Voilà un ouvrage au titre énigmatique ! On croît avoir à faire à un livre où il va être question de mobilités et de durabilité mais dans les faits, la moitié du livre est consacré à la question de la location ou de la propriété des biens. Bref, voilà de quoi être décontenancée ! Cela n’est pas inintéressant pour autant, une fois l’effet de surprise passé !

Car effectivement, la réflexion menée sur la question de la propriété ou pas des objets est centrale pour aborder la question des mobilités. Alors que le prix du carburant flambe, la question des modifications des habitudes de mobilités des transports se pose de manière plus aiguë, et plus particulièrement pour les Français qui habitent le périurbain. Développer les transports en commun n’est pas une solution pour des espaces peu densément peuplés. Réfléchir à l’usage privé de l’automobile est une piste retenue par Jean-Pierre Orfeuil, qui s’appuie sur ce qui s’est dit lors du séminaire international « Acheter ou louer » de l’Institut de la Ville en Mouvement (2006, voir l’intégralité des communications du séminaire sur www.ville-en-mouvement.com) et d’enquêtes quantitatives et qualitatives menées par une équipe de l’ESCP-EAP (Ecole supérieure de commerce de Paris). L’idée qui a prévalu à ce séminaire est de partir des différentes manières de procéder pour arriver à une même fin. Pour cela, J.P. Orfeuil part d’un exemple très concret. Pour accrocher un cadre, on peut le faire soi-même avec un perceuse que l’on aura achetée, louée ou empruntée à un voisin ou faire appel à un professionnel. Pour accéder à un service, il n’est pas nécessaire d’être propriétaire de cet objet (surtout quand on est amené à s’en servir très peu chaque année). La location, le prêt sont des manières de faire nouvelles dans la société de consommation où posséder était une fin en soi. C’est ainsi que Jeremy Rifkin (The age of Access, The New Culture of Hypercapitalism Where All of Life Is a Paid-for Experience, 2000) qualifie la société post-industrielle. Ce courant vient des travaux d’Orsio Giarini (1966, un des pères fondateurs du Club de Rome) et se traduit par la mise en oeuvre de conseils de vie écologique.

« La mobilité n’est pas tout à fait une consommation comme une autre : elle est située dans l’espace et contrainte par des temporalités qui lui échappent : déposer les enfants à telle heure, être au travail à telle heure, etc. » La question qui se pose est de savoir si la propriété est la seule clé de la mobilité et si l’idée de partage pourrait être appliquée à l’automobile. Il s’agit de mettre en place une mobilité durable. 80% des distances parcourues le sont en voiture privée. Les solutions envisageables pour réduire le nombre de voitures sur les routes et ainsi diminuer les embouteillages, les ralentissements, les problèmes de stationnement existent : covoiturage, auto-partage, pédibus… De même, le développement d’un parc de deux roues motorisés de manière électrique peut être une solution puisque la majorité des déplacements se fait « en solo ». L’auto-partage a des marges de développement important puisque, sur les 30 millions de voitures que la France compte, 23% ne sont pas utilisées de manière régulière (moins de 10 000 km/an). Ces voitures pourraient être partagées ou leurs propriétaires pourraient s’en séparer pour s’abonner à un service d’auto-partage. Il semble toutefois que seul le critère monétaire incitera les populations à modifier leur comportement. En 2007, le kilomètre, parcouru en voiture particulière, revient à 18 centimes d’euro alors qu’il est de 12 centimes pour un kilomètre parcouru en transports en commun. Le différentiel n’est pas si important et ne justifie pas de modifier son comportement. De même, les systèmes de stationnement résidentiel mis en place dans les grandes villes (45 centimes d’euro par jour) n’incitent pas à mettre en œuvre l’auto-partage. L’incitation financière doit être la clé de voûte du système (exemple : versement sur la feuille de paie du salarié qui vient au travail en covoiturage ou en transports en commun de l’équivalent de ce que coûte la mise à disposition d’une place de parking par l’entreprise). Actuellement, l’incitation financière est trop faible dans le cas des systèmes d’auto-partage. J.P. Orfeuil analyse le cas d’une famille qui parcourt 3800 km par an en automobile. Si elle s’abonne à un système d’autopartage, cela lui revient à 3800 euros par an alors que si elle reste propriétaire de son véhicule, elle dépense 4000 euros par an (hors dépenses de stationnement). Les 200 euros de différence ne légitiment pas de changer d’habitude.

Malgré tout, J.P. Orfeuil est relativement optimiste sur les changements à venir, même si il a conscience que les barrières à lever sont nombreuses. Elles impliquent des changements dans les rapports entre personnes et entreprises de service. Elles demandent des changements qui se fassent en profondeur sur le long terme. Il ne croît pas au succès d’une théorie de la table rase. Les changements doivent venir des habitants eux-mêmes. Basé sur des travaux de 2006, le texte daté de 2008 (écrit en 2007 ?) porte un regard spécifique à son contexte d’écriture. Les primes à la casse, lancées en 2008, n’existaient pas encore. Elles ont eu comme effet de relancer la vente d’automobiles, dans un contexte de réduction du prix du carburant. En 2011, la prime à la casse a cessé et les révolutions arabes comme la reprise de la croissance dans les pays émergents renchérissent le prix de l’essence. L’heure est peut être venue de changer nos comportements de mobilités puisque le porte-monnaie a parlé !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes