Ce livre regroupe les actes du cinquième colloque international organisé en mai 2002 à Carcassonne par l’association Les Audois, qui publie des ouvrages historiques, l’Université de Toulouse-le-Mirail et les Archives départementales de l’Aude. Le thème  » les prisonniers de guerre dans l’histoire  » reprend les recherches menées à l’Université de Toulouse-le-Mirail sur les deux grandes guerres du XXème siècle et les publications déjà réalisées par les partenaires organisateurs, la plus célèbre étant Les Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, en 1978. La période embrassée par ce colloque peut paraître très étendue, mais les trois directeurs sont des spécialistes des sources et couvrent plusieurs périodes historiques. Pascal Payen, professeur à l’Université de Toulouse-le-Mirail, est un spécialiste de Plutarque (Les vies parallèles de Plutarque, Gallimard 2001), Sylvie Caucanas, actuellement directrice des archives de l’Aude a travaillé sur Les Moulins et l’irrigation en Roussillon du IXème au XVème siècle (CNRS éditions, 1995) et Rémy Cazals, professeur à l’Université de Toulouse-le-Mirail est un spécialiste de la Grande Guerre et a notamment publié en 2002 chez Privat, avec son collègue Eckart Birnstiel, présent au colloque qui nous intéresse, les carnets de guerre et de captivité de trois soldats, français et allemands, durant la Première Guerre mondiale, sous le titre Ennemis fraternels. Ils se sont en outre entourés de spécialistes incontestables de l’Antiquité jusqu’à nos jours, les vingt-cinq participants aux débats venant de France pour seize d’entre eux, de Suisse (3), de deux Italiens, d’un Américain, d’un Belge, d’un Bulgare et d’un Allemand, avec le regret indiqué que certains spécialistes n’aient pu venir (Annette Becker par exemple).

Les communications sont organisées en quatre thèmes : les représentations (quel regard porte-t-on sur le captif ?), les contradictions (quelle violence s’autorise une communauté politique envers les vaincus ?), les échanges (et donc les rapports entre les vainqueurs et les vaincus) et enfin les retours chez eux des prisonniers. Quatre conclusions ont été mises en évidence dans la conclusion par Rémy Cazals et Pascal Payen. Ils soulignent d’abord la volonté constante de donner un cadre légal à la relation avec les prisonniers de guerre, ce qui est neuf, puisque jusqu’à présent, les premières réglementations concernant les prisonniers de guerre étaient datées du décret de l’Assemblée nationale française du 4 mai 1792, qui plaçait les prisonniers sous la protection de la Nation, mais avant les règlements de La Haye de 1899, le prisonnier de guerre ne bénéficie d’aucun statut juridique.Françoise Bériac-Lainé insiste sur l’existence, sous Alphonse X de Castille, du Code des sept parties, qui représente une mise par écrit de pratiques concrètes anciennes à suivre concernant les prisonniers. La deuxième conclusion prend la forme d’une typologie chronologique du regard porté sur le prisonnier qui relève, selon Rémy Cazals et Pascal Payen, de l’inconscient collectif : d’abord l’hostilité, puis la méfiance, puis la curiosité et enfin la compassion, insistant bien sur le fait que bien traiter son ennemi est une autre manière d’affirmer sa supériorité. De plus, chaque rapport vainqueur/vaincu est un cas particulier, pouvant aller de la violence – nombreux sont les participants à signaler cependant que les massacres de prisonniers, en dehors des combats, sont excessivement rares – à une forme d’aide (nourrir, soigner par exemple). La troisième conclusion montre que le regard porté sur le prisonnier de guerre est influencé par des stéréotypes confirmés ou infirmés, parfois supprimés par la proximité avec les prisonniers. Enfin, la dernière conclusion montre que le prisonnier de guerre témoigne en fait du rapport entre deux États ou deux gouvernements qui doivent inventer de nouvelles structures pour intégrer ou réintégrer les captifs, illustrés notamment par deux communications très intéressantes : Michel Pillon montre que l’État romain, depuis ses origines, a mis en place pour réintégrer les prisonniers de guerre une disposition juridique particulière, le postliminium. Snezhana Dimitrova évoque le difficile retour des prisonniers bulgares.

Les communications sont très intéressantes, même si, évidemment, certaines retiennent plus l’attention, en fonction des préoccupations personnelles ou de leur nouveauté. Eckart Birnstiel, travaillant sur le Simplicissimus de Grimmelshausen, montre qu’un soldat fait prisonnier pouvait facilement passer d’un camp à l’autre, surtout s’il ne pouvait pas payer sa rançon, au cours de la guerre de Trente Ans. D’autres intervenants ont confirmé cette pratique. Autre communication très intéressante, celle de Giovanna Procacci concernant les prisonniers de guerre italiens de deux guerres. Elle montre que, durant la Grande Guerre, la forte mortalité des prisonniers italiens est dûe au refus du gouvernement italien, à la différence des autres gouvernements européens, d’envoyer des colis à ses ressortissants, et ce malgré les demandes insistantes du Vatican et de la Croix-Rouge notamment. Le prétexte découvert dans l’étude des archives est que les prisonniers sont considérés comme s’étant rendus à l’ennemi ou aillant déserté (méfiances très fréquemment formulées à l’égard des prisonniers). Durant la Seconde Guerre mondiale, les prisonniers italiens sont à peine mieux traités que les Soviétiques, pour les obliger à adhérer à la République de Salo. Laurent Macé montre que les prisonniers de guerre, au XIIIème siècle, étaient mutilés et gardaient, sur le visage, les marques toute leur vie de leur captivité ; Armelle Mabon et Martine Cuttier évoquent la captivité, rarement mise en lumière si ce n’est à travers les événements de Thiaroye en 1944, des prisonniers de guerre africains durant la Seconde Guerre. Plusieurs communications montrent enfin que tous les prisonniers n’ont pas la même valeur, qu’un tarif officiel est parfois établi (communication d’Anne Bielman et Pierre Ducrey à propos des prisonniers dans l’Orient ancien et la Grèce antique) et que certains prisonniers sont libérés sans rançon et à titre individuel pour s’assurer son appui, s’il est un personnage important, ou celui de sa ville ou de sa famille.

Il faut également insister sur le travail remarquable fait à propos des sources : grâce à la communication de Philippe Mathez sur l’Agence internationale des prisonniers de guerre et sa gestion des archives, qui amorce le colloque, mais aussi grâce à la conclusion de Pascal Payen et Rémy Cazals qui mettent remarquablement en valeur trois types de sources concernant la captivité : les sources créées par la captivité ; les sources créées par l’historien ; et les sources nouvelles, c’est-à-dire nouvellement questionnées par les chercheurs.
Enfin, au détour d’une discussion, un vif débat s’engage entre les tenants de la culture de guerre suivant l’Historial de Péronne, et les opposants à cette notion.

Ces communications, très intéressantes parce que relevant les points communs à tous les prisonniers de guerre, de l’Antiquité à nos jours, ne posent cependant pas un problème majeur : celui de la définition du prisonnier de guerre. Certes, elle a changé dans le temps, mais il eut été intéressant de mener une réflexion sur la définition d’un prisonnier de guerre et son évolution. Pascal Payen évoque les femmes dans la tragédie grecque, les qualifiant de  » captives en temps de guerre « , d’  » esclaves « , de  » prisonnières « , mais pas de prisonnières de guerre ; Philippe Contamine parle de prisonnier-otage et pose la question page 40 :  » on peut se demander si le cas de Philippe de Vigneulles ressortit bien au thème du colloque  » avant de conclure par l’affirmative parce que la frontière est floue entre les guerres publiques et privées au Moyen-Age. Adam J. Kosto est, lui aussi, gêné par cette absence de définition, et précise la différence :  » je m’occupe ici de l’otage conventionnel, l’otage comme type de sûreté personnel, un individu privé de sa liberté afin d’assurer un accord. (…) Dans le monde antique et médiéval, les otages étaient donnés. (…) Donc, les otages se différencient des captifs et des prisonniers de guerre « . Et à la fin de sa communication, il compare les otages et les prisonniers de guerre dans leur rôle de vecteurs de transmissions culturelles.
Cette absence de définition rend parfois la lecture un peu confuse – les captifs des pirates sont, par exemple, aussi évoqués au détour d’une communication – mais l’on peut aussi considérer que ce colloque ayant pour thème  » contacts entre peuples et cultures « , il montre finalement que la captivité ne s’achève pas à la libération, et qu’elle concerne aussi les familles, les cités toutes entières, les gardiens, les gouvernements… et pas seulement des soldats, ce dont témoignent les exemples les plus récents, à Guantanamo ou en Irak.

Evelyne Gayme