La formation des enseignants souffre d’un paradoxe. Elle ne fait pas forcément la une ou les gros titres alors qu’en même temps de nombreux reportages ou analyses montrent que le métier se transforme. A ce titre, être enseignant implique d’être formé pour pouvoir s’adapter aux évolutions. Luc Ria, professeur des universités en sciences de l’éducation et porteur de la chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle », pose donc dans ce livre la question de la formation des professeurs. Parallèlement, Luc Ria est aussi administrateur de l’Institut Français de l’Education de l’ENS de Lyon et directeur scientifique de la plateforme de formation en ligne Néopass@ction. Cette plateforme en ligne offre des ressources réalisées à partir de travaux de recherche fondés sur l’observation du travail des enseignants.

Quelques principes et convictions pour commencer

La plupart des enseignants effectuent encore leur travail de manière solitaire et pourtant on sait que, pour améliorer la qualité de l’enseignement dispensé, il faut toujours plus de formation et d’accompagnement des enseignants. Il est donc indispensable de briser la logique de travail solitaire. Pour l’auteur, l’accompagnement assume une triple exigence : avoir une exigence scientifique, sociale et éthique. Le livre est construit en quatre parties et chacune est déclinée en chapitres. A la fin de chacun on trouve un encadré «  En bref » qui résume les apports. Les quatre parties s’intitulent « Observer, analyser l’activité enseignante » puis « Développement professionnel des enseignants », « Développement professionnel des collectifs enseignants » avant que d’envisager « Comment accompagner le développement professionnel individuel et collectif des enseignants ». Il s’agit donc d’un ouvrage plutôt tourné vers les formateurs. Parmi les convictions affirmées par Luc Ria, il y a celle qu’être enseignant n’est pas la même chose qu’être un accompagnateur d’enseignant. Le métier est de plus en plus complexe et il est indispensable de continuer à se former. « Partir des préoccupations des formés est une condition sine qua non ». Il faut certes leur fournir des solutions mais aussi parfois les déstabiliser pour favoriser des prises de conscience. 

Observer, analyser l’activité enseignante

Luc Ria insiste par exemple sur l’importance des micro-rituels et il souligne que le « travail du chercheur permet de déplier ce qui reste habituellement plié ». En d’autres termes, il faut décortiquer ce que fait l’enseignant, ce qui permet d’éviter de recourir à des formules innéistes. A ce titre, l’usage de la vidéo se développe et peut s’avérer un outil précieux. Il faut bien mesurer que son usage est difficile pour celui qui s’observe et que le potentiel de formation n’est pas toujours perçu par les formés. Luc Ria présente ensuite un outil appelé «  le double simplexe » qui est une réduction synthétique de l’activité de l’enseignant. Le chercheur présente donc un simplexe enseignement et un simplexe apprentissage. Il comprend pour chaque axe quatre entrées. Ainsi, pour le simplexe « enseignement », il y a enseigner/contrôler, savoirs/valeurs, collectif/individuel, efficacité/efficience. Le troisième chapitre propose donc des études de cas pour analyser l’activité de deux enseignants expérimentés face à une même classe à une heure d’intervalle. Celles-ci comprennent des retours avec les deux professeurs concernés. Là encore, Luc Ria précise combien il est nécessaire de prévoir un temps d’appropriation de sa propre image par l’enseignant concerné. Les chapitres suivants se focalisent sur des aspects particuliers, comme la façon dont se comportent trois jeunes professeurs face à une classe difficile. Cela peut permettre de mettre en évidence quelques bons principes, voire de corriger certaines idées reçues. Ainsi, l’ordre en classe est souvent la conséquence du travail des élèves et non l’antécédent. Car l’ordre en classe sans savoirs en jeu ne constitue qu’un équilibre précaire. Luc Ria propose ensuite une synthèse de cette première partie.

Développement professionnel des enseignants

Il s’agit ici de montrer comment évoluent les pratiques individuelles des enseignants au fur et à mesure des années. Cette partie comprend également des extraits d’entretiens. Luc Ria revient avec eux notamment sur les rituels de début de cours et évoque avec eux les changements. Le retour sur des vidéos précédemment réalisées aide l’enseignant à analyser ses évolutions. On voit ainsi que certaines procédures de début de cours sont abandonnées après quelques années avant d’être réinvesties plus tard. Luc Ria retire de toutes ces observations le fait que les enseignants novices ne peuvent d’emblée endosser les prescriptions de l’institution. En analysant de multiples cas, l’auteur propose une frise développementale de l’activité des enseignants qui forme une très utile synthèse. On note ainsi une tendance à attendre avant d’enseigner, à contrôler pour enseigner, à enseigner pour contrôler …puis faire apprendre et enfin à organiser le travail et s’effacer en faisant confiance aux élèves. Luc Ria s’arrête ensuite sur un cas d’enseignante débutante, particulièrement experte dès le début. Ce qui est intéressant, c’est que l’auteur s’appuie sur cette vidéo qui au départ impressionne beaucoup les étudiants pour déconstruire le charisme supposé comme seule explication. Ensuite, grâce à une analyse plus approfondie, les jeunes repèrent quatre dimensions essentielles dans la structuration des interventions d’Alexandra : la construction d’un sas d’entrée, le souci permanent de la clarté, l’articulation entre le collectif et l’individu, l’usage d’une citation pour faire le lien avec le cours précédent, façon de faire le lien entre le fond et la forme. 

Développement professionnel des collectifs enseignants 

« La  troisième partie s’efforce de montrer le potentiel d’apprentissage qu’un collectif peut opérer dans et par l’analyse des situations de travail ». Luc Ria évoque notamment la Lesson Study. Elle a pour point de départ une difficulté concrète, par exemple, comment enseigner la numération décimale ? A partir de ce problème, la Lesson Study se développe en un cycle de quatre étapes de travail : le collectif étudie le problème retenu, il élabore un plan de leçon, l’expérimente puis se réunit pour analyser ce qui a fonctionné, ou non. Cette technique place l’ordinaire de la classe au coeur de la formation. Le chapitre suivant propose un outil conçu par Clémence Jacq pour observer, décrire, positionner et accompagner le développement des collectifs professionnels. Il met en avant trois éléments essentiels : des étapes de transformation, des principes de fonctionnement et des conditions de pérennisation. Le chapitre insiste aussi sur les conditions qui permettent à une action collective de durer comme le soutien institutionnel ou la stabilité de l’équipe. 

Comment accompagner le développement professionnel individuel et collectif des enseignants ? 

L’auteur énumère d’abord les méthodologies traditionnellement utilisées en formation initiale ou continue, qu’ils s’agissent d’analyses de pratiques, d’instructions au sosie ou encore d’entretien d’explicitation. Il présente chacun de ces dispositifs et un tableau synthétise avantages et inconvénients de chacun. Dans l’instruction au sosie, par exemple, l’objectif est de renseigner l’expérience complexe dont les professionnels sont détenteurs. Il évoque également les travaux du GFEN en rappelant la devise d’Henri Wallon «  La pensée nait de l’action pour retourner à l’action ». Il développe ensuite la question de la vidéoformation et on se référera avec intérêt à la plate forme Néopass. Il propose plusieurs formats dont le debriefing flash mais n’oublie pas d’insister sur une charte éthique pour la vidéoformation. Il traite également de ce qu’implique d’utiliser des outils de vidéoformation au sein des établissements. 

En conclusion, Luc Ria rappelle la nécessité de partir du travail réel des débutants et de montrer l’envers du décor des situations de classe au quotidien. Il insiste également sur l’articulation entre individuel et collectif. L’objectif ultime est, comme le proclame un des derniers sous-titres, de redonner aux enseignants l’envie de se former et il pointe trois leviers pour qu’existent des laboratoires de changement à la française : l’entrée par l’activité des enseignants, le potentiel d’apprentissage entre pairs et le potentiel d’apprentissage des situations professionnelles. 

On ne peut enfin que souscrire à un des extraits d’entretien proposé en postface lorsque Mathieu, enseignant en milieu de carrière, déclare «  Il faut privilégier le sens dans les cours, …il faut essayer d’intriguer les élèves, …questionner le monde avec eux, vraiment …tenter de nouvelles choses …si vous ne vous amusez pas, les élèves non plus … »

Pour découvrir le sommaire et un extrait du livre, c’est ici.  

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes