La réputation d’invincibilité des légions romaines a été parfois rudement démentie sur le champ de bataille. Tel fut le cas à Orange (Arausio en latin) qui s’inscrit dans la courte liste des désastres militaires de la Rome antique. Elle y prend rang entre L’Allia et Cannes d’un côté, Carrhes et Teutoburg d’autre part. On doit d’ailleurs de connaître sa date exacte au fait qu’elle ait été décrétée jour funeste dans le calendrier romain. Un triste privilège réservé aux débâcles les plus dramatiques de l’histoire de la Cité de la Louve…

Le site provençal a en effet été le théâtre d’une terrible bataille d’anéantissement au cours de la Guerre des Cimbres (115 à 101 avant J.-C.). Deux armées romaines y furent détruites en tentant vainement d’infliger un coup d’arrêt à une coalition de peuples germano-celtiques en migration vers le sud. La supériorité militaire des barbares, plus expérimentés que leurs adversaires, est accrue par la désunion entre les deux consuls commandant les troupes romaines, résultant de leurs divergences socio-politiques. La lutte s’achève en un massacre général des vaincus, non-combattants inclus. Rares sont les survivants à avoir pu s’enfuir, à l’exemple des deux consuls. Les prisonniers sont impitoyablement sacrifiés en remerciement aux dieux. Le chiffre des pertes est énorme : 120.000 personnes au total auraient péri sous les coups des guerriers germano-celtiques.

Cette issue sanglante fait d’Orange une bataille d’extermination, sans être pour autant une bataille décisive. En effet, les Cimbres, Teutons, Tigurins et autres tribus victorieuses n’exploitent pas leur victoire sur le plan stratégique. Cela laisse le temps à Rome de se ressaisir et de confier son destin à un homme providentiel, le consul Marius. Ce dernier réforme l’armée romaine et forge ainsi un outil apte à éliminer la menace. Teutons et Cimbres sont successivement écrasés à Aix-en-Provence en 102 et à Verceil en 101.

La bataille d’Orange et ses tenants et aboutissement n’ont longtemps été connus que par la seule entremise d’une dizaine de sources écrites antiques plus ou moins détaillées. La localisation de son champ de bataille n’a été définitivement établie que récemment. Son site fait l’objet depuis 2014 de fouilles archéologiques scientifiques sous la direction d’Alain Deyber. Historien militaire spécialiste de l’archéologie des champs de bataille, il apporte un éclairage précieux en proposant cet ouvrage solidement documenté et très richement illustré. Croisant le savoir académique avec les apports de l’archéologie, le livre dresse un tableau d’ensemble clair et précis. Le contexte initial, les forces et chefs en présence, le déroulement de la bataille, ses conséquences à tous les niveaux, tout cela est considéré tour à tour de façon très didactique.

Le lecteur attentif appréciera particulièrement la confirmation par l’archéologie des sources écrites anciennes. Elle en élargit l’interprétation et comble les lacunes. L’identification topographique des différents camps romains permet ainsi d’étayer le jugement critique porté sur les agissements du consul Servilius Caepio (aux antécédents déjà douteux de détrousseur du trésor des Volques Tectosages), et de réhabiliter la pertinence tactique de son collègue Mallius Maximus. Le sacrifice des dépouilles du combat, la mise à mort cruelle des chevaux et des prisonniers sont également validés par les fouilles archéologiques. Plus largement, on mesure à quel point l’étude de terrain complète les écrits antiques pour préciser les conditions matérielles et opérationnelles du combat. Mais le dossier n’est pas clos. La recherche est toujours en cours et les campagnes de fouilles à venir enrichiront sans nul doute le corpus des connaissances. Dans l’attente des publications scientifiques futures, ce volume gratifié d’une préface de Yann Le Bohec a déjà tous les attributs d’un titre de référence, joints à ceux d’un texte très accessible et parfaitement illustré. On y trouvera tout à la fois une lecture très recommandable pour les passionnés d’histoire romaine et une promesse : Arausio n’a pas encore dit son dernier mot.

 

© Guillaume Lévêque

 

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