Livre original que celui que nous présente Xavier Breuil, une histoire des paris sportifs dans le sport le plus populaire de la planète, en déplaise à certains, le football. Paru quelques semaines avant la coupe du monde qui vient de s’achever, il propose une réflexion assez large sur ce qui est un jeu pour certains, pratique individuelle ou collective d’ailleurs, mais dans le fond une industrie qui brasse chaque année, et depuis longtemps, des sommes énormes.

Xavier Breuil est un historien spécialiste du football, du football féminin en particulier. Il a  rédigé sa thèse sur ce sujet, dont une version raccourcie a été publiée chez le même éditeur, Nouveau Monde, en 2011. Il a choisi dans cet ouvrage de s’intéresser à une période allant de l’après-première guerre mondiale jusqu’à l’avènement des paris sportifs en ligne, au début des années 90, en Europe occidentale. A travers cette histoire d’une industrie qui parfois refuse de l’assumer et sait rester plus que discrète, en raison notamment des intérêts financiers et étatiques en jeu, apparaît en filigrane aussi la prise d’importance au fur et à mesure des décennies du football comme phénomène de société.

Dans l’introduction, Xavier Breuil rappelle que les jeux du hasard sont loin d’être une invention de l’époque contemporaine. A la suite de cette lecture et pour élargir le champ de réflexion, nous pouvons, d’ores et déjà, conseiller la lecture de l’ouvrage collectif dirigé par Joseph-Emile Vandenbosch L’enchantement du jeu. Loteries en Europe ;  Ulrich Schädler, Jeux de l’Humanité. 5000 ans d’histoire culturelle des jeux de société et un ouvrage encore plus récent, celui de Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours. Dans les faits, le sujet exact traité dans ce livre n’apparait que peu traité dans l’historiographie française comme sur l’Europe continentale, mais plus en Angleterre, terre de traditions de paris. Xavier Breuil a choisi de travailler sur des sources européennes et le sujet n’est pas franco-centré, ce qui permet une démarche comparative, tout à fait essentielle et pertinente.

Le premier chapitre revient sur les créations des premières sociétés de paris, dans l’immédiat après-guerre, à une période de recherche de détente et d’oubli des affres de la guerre. En avance sur ce sujet, la Grande-Bretagne bien évidemment, avec une législation bien souple qu’ailleurs en Europe. Le rôle de ces paris est bien montré dans le financement des infrastructures, mais aussi des clubs ou des fédérations, à une époque où les recettes ne sont pas énormes et permettent pratiquement pas de subsister. L’auteur décrit aussi la diversité des gains et le rôle non négligeable des médias, la radio en premier, dans le succès de ces paris. Enfin, Xavier Breuil insiste sur une évolution majeure de l’industrialisation de ces paris : les paris mutuels. La recette est simple: plus de personnes participent, plus les gains à redistribuer sont importants. De manière sociologiquement intéressante, il est à noter que les premières grandes sociétés de paris sont installées dans des villes industrielles et populaires (Liverpool, Leeds). Surement pas un hasard. Enfin, l’auteur évoque le développement hésitant, puis fulgurant, de cette industrie au reste de l’Europe entre les années 30 et 50, permettant toujours plus de paris, de rentrée d’argent et d’embauches.

Le deuxième chapitre, à la fois économique et sociétal, montre la croissance exponentielle des revenus des firmes de paris. L’auteur nous permet de nous attarder sur la petite phrase majeure de François Bédarida: « la trilogie pub, sports et paris avait été élevée au rang de religion en Grande-Bretagne ». Signe que le football et les pratiques individuelles et collectives l’entourant, notamment les pratiques de socialisation ou de sociabilité, dépassent désormais les catégories populaires pour toucher toutes les classes de la société. Le succès s’explique aussi par le développement de la publicité (encore une fois le rôle des médias) et la diversité des pratiques de paris (résultat final, choix multiples…), mais surtout l’entrée dans une société de consommation de masse.

Le troisième chapitre traite des tentatives de régulation étatiques au fur et à mesure de l’élévation des sommes en jeu mais aussi des contestations socio-idéologiques sur ce genre de jeu, que certains ont assimilé à des jeux de hasard, donc à prohiber. Apparaissent aussi, dès les années 20, les dénonciations des liens entre ces sociétés paris et les milieux du banditisme, mais aussi la trop grande proximité entre certains sportifs et les sociétés de paris ou encore le fait que ces paris entraînaient un plus grand appauvrissement encore des classes ouvrières. Enfin, l’auteur développe l’immixtion de plus en plus importante des Etats européens dans ces sociétés, non pas dans un but moralisateur, mais surtout dans le but d’augmenter les rentrées d’argent liées aux taxes.

Le quatrième chapitre est concerné à la rupture des années 50 et la création du loto en Allemagne. Jeu de hasard, à base mutualiste, il connaît une diffusion rapide et fulgurante dans le pays, gagnant ensuite les pays voisins, y compris en Europe de l’Est. La concurrence finit par affaiblir les sociétés de paris sportifs les plus fragiles, et aboutit à un nombre important de fusions-acquisistions qui « nettoient » le marché des paris sportifs. La forte croissance des Trente Glorieuses maintient le toujours haut niveau de consommation et de dépenses, mais elles se tournent vers cette loterie si facile à comprendre, malgré la création de nouvelles compétitions de football, comme les Coupes d’Europe. Enfin, l’auteur décrit comment les sociétés de paris sportifs se transforment sous l’effet de la mécanisation et de l’informatisation : les résultats vont plus vite mais les licenciements vont de pair.

Le dernier chapitre poursuit l’analyse des courbes des loteries nationales et des paris sportifs à la fin des Trente Glorieuses. Clairement, il apparaît un succès toujours plus fort du premier et une croissance relative des seconds, sauf dans les pays, comme la France, qui connaissent le développement du tiercé et une baisse du chiffre d’affaire des paris sportifs. Deux phénomènes intéressants à relever: d’une part, la croissance des jeux de hasard est tirée d’abord et avant tout par le loto, dont certaines sociétés rachètent les anciennes sociétés de paris sportifs. D’autre part, est mis en avant le rôle majeur du nouveau média de masse, la télévision, sans négliger pour autant la part essentielle des deux médias traditionnels que sont la radio et la presse, pour maintenir la consommation grâce à la publicité.

Au final, une lecture claire, très agréable et une analyse comparative qui tient ses promesses. A la fin du dernier chapitre, nous sommes plutôt dans l’attente d’un second tome sur les années 90 et 2000 et le développement des paris en ligne. A travers ces décennies pourraient être ainsi développées des réflexions sur la question des monopoles publics (France) ou sur les liens toujours plus forts entre systèmes mafieux et paris sportifs, à élargir à de nombreux sports, comme le tennis, touché ces dernières années par de multiples cas de corruption.