 juin 1800, qui consolide la position de celui qui a été nommé Premier Consul l’année précédente. Il sera Consul à vie en 1802, empereur des Français en 1804.

La particularité de cet ouvrage réside sur le caractère collectif de cette aventure singulière dont on aurait trop tendance à croire qu’il s’agisse de l’histoire d’un seul. Une foule d’acteurs s’y côtoie, se reçoit. Tous ces groupes incarnent eux-mêmes des courants d’influences directement intéressés à la mise en place du nouveau régime. Au fil des pages, on découvre ou plutôt l’on redécouvre les figures de ceux qui ont accompagné Bonaparte depuis sa quête du pouvoir. Des tout premiers compagnons d’armes (Junot, Marmont) à ceux qui se sont illustrés lors des campagnes d’Italie ou d’Égypte (Murat, Davout, Lannes), les soldats sont bien sûr parmi les principaux personnages.

Mais pas seulement puisque entrent aussi rapidement en scène les politiques (Cambacérès, Talleyrand, Roederer), les scientifiques (ceux de la campagne d’Égypte et de l’Institut comme Berthollet ou Monge), les commerçants et les financiers (Périer, Perrégaux), sans oublier le clan Bonaparte ou encore les femmes, au premier rang desquelles la future impératrice Joséphine, sans oublier Madame Mère. Plus d’autres, provenant des milieux les plus divers. On peut penser que sans eux, Napoléon, n’aurait pas pu parvenir à une telle réussite et que, sans lui, aucun de ces personnages n’aurait eu un destin si exceptionnel. C’est la synergie unissant tant de brillantes personnalités – parmi lesquelles celle du futur Empereur est bien entendu la plus sidérante – qui forme la matière de ce livre.

Ainsi, de Toulon à Marengo les concours divers et variés s’agrégèrent à Bonaparte et furent déterminants dans la conquête du pouvoir comme des savants, des techniciens, des banquiers, des artistes ou encore des politiciens. Car il ne s’agissait pas simplement de prendre le pouvoir, mais de le prendre pour longtemps. Il ne s’agissait pas non plus de l’exercer par la seule jouissance de le détenir mais pour infléchir radicalement le cours des choses. Le but : clore le cycle révolutionnaire et bâtir une France nouvelle. Bonaparte ne fut donc jamais un homme seul. Pour autant, il serait faux de penser que l’arrivée au pouvoir de ce général fut planifiée. L’auteur démontre bien que ni ses soutiens, ni lui-même ne l’avait prévu. Pragmatique, cet ambitieux découvrit l’étendue des possibles au fur et à mesure qu’il les explorait.

C’est à Toulon que tout débuta et qu’il s’y affirma comme un soldat courageux et habile, mais aussi comme un meneur d’hommes, un chef. C’est ensuite en Italie sans doute qu’il prit alors conscience de sa capacité à gouverner, de la réalité de ses aptitudes politiques et diplomatiques. C’est là que ses premiers réseaux se construisirent autour de lui parce qu’il apparaissait enfin en mesure de donner, en retour, des services rendus. En Italie, Bonaparte était devenu une puissance, en Égypte, alors que l’épopée menaça de tourner au fiasco, il devint un recours. Pour autant, ont peut se poser la question de savoir si Bonaparte était bien plus qu’un simple aventurier ? Il donna toujours en effet l’impression de joueur régulièrement la mise qu’il venait de gagner. Ce fut le cas en Italie, en Egypte, lors du coup d’Etat de Brumaire et jusqu’à Marengo. C’est ce qui explique peut-être la pusillanimité et la prudence des soutiens qu’il reçut entre 1793 et 1800.

Si l’époque était propice à l’émergence de soldats, Bonaparte n’était pas le seul candidat au pouvoir. Après avoir rejoué et remporté sa mise lors de Brumaire, les groupes d’intérêts qui l’avaient soutenu allaient tirer profit de son arrivée au pouvoir.

Mais après avoir recensé les vainqueurs, on croisera dans cet ouvrage les nombreuses figures, surtout militaires, des perdants, des floués voire des dupés. Certains pensaient pourvoir écarter Bonaparte, d’autres s’en servir pour mieux le diriger, d’autres, enfin espéraient sa chute mais sans rien entreprendre pour autant.

A travers ces multiples figures, Jean-Philippe REY nous décrit un monde haut en couleurs mais où la prise de risque était quotidienne et totale. Un pari permanent où l’on mettait sa vie en jeu sur les champs de batailles, où les intrigues et les réseaux pouvaient faire et surtout défaire une ascension, une carrière, une réputation.

Jean-Philippe REY est docteur en Histoire et professeur agrégé d’Histoire en classes préparatoires aux Chartreux à Lyon. On lui doit également Histoire du Consulat et du Premier empire en 2016 et 1814, derniers combats pour l’Empire publié en 2014.

Bertrand Lamon

Pour les CLionautes