Cet ouvrage, s’appuyant sur des sources très riches et diversifiées, est fondamental pour le sujet en particulier et pour les recherches sur la captivité de guerre en général. Il constitue la version remaniée de la thèse de Fabien Théofilakis soutenue en 2010 et qui s’intitulait : les prisonniers de guerre allemands en mains françaises (1944-1949 : captivité en France, rapatriement en Allemagne)

sous la direction d’Annette Becker et Henry Rousso et réalisée dans le cadre d’une cotutelle entre l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense et l’Université d’Augsbourg, en Bavière. M. Théofilakis est, pour cette thèse, lauréat du prix de la meilleure thèse franco-allemande, décernée par l’Université franco-allemande et prix de la meilleure thèse du Comité franco-allemand des historiens, entre autres. Fabien Théofilakis est actuellement au Centre Marc-Bloch à Berlin, membre du labroratoire de recherche « Histoire de l’art et des représentations » (université de Paris Ouest-Nanterre) et chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS).Avant tout, rappelons l’originalité de ces prisonniers, environ un million en France, qui restent captifs pour l’essentiel jusqu’en 1948 alors que leur pays d’une part n’est plus en guerre, et d’autre part n’existe plus.

La vie dans les camps
Ce livre est constitué de trois parties. La première, les prisonniers de guerre allemands et la France, évoque la vie dans les camps et le rôle considérable des PG pour la reconstruction de l »économie française. Le Service des prisonniers de guerre allemands (SPGA) est créé à Alger en mai 1943, mais l’essentiel des prisonniers de guerre allemands en mains françaises est soit capturé par les Français entre 1944 et 1945, soit transférés par les Etats-Unis – 450 000 PG – car la France a besoin de main d’oeuvre. Ils ont entre 14 et 75 ans, mais 80 % ont moins de 40 ans et 66 % moins de 30 ans (p. 369) et sont destinés à reconstruire le pays en travaillant d’abord pour le gouvernement, puis pour des particuliers et des collectivités locales également. Les premiers temps sont très difficiles pour les captifs, d’abord parce que les conditions matérielles en France sont plus que précaires, mais aussi parce que le gouvernement provisoire a du mal à se faire obéir localement et que des règlements de compte sur les PG existent.
Ce sujet a déjà été travaillé par Valentin Schneider (Un million de prisonniers allemands en France, 1944-1948, Vendémiaire, 2011, voir le compte rendu à cette adresse http://clio-cr.clionautes.org/un-million-de-prisonniers-allemands-en-france-1944-1948.html#.U7pxWBY4ZHI) , mais Fabien Théofilakis est beaucoup plus exhaustif et s’appuie notamment sur les témoignages de quatre-vingt anciens prisonniers de guerre rencontrés dans toute l’Allemagne. Il évoque certains aspects jusqu’alors méconnus comme par exemple la présence dans les camps en France du CALPO, groupe de résistants communistes allemands qui réalise les premières fiches de PG dans les camps, dans le but de construire une nouvelle Allemagne. Mais leur influence disparaît avec la Guerre froide (p. 42 à 53). Les parties deux et trois sont, quant à elles, très novatrices.

Les prisonniers de guerre dans les relations internationales.
Entre 1944 et 1948, la situation de la France dans les domaines de l’économie et des alliances internationales, évolue considérablement. A partir de 1946, dans le cadre de la mise en place de la Guerre froide et du relèvement de l’Allemagne souhaité par les Etats-Unis – de détenus parce que punis, les Allemands deviennent des alliés- , des pressions pour la libération des prisonniers s’exercent d’autant plus sur la France qu’elle s’y oppose car les prisonniers lui permettent de réussir les objectifs de reconstruction du plan Monnet. Mais la France, ne pouvant paraître aussi fermée que l’URSS qui, à la même époque, refuse également les libérations, fait alors des propositions : d’abord une immigration de main d’oeuvre allemande, sorte de « relève », mais dont l’idée est abandonnée rapidement, puis un transfert des captifs en travailleurs civils libres à partir de 1947. En France, le plan de rapatriement général commence durant l’année 1947, à raison de 25 000 prisonniers par mois. Mais dès septembre 1945, des prisonniers considérés comme inaptes – notion qui n’existe pas dans la convention de Genève mais qui témoigne bien de l’intérêt principalement économique des PG pour la France – sont renvoyés sans aucune prise en charge, et les captifs de moins de 18 ans sont libérés en 1947. Parallèlement, la France gère une zone d’occupation en Allemagne et doit jongler avec le fait d’être à la fois une puissance détentrice d’Allemands qui ne sont plus des prisonniers de guerre car la guerre est finie et une puissance occupante qui veut construire de bons rapports avec la population allemande et doit notamment accueillir les prisonniers libérés. Fabien Théofilakis montre bien que les ordres parisiens ne correspondent souvent pas avec les préoccupations à Baden Baden.

Les prisonniers de guerre allemands et l’Allemagne.
Pour les Allemands, les prisonniers de guerre sont des civils victimes d’atrocités, des citoyens qui paient pour la politique de Hitler qui leur était imposée. Des pétitions sont organisées pour la libération des prisonniers, et/ou pour mettre en place une sorte de relève des captifs contre les vrais coupables, les Nazis et les SS. Des collectes de dons apparaissent : exigence de Paris pour vêtir et nourrir les prisonniers, mais également mouvement organisé par les églises catholiques et protestantes allemandes ainsi que par de nouvelles structures créées dans la zone d’occupation française en Allemagne pour remplacer la Croix- Rouge allemande interdite entre 1946 et 1948 pour cause de noyautage nazi. Fabien Théofilakis montre bien le rôle difficile de la Croix-Rouge internationale, dépositaire du respect de la Convention de Genève protégeant les prisonniers de guerre, mais également acteur de la société de Guerre froide qui se met alors en place et pour lequel la neutralité est difficile.

Utilisation pédagogique
Cet ouvrage permet, en terminale, de nuancer la mémoire d’après guerre, notamment gaulliste. Il n’est jamais fait allusion à la captivité des vaincus allemands – ou japonais d’ailleurs– et la façon dont ils sont traités par le gouvernement provisoire, ni à la violence semblable à l’épuration (p. 63) qui aboutit à l’exécution sauvage de PG avant que la justice républicaine ne s’impose. Il permet aussi de comprendre et d’illustrer la concurrence entre le gouvernement provisoire et les forces locales de la Résistance.
Les difficultés de la reconstruction en France peuvent aussi apparaître au regard de la présence et du travail des PG allemands en France.
Ce livre montre de manière inédite les rapports entre les Alliés et anciens alliés au début de la bipolarisation ainsi que le fonctionnement de la zone d’occupation française en Allemagne, vu de Paris, mais aussi de Baden Baden et l’image que les Allemands ont de la France, puissance occupante.
En classe de Première, la dénazification peut aussi être illustrée par cette étude sur les PG allemands. Fabien Théofilakis indique qu’une hiérarchie existe dans les camps : les éléments nazis sont encore nombreux et ne diminuent que quand on descend vers les hommes de troupe.

Fabien Théofilakis, en réalisant cette vision transnationale de la captivité, dans un contexte d’après-guerre, de reconstruction, de mise en place de la bipolarisation, a bien montré l’importance des recherches sur la captivité de guerre pour comprendre à la fois les guerres, mais également les retours à la paix et le rapprochement des peuples.