Femmes et écriture de l’histoire : un rendez-vous souvent manqué
Cette place subalterne dans l’histoire, on la perçoit bien à travers la phrase de Froissart « le royaume de France est de si grande noblesse qu’il ne doit pas, par succession, aller à la femelle ».
L’introduction rappelle également le poids de la loi salique et le sort pas souvent enviable des femmes dans l’histoire. Elles furent souvent des objets de transaction, vues comme des saintes ou des sorcières. Pourtant il ne faut pas oublier que, connues ou non, elles pouvaient jouer de l’influence auprès de leur mari. Il ne faudrait cependant pas les réduire à cela car certaines eurent une réelle autonomie. Le but est clair : « combattre quelques idées fausses et …apporter un autre éclairage sur la vie de nos reines ».
Des portraits pour en savoir plus
Elles sont présentées par dynasties avec un code couleur qui permet de se repérer. C’est plus d’une trentaine qu’on peut découvrir parmi presque une centaine repérée par l’auteure. Cette variété de destins est un point apprécié des jeunes lectrices notamment. Le livre propose donc des portraits sous forme de double-page avec tout d’abord un repère chronologique, le nom de la femme concernée, un texte de quelques lignes pour la situer. Vient ensuite un texte détaillé et un encart sur un point de sa vie ou de sa légende. Il y a des sous-parties dans chaque double page pour aller rapidement à l’essentiel. Virginie Berthement propose des illustrations et des collages à partir de documents connus. Sa mise en images est à la fois discrète et pleinement réussie. Certains personnages ont droit à un traitement particulier avec un tampon qui précise qu’elle fut « presque reine ». Une bibliographie termine l’ouvrage.
Les plus célèbres et les plus influentes
L’ouvrage commence par Clotilde car cette fille de Chilpéric II exerça une influence importante après avoir épousé Clovis le païen. Autre femme célèbre mais très souvent résumée à une formule : Berthe dite aux grands pieds. En réalité, elle se nommait Bertrade de Laon et vécut au VIII ème siècle. Elle fut l’objet d’un récit écrit au XIII ème siècle par le trouvère Adenet.
Si Hugues Capet est célèbre, sa femme l’est beaucoup moins ! Adélaïde d’Aquitaine qui l’épousa en 970 à une époque où il était encore un inconnu.
Aliénor connut un destin extraordinaire car à la mort prématurée de son père, elle hérita du duché d’Aquitaine, soit l’équivalent de dix neuf départements actuels, ce qui représentait tout de même un territoire dix fois plus vaste que le royaume de France !
Blanche de Castille ne doit pas non plus être oubliée car pendant trois décennies elle épaula son fils. Même si Saint Louis s’émancipa, il ne semble pas y avoir eu de tension entre eux comme le prouve la mention de Blanche de Castille dans des actes officiels jusqu’en 1254. Anne de Bretagne est aussi un bon exemple d’une femme brinquebalée par l’histoire. En effet, elle fut deux fois reine de France et fit tout ce qui était en son pouvoir pour maintenir l’indépendance de son duché de Bretagne.
Une époque à travers une femme
Au-delà des présentations de reines, l’auteur a subtilement glissé de nombreux éléments de contexte. On apprend ainsi, chemin faisant, des points importants sur les époques parcourues. Pour la monarchie sont mentionnées et expliquées les regalia lorsqu’est présentée Judith de Bavière. Les Cathares sont évoqués dans le portrait de Constance d’Arles. On trouvera aussi mention notamment dans d’autres biographies de la réforme grégorienne, de la Peste noire ou encore de la Renaissance. Cela ne nous éloigne pas du sujet et permet au contraire de contextualiser des femmes sur lesquelles on connait généralement peu d’information. Parfois, la reine est tellement célèbre qu’on l’associe spontanément à un événement, comme Catherine de Médicis et la Saint-Barthélémy.
Les mal connues
Gageons qu’on découvrira ici de nombreuses figures. On peut citer pêle-mêle Bathilde car née en Angleterre, elle fut vendue en France comme esclave avant de devenir reine des Francs par son mariage avec Clovis II ! Une destinée pas banale qui se prolongea après sa mort avec sa sanctification. Elle fut aussi une bâtisseuse comme en témoigne le monastère de Chelles qu’elle restaura et agrandit. On découvrira aussi sans doute Bertrade de Montfort qui vécut à la fin du XI ème siècle. Elle était la fille de Simon I er, seigneur de Montfort, et sa vie et ses amours permettent de poser la question de la légitimité ou de réfléchir au poids de l’Eglise à l’époque.
Que dire de Frédegonde, au départ simple concubine, qui fit assassiner tous ceux qui la gênaient. Sa cruauté est devenue légendaire grâce à Grégoire de Tours qui ne l’aimait guère. Cependant, quelle est la part de vérité et d’invention quand on sait que Frédegonde tenta de tuer sa fille en lui coinçant la tête dans un coffre !
Les « presque reines »
Histoire de montrer la différence, six femmes n’ont droit qu’à une demi-page. Elles sont repérées dès le sommaire par une écriture en italique et donc qualifiées de « presque reines ». Parmi elles, des très célèbres dont Agnès Sorel qui fut la première favorite à occuper une place officielle à la cour de France. On trouvera également Gabrielle d’Estrées, Madame de Maintenon, ou encore la marquise de Pompadour.
Cette trentaine de portraits, étalés sur plus de quatorze siècles, donne donc à découvrir de nombreuses figures souvent oubliées. Conseillé à partir de douze ans, il est effectivement bien adapté à cette tranche d’âge et les passionnés d’histoire s’en emparent même un peu avant l’âge officiel. Cette approche incarnée qui marie l’histoire et l’anecdote est particulièrement appréciée. On peut entrer de différentes façons dans chaque double-page ce qui est une vraie valeur ajoutée. C’est une vue très synthétique et qui n’oublie pas en même temps de parler de chaque époque. Cela permet de ne pas marginaliser les femmes et donc de les réinscrire un peu dans l’Histoire.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes, avec l’aide de Nina.