« Que peut-on savoir des premières guerres de Rome ? Quelle a été la portée des défaites romaines au sein des conflits militaires, qui ont tous été réécrits postérieurement comme des victoires indubitables de Rome ? » Telles sont les questions que se pose Mathieu Engerbeaud, maître de conférences à Aix-Marseille Université et spécialiste d’histoire militaire de la République romaine, dans son dernier livre Les Premières guerre de Rome (753-290 av. J.-C.) paru aux éditions Les Belles Lettres. Cet ouvrage achève la publication de la thèse de doctorat de l’auteur, dont la première partie intitulée Rome devant la défaite est déjà parue chez le même éditeur en 2017. Toutefois, même si l’auteur considère que ce volume « prolonge des réflexions entamées dans [le] premier ouvrage, avec lequel ce nouveau livre est destiné à dialoguer », il peut être lu sans avoir eu connaissance du premier travail. L’objectif de M. Engerbeaud est d’offrir un outil de travail sur l’histoire des guerres romaines archaïques depuis l’époque royale jusqu’au dénouement de la troisième guerre samnite en 290 av. J.-C.. Ainsi l’auteur a-t-il décidé d’insérer en annexe un « catalogue des évènements militaires de la conquête romaine ». Ce catalogue recense l’ensemble des évènements impliquant l’armée romaine ou une armée alliée, par ordre chronologique, tout en mentionnant le nom de l’auteur des différentes sources utilisées, l’issue des affrontements, ainsi que des informations complémentaires à l’issue des conflits.

Dans l’introduction, M. Engerbeaud expose la difficulté de travailler à partir des récits historiques pour étudier les premières guerres de Rome. En effet, ces récits ont été réécrits à une époque où Rome exerçait son hégémonie sur le monde méditerranéen, puisque le plus ancien d’entre eux date du IIIe siècle av. J.-C.. Ainsi les textes rédigés par les Anciens ne restituent pas fidèlement les faits historiques, car les objectifs de ces auteurs étaient avant tout politiques et moralisateurs. L’auteur explique également la difficulté rencontrée face à l’existence de textes divergents dans l’historiographie antique pour des évènements peu connus, mais aussi pour des épisodes célèbres. En effet, il n’est pas rare que les sources soient contradictoires pour un même évènement. Ainsi, certaines batailles présentées comme des défaites par des auteurs antiques peuvent être vues comme indécises voire même décrites comme des victoires par d’autres. Cela vaut d’ailleurs pour l’ensemble de la période étudiée par l’auteur, y compris pour le IIIe siècle av. J.-C., pourtant proche chronologiquement de la rédaction des premiers textes anciens.
Pour mener à bien son projet, l’auteur explique qu’il a été amené à comparer les différentes sources mentionnant les guerres archaïques de Rome. Cette méthode lui a permis de mettre au jour les divergences entre les différents récits. Ce travail de comparaison permet de dresser un premier constat, celui de l’omniprésence de l’activité guerrière dans les récits des premiers siècles de l’histoire de Rome. En effet, M. Engerbeaud comptabilise 747 évènements impliquant l’armée romaine ou une armée alliée sur une période de 463 années entre 753 et 290 av. J.-C. Toutefois, il explique également que les historiens actuels sont dépendants des récits des Anciens, du fait d’une documentation archéologique insuffisante pour cette période. Par conséquent, l’auteur fait le choix d’une analyse diachronique des premières guerres de Rome, c’est-à-dire qu’il tient « compte des époques, orientations et contextes différents des récits pour interpréter les évènements militaires des premiers siècles de Rome ».

La synthèse rédigée par M. Engerbeaud, qui forme la première partie du livre, est divisée en six chapitres qui présentent chronologiquement les guerres depuis l’époque royale jusqu’au début du IIIe siècle av. J.-C.. Cette partie permet à l’auteur de poser un ensemble de questionnements concernant :

  • la réécriture des guerres de l’époque royale ;
  • la place des guerres dans l’affirmation de la res publica libera c’est-à-dire les premières années de la République ;
  • l’absence de véritables conquêtes tout au long d’un Ve siècle pourtant jalonné de victoires ;
  • la place du sac gaulois dans la naissance de l’impérialisme romain ;
  • le sens des guerres du Latium lors de la première moitié du IVe siècle (poursuite des guerres antérieures ou simples révoltes ponctuelles) ;
  • la réécriture des premières guerres de Rome en Italie centrale au cours de la deuxième moitié du IVe siècle.

Au sein d’une seconde partie, l’auteur met à disposition du lecteur un ensemble d’annexes composés notamment du « catalogue des évènements militaires de la conquête romaine (753-290 av. J.-C.) » précédemment présenté. On y trouve également des documents statistiques, plusieurs  illustrations et cartes, ainsi qu’une description des différents lieux rencontrés dans l’ouvrage.

Au final, l’étude diachronique des sources a permis à M. Engerbeaud de montrer que les écrits sur les guerres archaïques de Rome n’ont pas cessé d’être modifiés depuis le IIIe siècle av. J.-C. jusqu’à la fin de l’Antiquité. Pour l’auteur, les sources antiques, bien que limitées, décrivent précisément les premières guerres de Rome. Toutefois, ce serait une erreur d’étudier les récits decette documentation uniquement comme des sources historiques, car ce sont avant tout des œuvres littéraires. Par ailleurs, les écrits des auteurs antiques avaient pour objectif de répondre à des enjeux sociopolitiques d’époques différentes. Pour M. Engerbeaud, il faut également garder à l’esprit que les Anciens avaient recours à la fiction pour rédiger l’histoire des guerres romaines. Ils se sont d’ailleurs très largement inspirés d’évènements célèbres de l’histoire grecque pour la construction de leurs récits.

Pour conclure, il s’agit d’un ouvrage qui intéressera surtout les lecteurs qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur le thème des premiers conflits de la cité romaine, ou sur la manière dont les Anciens se sont réappropriés cette histoire. Il convient toutefois d’avoir quelques connaissances de départ, à la fois sur l’histoire de Rome et de la péninsule italienne au moment où se déroulent les guerres présentées dans l’ouvrage, mais également sur les différentes époques au cours desquelles ces premiers écrits ont été rédigés par les historiens de l’Antiquité.