Encore un livre sur les neurosciences vous direz-vous peut-être ! Certes, c’est bien là l’objet de cet ouvrage qui permet tout de même de faire le point sur l’apport des neurosciences en éducation, le tout en à peine 160 pages.
Huit idées à examiner
Les auteurs, dont trois doctorants en psychologie cognitive, entendent faire le point et se méfier d’une neuromania ambiante. En effet, comme ils le précisent, « l’’usage du préfixe neuro semble ainsi faire revêtir soudain les habits de la science à des disciplines qui jusque là étaient plutôt réputées pour leur forte teneur idéologique et leurs faibles fondements empiriques ». Le plan de l’ouvrage consiste à énoncer une opinion répandue en lien avec les neurosciences qui est ensuite examinée à la lumière de ce qu’en dit la recherche. Puis, les auteurs proposent quelques exemples d’études récentes et une conclusion. Huit idées sont ainsi abordées et une bibliographie par chapitres est proposée.
« Dans l’IRM tout s’éclaire »
Le propos des auteurs est de montrer qu’il s’agit d’un outil. Ils pointent très clairement trois tendances dont il faut se méfier : le neuroréalisme, le neuroessentialisme et la neuropolitique. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on voit quelque chose s’activer dans le cerveau que l’on tient une preuve et une causalité. De même on ne peut réduire l’être humain à son cerveau et il faut enfin examiner avec prudence toute décision politique qui dit s’appuyer sur les neurosciences. Les auteurs citent ensuite des expériences récentes qui invitent toutes à répliquer les résultats et à suivre le protocole scientifique classique avant de communiquer sur des résultats ou ce qu’on appelle des avancées.
Age, style et formes d’intelligence
Tout se joue avant l’âge de …. ans. Le chiffre est laissé à l’appréciation du lecteur. Derrière cela se cache en fait une vision déterministe des choses. La notion de plasticité cérébrale doit conduire à remettre en cause tout fatalisme et donc aussi tout chiffre avancé pour remplir le vide ci-dessus. Ensuite, le livre se pose la question des styles d’apprentissage. Les auteurs pointent justement ce qui a pu faire le succès d’une telle idée : elle fonctionne auprès des parents, elle peut donner lieu à une segmentation du marché éducatif en développant des méthodes propres à tel ou tel et elle s’appuie sur notre besoin de catégorisation. C’est donc un mélange hétéroclite qui s’appuie parfois sur de belles idées humanistes et déculpabilisantes, par exemple quand elle cherche à expliquer l’échec par une mauvaise modalité pédagogique. Poursuivant leur tour d’horizon, les auteurs rappellent qu’aucune recherche sérieuse ne valide des idées comme « cerveau droit et cerveau gauche » mais que ça ne l’empêche pas pourtant de prospérer ! Le chapitre suivant poursuit dans la même veine avec l’idée des huit formes et demie d’intelligence développée par Howard Gardner. Si on va contre cette idée, on risque alors d’être classé parmi les tenants d’une seule forme d’intelligence, idée totalement remise en cause aujourd’hui. Il faut donc mieux utiliser cette idée d’intelligences multiples pour mettre en place des pratiques pédagogiques différentes.
« Quand je dors, j’apprends »
Les auteurs montrent d’abord que l’on connait mieux aujourd’hui le sommeil et notamment ses différentes phases. Ils balaient l’idée d’un apprentissage en dormant mais soulignent que, en revanche, le sommeil sert à consolider les apprentissages. Parmi les recherches récentes, on signalera celle qui porte sur les temps de sieste à la maternelle et sur leur effet positif pour la mémorisation. Finalement, plus on grandit, plus on peut attendre pour faire une seule » sauvegarde » durant la nuit ! Le livre aborde aussi dans le chapitre final la question des écrans et de leurs effets sur notre cerveau. Est-ce que cela doit mener à d’autres formes d’apprentissage et est-ce que cela modifie notre cerveau ? Les auteurs parlent du « Google effect », c’est-à-dire que les participants à un test mémorisent mieux lorsqu’ils pensent qu’ils ne pourront plus accéder à l’information. Il faut avoir en tête cette idée pour comprendre ce que peut signifier apprendre aujourd’hui pour un élève. Il faut aussi en rabattre sur nos capacités car toutes les expériences montrent que, même si nous le croyons, nous ne sommes pas multitaches ! Les écrans ne peuvent pas tout dans l’apprentissage car c’est aussi un mécanisme social et il ne sert non plus à rien à l’inverse de vouer aux gémonies les jeux vidéo.
« Se tromper, c’est échouer »
S’il n’y avait qu’un mythe à démonter ce serait sans doute celui-là tant il a de conséquences. Les auteurs tracent d’abord une généalogie de cette idée et montrent ensuite à l’inverse que d’autres penseurs et d’autres praticiens ont eu aussi des formules percutantes pour aller contre. Bref, il faut remplacer « l’erreur est humaine, la persévérance dans l’erreur est diabolique » par « ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». L’apprentissage repose sur des écarts aux attentes comme le montrent de nombreuses expériences relatées dans ce chapitre. La partie exemples souligne ainsi fortement l’idée que favoriser l’apprentissage peut se faire en suscitant la surprise. Il faut citer cette expérience où un enfant se voit présenté un nouveau jouet avec, dans un cas, une explicitation de ses fonctions et dans l’autre non. Lorsque la personne laisse ouverte la possibilité que d’autres propriétés non présentées existent, l’enfant explore davantage. On pourra lier ce chapitre au suivant qui s’intitule « Si je veux je peux ». C’est une approche de l’idée de motivation avec une explicitation de la motivation intrinsèque et extrinsèque. On aboutit à l’idée d’engagement actif qui peut se traduire concrètement par le fait que les élèves doivent poser des questions sur le cours. C’est un procédé qui peut être facilement applicable dans le quotidien de la classe.
Les auteurs reprennent à la fin les huit idées avec, cette fois, la bonne idée à retenir en regard. Ainsi, on oublie l’idée que « se tromper c’est échouer » et on la remplace par « en se trompant, on se donne des atouts pour apprendre ». Ce tour d’horizon est très stimulant et la formule choisie qui alterne mythe, explication de son succès et présentation de recherches récentes est très efficace et agréable à lire. Que l’on soit familier ou non avec le sujet des neurosciences, c’est un ouvrage à lire qui se conclut par un plaidoyer pour un lien renforcé entre recherche et terrain en disant que » le potentiel est là » mais sans céder à l’idée de baguette magique des neurosciences.
Pour en découvrir un extrait
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes