John Keegan, historien militaire britannique, a publié de nombreux ouvrages sur les conflits parmi lesquels La Guerre de Sécession en 2011 (CR de Marc de Velder pour la Cliothèque) ou Histoire de la guerre. Du néolithique à la guerre du Golfe en 1993. Professeur à l’Académie royale de Sandhurst, où a étudié Churchill ainsi qu’à l’université de Princeton, il a également été correspondant de guerre pour le Daily Telegraph. Il nous livre une biographie brève, mais passionnante de Winston Churchill.
Churchill et l’histoire
John Keegan revient sur l’image qu’il avait de Churchill pendant son enfance et adolescence, sur ce décalage entre l’image du héros et l’homme politique vieillissant et corpulent, sur le conservatisme du Churchill d’après-guerre. Son intérêt s’éveille pas hasard dans un appartement loué lors d’un séjour d’études aux Etats-Unis. Dans la collection de vinyles de ces hôtes, il est étonné de découvrir un disque des discours de guerre de Churchill et s’interroge sur la présence de cet objet à l’étranger, chez des Américains cultivés et éloigné du conservatisme de l’ancien Premier ministre. Intrigué, il lance l’écoute et découvre un autre Winston Churchill, charismatique et exhortant son peuple à résister jusqu’à la victoire.
La famille, l’enfance, la jeunesse
John Keegan revient sur les origines familiales de Churchill, descendant du duc de Marlborough et issu d’une des familles plus plus prestigieuses du Royaume-Uni. La famille réside dans le luxueux Blenheim Palace mais connaît des revers de fortune. Randolph Churchill, père de Winston Churchill, a des ambitions politiques et obtient le poste de secrétaire d’Etat à l’Inde puis chancelier de l’Echiquier. Il rêve d’obtenir celui de Premier ministre, mais il termine sa carrière sans poste important.
Winston Churchill enchaîne les échecs à l’école et doit passer trois fois le concours d’entrée à l’école militaire de Sandhurst, avant d’être accepté de justesse dans la cavalerie. Son père, déçu, espérait qu’il soit dans l’infanterie. Dès ses études terminées, il profite de ses congés précédant le départ en Inde pour tenter sa chance à Cuba en 1895. Il participe au conflit et travaille comme journaliste de guerre.
L’armée (1894-1900)
Après cette parenthèse cubaine, le jeune Churchill part pour l’Inde au sein du 4e Hussars. Contrairement aux autres militaires de son régiment, destinés à une longue carrière, il manifeste déjà son impatience par son désir de se rendre sur des théâtres de conflits et pense déjà à une future carrière politique. Lors de son affectation à Bangalore, il multiplie les lectures grâce aux livres envoyés par sa mère Jennie. Il dévore l’historien anglais Gibbon, l’Histoire de l’Angleterre de Macaulay, des ouvrages de philosophie, mais aussi l’annuel Register, les annales de la vie politique anglaise.
Il ne se contente pas de lire, il tient à combattre et à mettre par écrit ses exploits. Il se manifeste dès la reprise des hostilités en Inde pour être envoyé en service actif au Nord-Ouest. Le général sir Bindon Blood lui conseille de venir comme correspondant de presse. Le 5 septembre 1897, Winston Churchill participe enfin à son premier combat au sein de la Force de camapagne du Malakand face aux Pathans musulmans. Il combat alors aux côtés de régiments britanniques affectés en Inde pour sept ans et de cipayes. Pendant la bataille, il est confronté à la fuite des Sihks et se retrouve isolé avec quelques soldats britanniques. Secouru par un régiment d’infanterie, les Bulls, cette expérience le renforce dans sa conviction que les Britanniques sont légitimes pour commander dans les Indes. John Keegan met en évidence les liens entre Churchill et Kipling.
Après le meurtre de Charles Gordon, la nation britannique est tournée vers le Soudan et vers l’expédition de sir Herbert Kitchener. Winston Churchill rejoint le 21e Lancers en Egypte. Après le succès militaire des Britanniques, il continue à mettre ses aventures par écrit, démissionne de l’armée et se présente sans succès aux élections du Parlement. Il ne reste pas longtemps en Angleterre et part en 1889 vers l’Afrique du Sud où la guerre des Boers vient d’éclater. Winston Churchill est alors fait prisonnier par les Boers et emprisonné à Pretoria. Il s’évade rapidement ce qui qui accroît sa notoriété. Il demande à nouveau une affectation comme officier ce qui était devenu inconciliable avec un statut de correspond de guerre. Devant le manque de bons officiers, le général Buller accepte de lui donner une place d’adjudant sans solde. Il participe à plusieurs batailles, contribue à libérer les prisonniers de Pretoria et échappe miraculeusement à la mort.
Le Parlement (1900-1910)
Ses exploits militaires et son évasion en Afrique du Sud ont donné à Churchill une certaine notoriété qui lui permet de gagner confortablement sa vie grâce à ses articles, ses livres et ses conférences. Cela lui permet surtout d’accéder à la Chambre des Communes en 1901. Il se fait remarquer dès son discours inaugural en appelant à une paix généreuse avec les Boers et en louant leurs qualités. Il prend partie pour une augmentation du budget militaire britannique, notamment celui de la Royal Navy. Il est conscient, dès cette période, de la probabilité élevée d’un conflit européen et affirme la supériorité morale de l’Angleterre sur les autres nations. Il dénonce aussi les difficiles conditions de vie des ouvriers britanniques, inspiré par le réformiste Seebohm Rowntree et conscient de la situation des ouvriers de sa circonscription, Oldham. Il défend le libre-échange pour y remédier. Il s’oppose, par ses positions, aux tories et prône de nouvelles idées pour le parti conservateur.
En 1904, la rupture est totale et Churchill « traverse la Chambre » pour s’installer sur les bancs des libéraux. Il se présente ensuite à Manchester, soutenu par la communauté juive grâce à son opposition à l’Aliens Act de 1905, visant à endiguer l’arrivée des réfugiés juifs d’Europe de l’Est fuyant les pogroms. Il est réélu confortablement en 1906 dans un contexte de succès électoral des libéraux.
Le centre des événements (1910-1915)
Nommé à la tête du Home Secretary, Winston Churchill doit faire appel à la police contre les grévistes à plusieurs reprises, notamment contre les mineurs du pays de Galles. Cela le suit pendant des années avec le cri « Souviens-toi de Tonypandy ! ».
Il devient premier lord de l’Amirauté en 1911 et participe à la modernisation de la Navy, tenant à maintenir la supériorité de l’Angleterre sur l’Allemagne. Il lance la production des cuirassés Queen Elisabeth qui fonctionnent au pétrole. Pour assurer leur approvisionnement, il négocie l’achat de l’Anglo-Iranian Oil Company. Mais Churchill est fragilisé par l’échec de Gallipoli, dans les Dardanelles. Un gouvernement d’union nationale est formé et Churchill est écarté du pouvoir. Il demande alors à être affecté sur le front. Il frôle à nouveau plusieurs fois la mort dans les tranchées avant de retourner à la vie politique.
Guerre et paix (1915-1932)
Churchill peine à retrouver un poste politique. Sur les conseils de sa femme Clémentine, il obtient qu’une commission d’enquête se penche sur les Dardanelles. Il est blanchi, ce qui facilite sa nomination comme ministre de l’Armement en 1917. Il fait augmenter la production d’armes et coordonne la politique d’armement avec la France.
Son horizon politique s’éclaircit : réélu aux Communes en 1918, secrétaire d’Etat à la Guerre et à l’Air en 1919, secrétaire d’Etat en 1921.
Face à la guerre civile irlandaise, Churchill préconise la formation d’unités militaires antiterroristes avant d’accepter une partition du pays et des négociations avec l’IRA. Il conclut un accord avec Michael Collins qui aboutit à la création de l’État libre d’Irlande. Une part importante de l’IRA ne l’accepte pas et Collins est assissiné en 1922.
En 1923, Churchill perd sa place aux gouvernement et au Parlement. Il est réélu l’année suivante en retraversant la chambre pour rejoindre les conservateurs, plus à même de battre les travaillistes. Stanley Baldwin, Premier ministre, lui propose l’Echiquier. Une de ses premières mesures et d’augmenter les pensions de retraite et les allocations chômage. En 1926, il s’oppose avec force à la grève générale, mais soutient la création d’un salaire minimum pour les mineurs. Les conservateurs sont vaincus en 1929. Dans les années 1930, Churchill est isolé en raison de son opposition à une plus grande autonomie de l’Inde et de ses avertissements sur la montée du nazisme.
Il se consacre alors à l’écriture : The World Crisis, une histoire de la Première Guerre mondiale en 1929, puis My Early Life sur ses souvenirs de jeunesse en 1930. Il se lance dans la rédaction d’une biographie de son ancêtre Marlborough, ralenti par un accident de voiture et par une fièvre paratyphoïde. L’ouvrage ne sera pas achevé avant une vingtaine d’années.
Vers la guerre (1933-1940)
Dans les années 1930, l’événement essentiel, pour les hommes politiques britanniques, n’est pas la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier en 1933 mais la crise économique. Les investissements militaires diminuent alors que l’Allemagne devient la première puissance militaire mondiale. Winston Churchill demande le doublement puis le quadruplement de la Royal Air Force. S’il est soutenu par une large part de l’opinion publique, ce n’est pas le cas du gouvernement. En 1938, le réarmement britannique débute et en 1939, au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie, Chamberlain reconnaît que les avertissements de Churchill n’étaient pas sans fondement. La Grande-Bretagne, de même que la France, s’engage à une action militaire si la Pologne était attaquée. Lors de l’attaque de la Pologne, Chamberlain pose un ultimatum à l’Allemagne. Resté sans réponse, il déclare la guerre et nomme Churchill Premier lord de l’Amirauté. Une drôle de guerre s’installe jusqu’à la démission de Chamberlain le 10 mai 1940. Churchill, sur son avis, lui succède.
Un Premier Ministre seul (1940-1941)
Churchill se nomme lui même ministre de La Défense. Il dirige la guerre grâce à sa « boîte », un porte-documents noir dont seuls Churchill et ses secrétaires avaient la clé. John Keegan décrit son emploi du temps et évoque les soutiens sur lesquels il peut s’appuyer. Face aux avancées allemandes, il exhorte le Parlement et le peuple à résister dans des discours restés célèbres.
Churchill confie au SOE (Special Operations Exécutive) de soutenir les opposants, mais sousestime l’ampleur de la répression nazie, notamment en Grèce et en Yougoslavie. John Keegan évoque ensuite les différents projets de Churchill pour attaquer les nazis sur tous les fronts. La mise en place du prêt bail en 1941 permet aux Britanniques de poursuivre la guerre. L’Angleterre traverse alors des « heures sombres », marquées par des bombardements incessants. Churchill entretient le moral des Anglais par des discours grandiloquents. Après une rencontre peu fructueuse entre Churchill et Roosevelt, l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 décide enfin les Etats-Unis à entrer en guerre.
Les trois grands (1941-1945)
Après 1941, Churchill fait moins de grands discours, mais voyage beaucoup. Il n’est plus que l’un des trois grands avec Roosevelt et Staline. Malgré des soucis de santé, il tient à rencontrer le plus souvent possible Roosevelt et Staline pour défendre la place de la Grande-Bretagne. A Casablanca, en 1943, Roosevelt et Churchill s’accordent sur une intervention outre-Manche en 1944. Après cette rencontre, l’influence de Churchill parmi les trois grands, décline.
Roosevelt a une vision à court terme, alors que Churchill et Staline réfléchissent au futur de l’Europe. Churchill se préoccupe de l’influence soviétique. Sa santé décline, mais le succès d’Overload le requinque. Il reprend ses déplacements et discute avec Staline de l’après-guerre. Yalta permet de réunir une nouvelle fois les trois hommes pour le règlement du conflit. Roosevelt meurt peu après.
L’apothéose
Churchill est accueilli triomphalement en Angleterre, mais il n’est pas l’homme que souhaite les Britanniques pour les gouverner pendant la paix. Les travaillistes l’emportent.
Churchill participe à la conférence de Potsdam et reprend l’écriture. Il se consacre à The Second World War en 6 volumes. En 1953, il obtient le prix Nobel de littérature. Il voyage pour donner des conférences et exprime ses craintes envers la menace communiste à Fulton, dans le Missouri, en 1946.
En 1951, il redevient Premier ministre jusqu’à sa démission en 1955. Les dix années suivants sont passées en famille, notamment dans le sud de la France, marquées par la maladie. Churchill s’éteint en 1965. Des funérailles nationales sont organisées, la reine y assiste, alors que le souverain n’assiste traditionnellement qu’aux obsèques de la famille royale.
Présentation et revue de presse sur le site des Belles Lettres
Jennifer Ghislain pour les Clionautes