Myron Echenberg est professeur émérite de l’Université McGill à Montréal . Spécialiste de l’histoire africaine, quand en 1991 il publie son ouvrage sous le titre: Colonial Conscripts, il est l’un des premiers à ouvrir le chantier de l’histoire des troupes coloniales avec un point de vue d’autant plus intéressant qu’il a sur ce sujet la distance d’un océan.

Si le livre est bien connu des spécialistes de ces questions et présenté dès 1992 par Jacques Frémaux dans la revue: Cahiers d’Études Africaines, il faudra attendre 20 ans pour disposer avec cette édition française publiée par Karthala.

Son étude cherche à définir la place de ces soldats entre colonisateurs et colonisés, pour lui les tirailleurs sont comme une métaphore du colonialisme car si les tirailleurs ont dans l’imaginaire français une place particulière entre le héros de 14/18 et l’image Banania, l’intérêt que leur portent les historiens français est très récent.
L’auteur dans une démarche à la fois descriptive et analytique met en valeur l’histoire militaire dans son apport à une connaissance des sociétés africaines coloniales et postcoloniales. Il distingue quatre grandes périodes: les débuts et la place de ces troupes dans la conquête coloniale; 1905-1919, une armée d’occupation et la mythologie du tirailleur; le recours à la conscription et ses conséquences migratoires; enfin de 1946 à 1960 la professionnalisation et la participation aux guerres coloniales.

L’auteur dans une démarche à la fois descriptive et analytique met en valeur l’histoire militaire dans son apport à une connaissance des sociétés africaines coloniales et postcoloniales. Il distingue quatre grandes périodes: les débuts et la place de ces troupes dans la conquête coloniale; 1905-1919, une armée d’occupation et la mythologie du tirailleur; le recours à la conscription et ses conséquences migratoires; enfin de 1946 à 1960 la professionnalisation et la participation aux guerres coloniales.

D’esclaves à soldats

Créées par Faidherbe en 1857, les compagnies de tirailleurs sont le prolongement « des gardes » des comptoirs et autres « laptots » recrutés en Sénégambie depuis le XVIIème siècle. Le mode de recrutement n’est guère éloigné de celui des esclaves de même que les tâches qui leur sont confiées. Mais c’est avec Faidherbe qu’ils deviennent de véritables soldats avec solde, uniforme et un rôle incontournable dans la conquête de l’Afrique de l’Ouest en secondant un corps expéditionnaire numériquement faible. L’auteur analyse leur place dans la société: longtemps la prime d’engagement est en fait le rachat de l’esclave, ils constituent donc un groupe spécifique où les Bambaras dominent, leur langue fait référence dans les compagnies. S’il est difficile, vu la faiblesse des sources en ce domaine, on a toutefois un aperçu de la vie quotidienne et des conditions de service, de la place des femmes aux côtés des troupes.

Les Tirailleurs et la première guerre

Dès 1912 une essai de conscription est mis en œuvre pour élargir le vivier de recrutement dans l’ensemble des couches de la société et notamment parmi les fils de chefs traditionnels, l’intérêt de cet ouvrage est d’abord dans l’effort de quantification. La fin de la conquête et la nécessité d’une présence militaire dans le vaste territoire de l’AOF et de l’AEF impose une augmentation des effectifs poursuivie durant la première guerre mondiale. Le point de vue canadien de l’auteur est exprimé dans son analyse de l’ utilisation des troupes coloniales par les différents belligérants et l’image ou plutôt les images de ces « diables » de tirailleurs dans les imaginaires européens et canadien. C’est aussi l’occasion de quelques portraits des rares tirailleurs ayant atteint un grade d’officier et d’une présentation de rôle de Blaise Diagne, député issu des « quatre communes » dont les habitants ont la nationalité française, dans la politique de conscription.

La conscription et ses conséquences

Dans ce chapitre il s’agit d’un exercice difficile mais très intéressant de bilan démographique de la conscription telle qu’elle est généralisée après 1918. On y voit comment les autorités ont très maladroitement tenté de recenser la population mobilisable mais aussi les intérêts divergents du commandement militaire derrière le général Mangin et des administrateurs coloniaux: les premiers souhaitant amplifier le recrutement pour faire face aux classes creuses en métropole, les seconds craignant une trop forte ponction de main d’œuvre qui souhaitent conserver sur place les jeunes hommes sachant lire et écrire en français pour le recrutement des échelons subalternes de l’administration locale.
L’auteur montre comment l’organisation même des tournées de conscription ont un effet sur l’origine géographique et sociale des tirailleurs, sur les déplacement de certaines populations vers les colonies voisines pour fuir le recrutement. Sont également posés la question de la formation des sous officiers, le faible accès aux grades supérieurs et l’installation d’un viviers de recrutement avec les Écoles des Enfants de Troupe.
Enfin l’auteur tente de mesurer le poids de cette ponction en particulier sur les populations rurales d’autant que, démobilisés après de longues années loin de leur région d’origine, les anciens tirailleurs ne sont pas nombreux à rejoindre leur village de brousse et se fixent dans les centres administratifs au point qu’il parle de migration.

Le temps du second conflit mondial

Longtemps tu, la place numérique, le courage et le sort cruel de ces troupes est rappelé. On notera une planche de BD, hélas trop brève, de « Mamadou s’en va-t-en guerre » qui montre le conditionnement psychologique fait dès la fin des années trente. Si la situation des prisonniers de guerre est évoquée, on se réfèrera si on souhaite une étude plus fournie au récent livre d’ Armelle Mabon, Prisonniers de guerre “indigènes”, visages oubliés de la France occupée
(http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2778).
Ce chapitre aborde le temps délicat de la démobilisation et en particulier les évènements du camp de Thiaroye.

La nouvelle armée 1945-1960

Au lendemain du conflit les missions restent inchangées: occupation de l’AOF et maintien d’une armée disponible pour défendre l’Union française sans oublier dans la tradition du XIXème siècle travailleurs utilisés pour des grands travaux comme la réalisation de la route internationale 2 reliant le Sénégal à la Côte d’Ivoire par Tambacounda. Malgré l’idée d’une refonte des compagnies de tirailleurs avec une baisse du recrutement, les inégalités demeurent plus grandes qu’avant guerre quant à l’origine, si moins de 20% du contingent au Sénégal est effectivement recruté, ce pourcentage peut aller jusqu’à 84% en Guinée en 1948 par le biais de l’engagement volontaire qui conduit à une évolution vers une armée professionnelle. La question primordiale et non résolue de cette période est celle de l’africanisation de l’encadrement, si la formation des sous-officiers est plutôt un succès exploité par la propagande qui montre leur occidentalisation jusque dans la vie familiale, le nombre d’officiers noirs resta limité.

Les anciens combattants

Face à l’abondance des études sur les anciens combattants de l’Afrique anglophone, Myron Echenberg est surpris par la faiblesse des études françaises. Après un tableau détaillé des associations d’anciens combattants l’auteur présente, de façon plutôt optimiste, les avantages matériels de ce statut: accès à certaines fonctions, aide agricole au retour à la terre, pensions; on s’étonne de l’absence d’évocation de la différences de traitements entre anciens combattants français et anciens combattants issus des troupes coloniales, prélude à la « cristallisation » des pensions.
L’attitude politique des anciens tirailleurs après 1945, entre aspiration au changement, fidélité à la France et fierté d’avoir participer à sa défense est traitée à l’aide de l’étude du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) et de la carrière de Léopold Sédar Senghor. L’auteur rappelle également le contrôle exercé par l’administration coloniale sur les vétérans à la vielle des indépendances.

L’épilogue sur la place des militaires africains dans la mémoire collective manque un peu de réalisme quand il évoque trois épisodes : l’assassinat de Charles N’Tchoréré à Airaismes le 7 juin 1940, le massacre de Chasselay le 17 juin de la même année et l’insurrection du camp de Thiaroye le 1er décembre 1944 et célébré par le cinéaste Ousmane Sembéné, car si l’auteur parle de sites commémoratifs entretenus et d’un vague souvenir dans les populations, on peut je crois parler d’oubli comme le rappelle Marc Michel, dans sa préface, il faut attendre le film « Indigènes » pour que cette mémoire ressurgisse.

L’ouvrage se clôt sur une présentation détaillée et commentée de ses sources.

Christiane Peyronnard