Tout enseignant s’est un jour interrogé sur le sens des notes données aux élèves. Comment faire de l’évaluation un moment réellement formateur ? Quels sont les biais qu’il faut prendre en considération pour ne pas imaginer que la note est la réalité ? A ces questions, et à de nombreuses autres, l’ouvrage de Pierre Merle apporte des réponses claires et complètes. C’est un ouvrage fondamental à lire absolument.

Pierre Merle, sociologue, est professeur d’université à l’Espe de Bretagne, spécialiste des questions éducatives et des pratiques d’évaluation scolaire. Il a déjà publié « Les notes secrets de fabrication »  en 2007 et, en collaboration avec François Dubet ,« Réformer le collège en 2016 ». Dans son ouvrage, il organise son propos en neuf chapitres et propose quinze pages de bibliographie qui permettent de prolonger la réflexion.

 

Les pratiques d’évaluation scolaire : des modalités différenciées
Pierre Merle rappelle d’abord que la notation n’est qu’une modalité parmi d’autres de l’évaluation des compétences scolaires. Il présente de façon classique et claire les différentes formes d’évaluation, sommative, certificative, mais il souligne surtout qu’il en existe d’autres comme l’évaluation formative. A cette occasion, il pose un premier jalon pour dire l’importance du feed back et de la bienveillance. Cette dernière est nécessaire pour engager l’élève dans le travail. Il termine ce chapitre par une approche détaillée de l’évaluation par compétences en pointant ses forces et ses difficultés.

 

L’école française et l’invention de la note

Il faut le marteler sans cesse : la note sur 20 n’a pas toujours existé. Dans ce deuxième chapitre, Pierre Merle en retrace la genèse. Il présente les deux institutions qui ont été historiquement importantes : les collèges jésuites et les instituts des frères des écoles chrétiennes. Dans le premier cas, on se situe dans une vision élitiste et une hiérarchie des honneurs. Dans le second, au contraire, il n’y a pas l’idée de classement. Pierre Merle insiste aussi sur le fait qu’à partir de la fin du XIXème siècle, le principe du concours fut un changement majeur par rapport à une sélection par la naissance telle qu’elle existait avant. Il est important d’historiciser de telles questions et notamment pour se rendre compte que, dès la fin du XIXème siècle, la notation fut un objet de polémiques. A ce titre, deux citations résument bien la pensée de l’auteur : « La diffusion de la notation sur 20 a été à la fois une conséquence de la massification scolaire et un instrument favorisant celle-ci » et « l’opposition historique entre les pratiques d’évaluation des élèves en vigueur dans les collèges jésuites et celles en oeuvre dans les écoles chrétiennes demeure pleinement contemporaine ». En effet, on retrouve d’un côté les partisans de la note, favorables au classement et à la sélection précoce, et ceux plus portés sur les compétences.

 

La docimologie ou la science des examens

Pierre Merle rappelle d’abord le rôle précurseur d’Alfred Binet. Il cite ensuite de nombreuses études portant sur toutes les matières et toutes les époques qui conduisent toutes à avoir un certain doute, voire un doute certain, sur la note et sa validité scientifique. On peut citer entre autres l’étude menée par Elisabeth Chatel sur les pratiques de notation de 127 professeurs de sciences économiques et sociales. Ce travail pointe, au-delà de la diversité des copies, qu’il existe des variables contextuelles et structurelles dans l’appréciation d’une copie comme l’âge et le genre du correcteur. Ce qui pose finalement problème, c’est que « les docimologues ont favorisé la diffusion dans l’institution scolaire d’une conception de l’évaluation scolaire déconnectée des processus d’apprentissage ».

 

Les biais d’évaluation

L’auteur présente d’abord les trois types de procédures qui peuvent être utilisées pour comparer les évaluations de plusieurs copies : un nombre important de copies corrigées par quelques correcteurs, trois copies corrigées par un grand nombre de correcteurs ou plusieurs correcteurs qui procèdent à une nouvelle correction de copies qu’ils ont déjà corrigées. L’auteur liste précisément les biais qui existent au moment de la correction. Si le terme de « constante macabre » est aujourd’hui bien connu, Pierre Merle en retrace en quelque sorte la généalogie avec la loi de Posthumus. Parmi les multiples biais dont il faut être conscient, l’auteur présente successivement l’effet de halo, l’effet de flou ou encore l’effet de contamination. Il faut aussi mentionner l’ordre de correction des copies. Les exemples d’étude fournis sont particulièrement éclairants. Pierre Merle poursuit sur les biais d’évaluation scolaires et sociaux. Ainsi, les élèves des classes faibles sont plutôt surnotés tandis que ceux des classes fortes sont plus souvent sous notés. Il explore des domaines sensibles comme l’effet de réputation d’un établissement, l’effet de genre ou d’origine ethnique. Pierre Merle évoque aussi l’effet des comportements en classe sur la note finale : tout cela doit forcément interroger tous les enseignants.

 

L’analyse interactionniste de l’évaluation des compétences des élèves

Pierre Merle part d’un constat : « L’évaluation des compétences scolaires résulte d’arrangements liés aux spécificités du professeur et aux comportements des élèves ». L’auteur choisit dans ce chapitre particulièrement d’insérer des propos d’enseignants. Il s’appuie aussi sur des enquêtes menées auprès des professeurs stagiaires à l’Espe. Il pointe l’influence de l’établissement sur les façons de faire des jeunes professeurs mais aussi que, plus une matière participe au processus d’orientation des élèves, plus la proportion d ‘élèves se considérant comme faibles est importante. « Faire son métier d’élève est déjà une source de mérite et devrait être associé à une reconnaissance minimum. Une telle conception de la justice scolaire peut surprendre, elle est toutefois mise en oeuvre en EPS. Dans cette discipline, l’évaluation de la compétence d’un élève n’est pas réduite à ses seules performances mais prend aussi en compte sa participation, ses efforts, sa capacité à interagir de façon positive avec les autres élèves ». Il aboutit à trois processus dans l’activité du correcteur : un processus de jugement de chaque copie, un processus de contextualisation du jugement de chaque copie et un processus d’évitement de la dissonnance cognitive » qu’il a défini par ailleurs.

 

L’évaluation scolaire traditionnelle : un obstacle aux apprentissages

Pierre Merle montre que les notes ont des effets contre-productifs car elles peuvent constituer des obstacles à l’apprentissage. Tout enseignant doit se méfier de petites questions rituelles lors d’un exercice comme «  Qui a terminé ? » qui sont a priori anodines, mais qui en même temps peuvent être stigmatisantes. Il s’intéresse ensuite à l’image de soi que les élèves se construisent en l’expliquant par l’effet BFLPE. De quoi s’agit-il ? C’est le big fish little pond effect, c’est-à-dire que l’image de soi scolaire d’un élève est meilleure s’il se perçoit comme un gros poisson dans une petite mare plutôt que comme un petit poisson dans une grande mare. Autrement dit, les établissements sélectifs exercent un effet négatif sur l’image de soi scolaire des élèves. Or, cette image de soi a des effets sur motivation et performance scolaire. On signalera un très utile et synthétique tableau sur une comparaison simplifiée des pratiques évaluatives fondées soit sur une échelle de notes, soit sur des niveaux de maitrise.

 

Les principes d’une évaluation scolaire équitable et efficace

Progressant dans son approche, Pierre Merle avance alors quelques principes à respecter comme l’anonymat, l’évaluation formative ou l’utilisation d’une pédagogie explicite. L’auteur montre également que détenir des informations extra-scolaires favorisent les biais sociaux d’évaluation Ainsi, avoir une fiche de renseignements très intrusive remplie lors du premier cours est un secours illusoire. En effet, si l’enseignant rencontre un problème avec un élève, il va en discuter avec lui, ce qui sera beaucoup plus utile qu’une mention sur une fiche. De plus, s’il s’agit de renseignements administratifs, tout établissement est capable de les fournir. Pour engager un travail fécond, un des points importants est de créer un « état de flow ». Ce terme désigne « l’état mental d’une personne totalement immergée dans son activité et caractérisée par une motivation, concentration et satisfaction maximum. »
En s’appuyant sur les travaux de Csíkszentmihályi, il liste les conditions qui peuvent permettre un tel état. Pierre Merle rappelle aussi la nécessité de préparer l’évaluation en amont par des exercices et des révisions. Il consacre le dernier chapitre aux nouvelles pratiques qui peuvent permettre de construire une dynamique apprentissage-évaluation. Il développe ainsi le cas des classes sans note de façon très concrète mais il relève aussi qu’aucune statistique nationale du ministère n’est disponible sur ce thème. Il s’appuie néanmoins sur de multiples exemples de bilans d’expériences pour dresser un état des lieux.

 

En conclusion, Pierre Merle rappelle quelques idées essentielles de son développement : « Historiquement, autant la finalité sélective des notes est avérée, autant sa pertinence pédagogique est inexistante ». Il revient sur le fait que les débats actuels sur la note rejouent des débats qui ont déjà existé. Il pointe tous les problèmes que peut poser la notation mais ne cache pas qu’une évaluation par compétences « simple dans son principe, est complexe dans sa mise en oeuvre ». Cet ouvrage s’articule donc autour des trois sous-titres : une approche historique, une analyse très claire des difficultés et d’intéressantes perspectives. C’est un ouvrage de synthèse que tout enseignant, quelle que soit sa matière, gagnera à lire. Il disposera en effet d’éléments pour interroger ses pratiques mais aussi de pistes pour réfléchir et les faire évoluer. Indispensable !

( c) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes