« Dav deoc’h kerzeht sonn ho penn, du-mañ, ne vez ket gouelet» [Il faut marcher la tête haute, chez nous, pleurer ne se fait pas].

François Bourgeon, Les Passagers du vent, le sang des cerises. Livre 1, « Rue de l’abreuvoir », Delcourt, 2018, p. 4.

Présentation de l’éditeur. « Dans ce premier volet du dernier cycle des  Passagers du vent, François Bourgeon investit Paris, et particulièrement le quartier Montmartre, pour un récit puissant lié à la période complexe et méconnue de la Commune ».

 

Paris, 16 février 1885. On enterre Jules Vallès, tout juste cinq ans après l’amnistie des communards et le retour des exilés. Zabo est là, au milieu de la foule immense. Alors que nous l’avions quittée vingt ans plus tôt, en Louisiane, elle répond aujourd’hui au prénom de Clara. Quand elle voit une jeune fille, fraîchement débarquée de sa Bretagne natale, se faire maltraiter, Zabo réagit…

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Les Amis De Ta Femme, Noir… Et Rouge Aussi Un Peu (album paru en 2003), « Elle n’est pas morte » : https://www.youtube.com/watch?v=3VvyC8ynGlE&feature=youtu.be

©François Bourgeon, Delcourt 2018.

Non elle n’est pas morte, la grande série historique de François Bourgeon[1], Les passagers du vent, entamée il y a presque 40 ans avec 25 ans d’attente entre la première et la deuxième partie. Huit ans après les deux tomes de La Fille du bois-Caïman et à l’âge de 73 ans, le maître incontesté du genre, perfectionniste et minutieux à l’extrême, nous livre ici le premier tome du dernier cycle de la saga intitulée : Le Sang des cerises.

            Tout débute un 16 février 1885. Klervi Stefan, adolescente bretonne de 14 ans débarque sur les quais d’Austerlitz à Paris. Elle doit se rendre chez ses nouveaux employeurs pour les servir comme domestique. Perdue et émue, elle croise sur son chemin une foule immense d’ouvriers, de socialistes, d’anarchistes et de badauds venus rendre un dernier hommage à Jules Vallès, le fondateur du Cri du peuple. Là, au milieu de drapeaux rouges et noirs, la jeune héroïne se fait malmener par des laïcards. Elle est secourue par Zabo la quarantaine (la belle héroïne rousse de La Petite Fille du bois-Caïman), qui se fait maintenant appeler Clara, et accompagnée du docteur Lukaz. Klervi ne parle pas français, elle n’a qu’une lettre de recommandation pour ses futurs patrons et une adresse, au pied de la Butte Montmartre. Clara l’accompagne et les deux jeunes femmes s’engouffrent dans Paris, laissant entrevoir au lecteur le chantier du futur insolent Sacré-Cœur. Une fois arrivées, celles-ci se séparent ; l’histoire aurait pu s’arrêter là. Pourtant, trois ans plus tard, le hasard réunit ces deux héroïnes. Clara emmène Klervi chez elle, et les deux femmes se lient d’amitié. S’en suit une histoire belle et touchante dans le Paris ouvrier du XIXe siècle, ponctuée de musicalité et de mystères autour du passé de Clara.

Bourgeon « fait œuvre d’historien » !

Catherine Coquery-Vidrovitch (historienne, spécialiste de l’Afrique et de l’esclavage), 17 septembre 2018.

Bourgeon comme à son habitude mêle l’Histoire à la fiction avec un perfectionnisme éclatant. Il a solidement travaillé avant de se lancer dans une nouvelle aventure de sa saga où il fait tout seul : scénario, dessin et couleurs. Il a ainsi passé plusieurs mois à collecter des informations précises afin de rendre au mieux l’atmosphère de la période (ouvrages historiques, presse, bulletins météo, costumes, chansons). Il a même passé plusieurs mois à réaliser une maquette du quartier de Montmartre en carton dans son atelier breton proche de Quimper. L’ambiance de cette période historique des débuts de la IIIe République, relativement méconnue du grand public, est parfaitement restituée par le maître, qui va même jusqu’à faire utiliser l’argot parisien et le breton (bien que la navigation entre les planches et les traductions en fin de récit soit assez peu pratique) pour accentuer le réalisme de l’ensemble.

François Bourgeon derrière l’une de ses maquettes. © France 3 / Culturebox

            Des 72 jours de la Commune de 1871, notamment les épisodes de la Semaine sanglante (et des 20 à 30 000 personnes fusillées au cours de celle-ci !), Bourgeon en fait une trame de fond à son récit, bien que ce contexte ne sera sans doute qu’abordé dans le futur tome 2 du Sang des cerises, notamment sous la forme de flashbacks en lien avec le passé de Clara (pourquoi celle-ci a notamment été déportée pendant huit ans ?). Dans cette bande-dessinée, centrée sur la période qui suit l’amnistie des Communeux et le retour des exilés, l’atmosphère parisienne est parfaitement narrée. Plusieurs planches devraient ravir les enseignants et enseignantes du secondaire souhaitant aborder avec leurs élèves cette période, trop sommairement abordée dans les programmes scolaires, à travers les aventures de Zabo et Clara. François Bourgeon signe ici une nouvelle page magistrale de son œuvre qui assurément tombera dans la postérité, une fable féministe, combative et mémorielle, un bijou du 9e art dont nous attendons avec impatience la suite !

Non Monsieur Bourgeon grâce à vous, la Commune n’est pas morte ! Vive la Commune !

Pour aller plus loin :

Rencontre avec F. Bourgeon sur Culturebox (octobre 2018) : https://www.dailymotion.com/video/x6v6fss

Les Passagers du Vent – Dans l’atelier de François Bourgeon vidéo des Éditions Delcourt (10 juil. 2018) : https://www.youtube.com/watch?time_continue=205&v=MRjKFhigP2Y

Les Passagers du Vent – La saga historique est de retour, vidéo des Éditions Delcourt (17 sept. 2018) : https://www.youtube.com/watch?v=JqQlo0Z2gfQ

 

[1] François Bourgeon, né le 5 juillet 1945 à Paris, est un scénariste et dessinateur de bande dessinée français. Il est l’auteur d’œuvres renommées comme Les Passagers du vent, Les Compagnons du crépuscule et Le Cycle de Cyann qui lui ont valu plusieurs prix et distinctions.

©François Bourgeon, Delcourt 2018.
©François Bourgeon, Delcourt 2018.

Les luttes sociales de la fin du XIXe siècle sont au cœur de l’aventure.

©François Bourgeon, Delcourt 2018.
©François Bourgeon, Delcourt 2018.
©François Bourgeon, Delcourt 2018.

Rémi Burlot, pour Les Clionautes