Le récit de la mission diplomatique de sir Alexander Burnes à la veille de la première guerre anglo-afghane retrace les luttes d’influence russo-britanniques sur ce territoire. Ce livre est la première traduction française de ce récit de voyage par Nadine André, universitaire grenobloise qui signe aussi un dossier historique.
Le récit retrace trois années de la vie de l’auteur (1836-1838). Comme d’autres récits de voyage de cette époque se côtoient des descriptions de paysages, des impressions sur les mœurs des habitants, des considérations militaires et diplomatiques et des notes techniques: hydrographie, remarques botaniques et zoologiques, évaluation de la population, histoire locale, économie. Il constitue une source intéressante tant sur le pays que sur les perceptions des occidentaux face à une société très différente.

Dans sa préface Mickaël Barry spécialiste de l’Afghanistan à l’université de Princeton, auteur d’une histoire de l’Afghanistan de 1504 à 2011 – Le royaume de l’insolence, Flammarion 2011 et d’une biographie du commandant Massoud: Massoud; de l’islamisme à la liberté, Audibert, 2002 rappelle que l’Afghanistan n’a jamais été dominé par une puissance étrangère malgré les appétits des grands empires russe, britannique et plus récemment américain. Il replace la mission du diplomate dans le contexte géopolitique du début du XIXème siècle. Il rappelle les grandes lignes de la première guerre anglo-afghane, son coût humain et financier. Cette guerre a, pour lui, sceller l’identité afghane dans la mémoire collective et sert sinon de modèle du moins de point d’appui à toute résistance face à l’envahisseur tout en maintenant le pays dans un système de clientélisme et dans la pauvreté, une civilisation guerrière et de domination masculine.

L’auteur de ce récit fut lui-même victime de cette violence en 1841 dans un pays qu’il a sillonné entre observation et rêverie de l’épopée d’Alexandre et dont il nous a laissé quelques croquis qui illustrent le livre.

Nous cheminons avec Burnes en remontant la vallée de l’Indus pour une traversée du Sind : descriptions et récit minutieux entre déplacements, parties de chasse et travail diplomatique non sans un regard condescendant sur les populations rencontrées. On retiendra la description de Shikarpur et de ses activités commerciales. Au chapitre 4 avec l’entrée en terra incognita le récit devient plus scientifique: climat, fleuves, peuples rencontrés, activités économiques mais aussi recherche de la bonne route vers Kaboul.
De passage à Dera Ghazi Khan, il étudie les activités manufacturières (textile, coutellerie) et donne des informations très précises sur les échoppes du bazar et les prix pratiqués. Les nouvelles des affrontements à la passe du Khyber accélèrent son voyage non sans continuer à évaluer les perspectives commerciales de long de l’Indus, les ressources du sol et du sous-sol et les forces en présence dans la région.
La traversée de la passe de Khyber aux mains de tribus qui, comme aujourd’hui, sont mal contrôlées tant par le pouvoir de Peshawar que de celui de Kaboul est une épreuve rapportée en détail.

Parti en décembre 1836 il entre à Kaboul le 20 septembre 1837. De son entrée en terre afghane l’auteur retient d’abord l’abondance de fruits. S’il apprécie les paysages il trouve les mœurs plutôt violentes. En route vers le nord il découvre les vallées irriguées des versants sud de l’Hindou kouch et la rudesse du climat. Son enquête est précise jusqu’au montant du métayage, aux animaux sauvages. Il retrace les aventures médicales et diplomatiques de l’un de ses aides à Kunduz. Il s’intéresse aux Kafirs qui sont pour lui les descendants des troupes d’Alexandre dont il espère retrouver le chemin vers l’Inde. Son intérêt marqué pour la région nord est à mettre en relation avec la proximité de l’empire russe mais aussi de la Chine. On peut lire une intéressante étude sur les Hazaras et une relation précise de ses occupations et du ramadan à Kaboul. Il développe ses réflexions sur l’histoire locale entre musulmans et hindous.
Profitant du printemps il quitte Kaboul 26 avril 1838 pour Jalalabad, et Lahore atteinte le 17 juin.

Le récit nous renseigne autant sur la conduite de la diplomatie anglaise que sur le vaste champ d’observations de la mission qu’il conduit et que nous qualifierions aujourd’hui de pluridisciplinaire.

Un appendice complète son récit ou plutôt semble une synthèse de ses observations sur l’organisation politique et militaire de l’Afghanistan, ses relations avec les états voisins, sa situation économique.

Nadine André, en une centaine de pages propose un dossier historique. Elle décrit la carrière de cet écossais entré sur recommandation à l’East India Compagny, la qualité des rapports qu’il rédige l’amène à des missions de renseignements : à Lahore en 1831 pour évaluer les possibilités de navigation sur l’Indus et à terme de développer des activités commerciales, voyage jusqu’à Boukhara en 1832. Nadine André fait également une présentation de l’East India Compagny depuis sa création en 1600 ainsi qu’un tableau des spécificités et constantes de l’histoire afghane: parcouru par les grands conquérants d’Alexandre à Nadir Shah et pris dans les rivalités entre ses voisins, ce carrefour commercial est marqué par une société de clans, divisions ethniques, religieuses mais qui refuse route domination directe d’une puissance étrangère. Cette absence d’unité rend difficile l’émergence d’un pouvoir central, favorise le clientélisme. On retrouve ces caractères dans l’histoire du pays développée de la mort de Timour Shah en 1793 jusqu’à 1857 puis à grands traits jusqu’au retrait des troupes soviétiques en 1989. Quelques notes sur les auteurs qui ont rapporté la première guerre anglo-afghane complètent ce dossier.

L’ouvrage contient également un dossier cartographique, un répertoire de notices biographiques des personnages cités, un glossaire rapide, utile mais incomplet (il faut alors se reporter aux notes en fin de volume), une bibliographie et d’une table des matières détaillée.