« Hiver 1936. L’Espagne est en pleine guerre : les Républicains s’opposent aux Nationalistes de Franco. Désireux de soutenir le gouvernement espagnol, Staline fournit plusieurs chasseurs de type « Mosca » aux Républicains. Roman Kapulov est l’un des aviateurs envoyés par la Russie et remporte victoire sur victoire, ce qui lui vaut le surnom d’ « El rey de las Moscas ». Intervenant alors que des religieuses se font brutaliser par des soldats espagnols, Roman rencontre la belle Lulia Montago, jeune milicienne que sa réputation précède. Il ne faut qu’un seul regard pour que Roman et Lulia tombent éperdument amoureux.
Mais cette Espagne n’est certes pas propice à l’amour : entre trahisons et complots, intérêts stratégiques soviétiques et nazis, on ne sait plus très bien sur qui on peut réellement compter… Les sentiments de Roman et de Lulia seront-ils assez forts pour pouvoir survivre à l’horreur de la guerre ? ».
Il serait tout à fait erroné de considérer de prime abord que Double 7 ne serait qu’une romance, une histoire d’amour en pleine guerre civile espagnole, dont on voit la violence subie par les civils madrilènes, sous les bombardements aériens et la menace des Moros de Franco, mais aussi par les combattants, qui peuvent craindre d’être tués en cas de capture par les franquistes — l’inverse est aussi vrai, puisque des aviateurs allemands sont exécutés sur ordre du commissaire politique Fridatov, que des religieuses sont à deux doigts de l’être au cours d’un épisode. Bien au contraire, les auteurs en font un prétexte pour aborder le contexte particulier de l’hiver 1936-1937, qui est l’un des tournants du conflit.
Roman Kapulov est le héros principal du récit. Il combat dans les airs sur un Polikarpov I-16 IshakLe modèle même que restaure à grand peine Gabriel Lecouvreur, alias « Le Poulpe »., que les nationalistes et leurs alliés surnomment Rata (le rat), et leurs adversaires, Mosca (la mouche). Quoi qu’il en soit, ces deux surnoms sont dus aux qualités de l’appareil, qui en font l’un des meilleurs chasseurs intercepteurs de son temps quand il est mis en service en 1935. On le voit se heurter aux premiers Messerschmitt BF 109, qui font leur apparition en 1937 au sein de la Legion CondorOn voit d’ailleurs une attaque des nouveaux bombardiers en piqué, les Junkers Ju 87, utilisés comme Stukas. En 1937, cependant, un seul exemplaire était présent en Espagne : un prototype Ju 87 A-0 Anton,qui constitue la première version de l’appareil. . Dans la formation de Roman Kapulov — le groupe mixte 21 de la première escadrille « Double Six » — se trouvent des volontaires des Brigades internationales : l’Américain Ajax Tinkbaum (ancien du Yankee Squadron) et le Français Jean Dary, vétéran de la première guerre et membre de l’escadrille formée par André Malraux. On croise d’ailleurs bon nombre d’autres étrangers, comme Ernest Hemingway, correspondant de guerre, et sa compagne Martha, envoyée spéciale de Collier’s, un magazine féminin américain.
À cela vient s’ajouter les entreprises soviétiques. La préoccupation de Staline est d’éliminer tout risque de révolution anarchiste ou trotskyste, et non d’aider puissamment les républicains. Aussi, les commissaires politiques vont renforcer leur contrôle sur les unités militaires, comme Fridiakov, et chercher à abattre les principaux dirigeants, comme Dolores Ibárruri (la pasionaria), dont les auteurs font intervenir la fille, LuliaEn réalité, Dolores Ibárruri a deux enfants à cette époque, qui sont réfugiés en URSS. Aucun n’a le prénom que les auteurs utilisent. La pasionaria ira elle aussi en URSS, et ne reviendra en Espagne qu’après la mort du caudillo.. Ce fait est d’ailleurs assez curieux, car la pasionaria est membre du parti communiste espagnol, et sa fidélité au Komintern n’a jamais pu être prise en défaut. En revanche, les attaques contre le POUM ou la FAI sont tout à fait vraiesSur ce sujet précisément, on reverra avec plaisir le film de Ken Loach, Land and Freedom, 1995..
C’est aussi le moment où les réserves d’or de la Banque d’Espagne sont embarquées à Carthagène, pour être dirigées vers Odessa et « mis en sécurité », comme le dit le lieutenant-colonel Orlov. Il s’agit en réalité de la contrepartie des livraisons d’armes de l’URSS aux républicains, et des commissaires dépêchés sur place.
L’album évoque aussi le climat qui règne à Moscou. Les purges staliniennes se poursuivent, et les cadres s’inquiètent pour leur avenir. Serguei Honoretz doit revenir en URSS : le massacre de milliers de prisonniers qu’il a dirigé s’est ébruité dans la presse. Son compère Orlov n’attendra pas de subir le même sort…
En définitive, Double 7 se révèle donc d’une complexité beaucoup plus importante que l’intrigue pourrait le laisser penser a priori, en abordant nombre d’aspects de la guerre d’Espagne. Cela en fait un album qui pourra intéresser un large public, et ce d’autant plus que le scénario est très crédible, bien documenté. Il est soutenu par des dessins qui, pour très précis qu’ils soient, sont assez épurés : l’équilibre graphique obtenu est ainsi très intéressant. On pourra d’ailleurs des similarités avec des bandes dessinées comme la série des « Blake et Mortimer ». De fait, André Juilliard a réalisé l’un des albums en 2000 : La Machination Voronov. Enfin, la couverture de l’album a une surface mate, ce qui donne un aspect suranné agréable et original. Une bonne façon, très subtile, d’entrer dans le passé dès la prise en mains.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes
Je ne pense pas avoir dit le contraire
Votre étonnement sur la mère de Lulia, dans « Double 7 », repose sur une base erronée. Si les auteurs s’inspirent effectivement de la vraie Pasionaria, Dolores Ibarruri, communiste farouche en effet, c’est une transposition : Lucrecia Montago (dans la fiction) est libertaire et une des leaders de la CNT. Son prénom, son nom et son rôle sont explicites dans le récit. Yann et Juillard ont choisi ce retournement en toute connaissance de cause, et on ne peut leur reprocher cette licence littéraire.
A. Hz
Si vous publiez et signez ces lignes, merci de n’indiquer que mes initiales.