Ce dictionnaire, qui n’en porte pas le nom, est issu du groupe de travail « Systèmes de peuplement dans le temps long » du LabEx DynamiTe (« Dynamiques Territoriales et Spatiales ») qui a réuni pendant 7 ans des chercheurs de différentes disciplines. Cet ouvrage est coordonné par Anne BRETAGNOLLE (géographe spécialiste de la compression espace-temps et de la délimitation évolutive des entités urbaines), Patrice BRUN (archéologue et anthropologue spécialiste de la protohistoire européenne), Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER (géographe et historienne des territoires et des territorialités), Nicolas VERDIER (géo-historien passionné par les réseaux territoriaux et leurs représentations) et Lena SANDERS (géographe, directrice de recherches au CNRS).
Dans la préface, Denise PUMAIN rappelle que cet ouvrage est un important travail de mise en ordre du vocabulaire dans le traitement des processus spatio-temporels en sciences sociales. Il offre une réflexion sur nos façons d’habiter la Terre selon les époques et les continents, dans une perspective « géo-archéo-historique ». Les différents contributeurs se posent ainsi la question de savoir comment se disposent et évoluent au cours de l’histoire les diverses formes d’habitat qui ont existé et qui se déploient encore dans le monde.
Leurs réflexions s’organisent autour des systèmes de peuplement. Selon les lieux et les périodes, les populations humaines ont habité, exploité, et aménagé des portions de l’espace terrestre sous des formes très diverses, nomades ou sédentaires, dispersées ou concentrées, pérennes ou saisonnières. Les processus en jeu lors du peuplement ou de l’occupation d’un espace donné sont néanmoins caractérisé par des fortes régularités liées aux interactions avec l’environnement et entre les individus. L’intérêt de manipuler le concept de système, entendu comme « un ensemble d’éléments en interaction ». est de poser l’hypothèse que ce sont ces interactions qui entraînent la dynamique, ici des systèmes de peuplement, l’amenant à se reproduire et/ou à se transformer dans une temporalité longue.
Toutefois, le dialogue interdisciplinaire repose sur une conditions initiale : pouvoir s’entendre sur le sens des mots. Lors des premiers échanges d’universitaires au sein du groupe de travail LabEx, l’intérêt du travail collectif sur les définitions des concepts clés s’est donc imposé très rapidement : les discussions bloquaient régulièrement sur des mots dont le sens avait profondément changé au cours du temps ou même différait selon les disciplines (la notion de territoire par exemple), voire n’étaient pas employés par l’une d’entre elles tandis qu’ils constituaient un concept phare pour une autre (le mot transmission très important en archéologie et absent en géographie).
La forme de l’ouvrage aurait pu être celle d’un dictionnaire, multipliant les angles d’attaque et visant à l’exhaustivité. Les auteurs ont préféré une organisation des concepts directement perceptible dans le plan. Les concepts spatio-temporels fonctionnent rarement isolément les uns des autres. Territoire appelle réseau, déclin et décroissance relèvent du même champ sémantique, transmission renvoie à mémoire,… Des ensembles de mots sont donc regroupés par grappes de concepts se renvoyant les uns aux autres par le jeu de diverses constructions. Chaque chapitre, chaque partie peut être lu de façon autonome. On peut aussi utiliser l’index pour repérer rapidement dans le texte les mots-phares, incontournables et structurants pour comprendre la formation et les transformations d’un système de peuplement. Les auteurs se sont d’abord attachés à retracer le plus systématiquement possible l’étymologie des termes étudiés et à rappeler comment leurs usages ont évolué dans le temps dans un très grand nombre de disciplines. Ils sont ensuite illustrés par des cas issus des différentes disciplines.
Partie I – Mots-outils pour l’étude des systèmes de peuplement
Cette partie propose les premières clés de lecture aux parties qui suivent. Les systèmes de peuplement ne peuvent être pensés sans les concepts-charnières d’espace (et spatialité) et de temps (et de temporalité). La question de l’échelle est en un troisième. Puis les processus (et les trajectoires), constitués de faits et d’évènements mis en série dans le temps, permettent de penser la succession et la causalité. Les questionnements sur ces thèmes sont d’une très grande actualité tant en archéologie, qu’en histoire ou en géographie.
Partie II – Dynamiques : émergence, transmission et résilience
Ces trois concepts inscrivent d’emblée les objets et phénomènes étudiés dans la durée. Ils sont étroitement liés quand on s’intéresse à la manière dont un système de peuplement évolue. Les interactions sociales ou spatiales sont à l’origine de l’émergence d’une pratique culturelle ou d’une certaine organisation spatiale. Elles dépendent des processus de transmission qui favorisent la durabilité du système de peuplement. Suivant sa plus ou moins grande résilience, un changement du milieu environnant peut par ailleurs modifier plus ou moins profondément les interactions et l’organisation du système. La combinaison de ces concepts permet donc de décrire l’évolution d’un système de peuplement et surtout de proposer des interprétations sur les facteurs de cette évolution.
Partie III – Espaces : Territoires, réseau, métropole
A partir des années 1990, les chercheurs ont mis en valeur la notion de territoire. Objet d’une appropriation sentimentale ou de patriotisme, le territoire génère sentiment d’appartenance, lieux de mémoire et de commémorations. Ces différentes manifestations relèvent d’un processus que l’on peut désigner par le terme de « territorialisation », qui consiste à asseoir un contrôle sur des populations ou une surface de terre, et, pour les populations concernées, à développer des formes d’identité territoriale dont la genèse s’inscrit dans la longue durée. Toutefois, malgré sa prégnance, le modèle territorial semble être aujourd’hui entré dans une période de profonde évolution au point de parler de « crise », voire de « fin des territoires ». Le fait urbain enregistre lui aussi de profondes transformations. La métropolisation, qui désigne un ensemble de processus multi-scalaires liés à la mondialisation de l’économie, permet le maintien ou le renforcement de ces nœuds de l’économie mondiale appelés métropole, mégalopole, archipel mégalopolitain mondial,… Territoires et métropoles se trouvent au cœur de réseaux, formant système.
Partie IV – Dynamiques : effondrement, déclin, décroissance
Les notions gravitant autour de la décroissance et du déclin ont connu un changement épistémologique majeur ces dernière années. Face à l’inflation récente de l’utilisation de ces mots, dont l’effondrement, il faut se méfier de la place souvent trop importante des logiques du capitalisme industriel et financier : tout ce qui n’est pas en croissance bascule inéluctablement du côté du déclin. Il faut donc s’obliger à garder une profondeur de champs et réfléchir sur la longue durée pour appréhender les changements de trajectoire des systèmes de peuplement.
Première originalité : ce « dictionnaire » n’adopte pas l’ordre alphabétique des mots-clés mais les organise en plusieurs niveaux de généralité et de thèmes fédérateurs en partant des concepts génériques de spatialité et de temporalité pour traiter ensuite des dynamiques et des processus concernant les systèmes de peuplement. Deuxième originalité : l’étude des systèmes de peuplement selon une perspective totalement renouvelée dans le cadre d’une interdisciplinarité féconde, permet de repérer les évolutions épistémologiques croisées entre les différentes disciplines. Troisième originalité : les systèmes de peuplement sont étudiés dans la longue durée. Cet ouvrage est de plus enrichi de très nombreux documents, qui ne sont pas simplement des illustrations mais apportent des témoignages sur une époque ou sur un lieu.
Ce livre est d’abord destiné aux chercheurs de sciences humaines et sociales mais peut aussi intéresser des étudiants ou des enseignants qui cherchent à préciser les concepts et mots-clés qu’ils manipulent dans leurs études et leurs cours. En tout cas, il s’agit d’un complément aux plus traditionnels et plus anciens Dictionnaire de la Géographie et des Espaces de la société dirigé par Jacques LEVY et Michel LUSSAULT et Les mots de la Géographie de Roger BRUNET, Robert FERRAS et Hervé THÉRY.