À quelques semaines de la COP 21 qui est présentée comme une échéance majeure, au moins en France, ce numéro hors-série vient évidemment à point nommé. Il permet d’avoir une idée assez précise des débats sur le sujet.
L’objectif fixé par les différentes conférences internationales sur le climat est de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2° centigrades. Cet objectif a été assigné 20 ans après la conférence de 1992 sur le climat en 2010 à Cancun. D’après Antoine de Ravignan qui signe l’éditorial de ce numéro nous affirmes que nous sommes encore loin du compte. Il n’hésite pas d’ailleurs à parler d’irresponsabilité globale comme somme des irresponsabilités nationales et locales.
Pourtant il y aurait des raisons d’être optimiste, d’abord parce que la Chine semble avoir pris conscience des risques sur la stabilité politique de son régime lié au mécontentement de la population. Les citoyens chinois manifestent de plus en plus d’inquiétude et de ressentiment contre les prises de risque qui touchent leur santé et même leur survie.
Le scandale Volkswagen a permis aussi aux citoyens de se réapproprier l’enjeu climatique à partir d’une question immédiate de santé publique.
Même le point de vue du pape dans l’encyclique Laudato Si qui rappelle que la transition écologique globale passe par plus de justice sociale et par quelque conversion des comportements individuels, a connu un retentissement étonnant.
Le premier article « pourquoi un monde plus de 2° C c’est dangereux » est rédigé par Jean Jouzel, climatologue et vice-président du GIEC. Il lance un signal d’alarme en expliquant que dans un monde plus chaud les tempêtes, les inondations, les sécheresses menacent directement les conditions de vie sur la planète. Pour lui la solution est claire, il faut laisser dans le sous-sol 80 % des réserves de combustibles fossiles dont nous disposons. Dans cet article de synthèse l’auteur rappelle le scénario du GIEC qui montre le niveau de risque en fonction de l’élévation de la température et notamment les événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents et nombreux.
Alexandre Magnan et Renaud Lapeyre chercheurs dans le programme biodiversité de l’IDDRI rappellent l’importance de celle-ci dans la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique. Un encadré très simple rappelle que si les ouragans frappent plus durement Haïti que la République Dominicaine proche, c’est simplement lié au différentiel de couvert forestier entre les deux territoires. 4 % pour Haïti 28 % en République Dominicaine.
Alexandre Magnan et Jean-Pierre Gattuso évoquent le cas de l’océan, acteurs oubliés du réchauffement global. Au-delà de la mort des coraux consécutives à l’acidification et à l’augmentation de la température des océans, ce phénomène touche également les réserves halieutiques avec la diminution du stock de plancton. Les transformations chimiques que les océans connaissent affectent d’ailleurs l’aquaculture. À ce problème de sécurité alimentaire s’ajoute une inquiétude sanitaire. Le réchauffement des eaux de surface aurait un impact sur l’activité microbienne et donc sur le développement de certaines pathologies à vibrions comme le choléra.
Ce hors série est enrichi de cartes qui présentent de façon très attrayante les différents thèmes de ce numéro. On trouve par exemple des éléments sur la part des énergies renouvelables dans le mix électrique et le décalage apparait évidemment entre les pays d’Europe du Nord avec une production supérieure à la demande en Norvège et la France par exemple avec 16.9 % en pourcentage de la demande d’électricité dans l’Union.
Denis Pelbecq présente une courte synthèse sur ce que serait la solution ultime pour lutter contre le réchauffement climatique à savoir la capture et le stockage du CO². Cette solution reste encore chère La technique est déjà opérationnelle mais sa rentabilité n’est pas assurée et surtout les projets en cours ne permettent que des baisses minimes des rejets. 20 millions de tonnes de CO² rejetées en moins alors qu’il faudrait stocker 2.5 milliards de tonnes par an pour des effets significatifs d’ici 2050.
La capture de CO² est aussi couteuse en énergie et c’est bien là le problème. Le rendement d’une centrale charbon est de 43 % et il baisse de 10 % en cas de capture associée. Une tonne de CO² capturée coute 100 € alors que les quotas carbones se négocient à 7 € la tonne.
D’après l’auteur, la solutions réside dans la biomasse. La fermentation des végétaux produit du CO² concentré moins coûteux à extraire par exemple que celui d’une centrale. La transition est tout trouvée entre l’utilisation de la biomasse et l’adaptation de l’agriculture au changement climatique.
Sébastien Treyer présente les pistes de changement dans ce domaine même si l’on ne voit pas comment ce qu’il appelle l’agro-écologie pourrait répondre à des besoins alimentaires croissants. En réalité l’auteur est plutôt nuancé et son article se termine sur le constat que tout ou presque reste à faire.
Dans le même temps un petit article sur l’expérience d’agroécologie en Casamance, menée à petite échelle permet de rendre optimiste. L’utilisation des engrais naturels, des particularités répulsives de certains végétaux permettent d’éviter le recours aux produits chimiques de toute nature.
Une carte présente le défi du siècle à propos de l’enjeu climatique que représente le lien entre les forêts et l’agriculture. On n’y retrouve des tableaux très parlants sur les effets de la consommation de viande, l’impact de l’agriculture sur les émissions de gaz à effet de serre, un quart du total, ainsi que le graphique très précieux sur la croissance exponentielle des surfaces consacrées à la culture du soja dans trois grands pays comme les États-Unis le Brésil et l’Argentine. On sait que pour ces deux derniers pays cette production est largement consommée par les élevages chinois.
Alain Karsenty fait le lien entre la déforestation et la spéculation. La moitié des forêts de la planète disparue au XXe siècle la déforestation représenterait 10 à 15 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre le mécanisme qui a été créé en 2005 « réductions des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement » serait plutôt discutable en raison de sa complexité et favoriserait plutôt la spéculation sur des certificats d’émission de carbone particulièrement discutables dans leur orientation. Ces certificats ont été largement instrumentalisés à des fins spéculatives par des cabinets privés sans que les effets ne soient directement perceptibles.
Olivier Sartor et Mathilde Mathieu reviennent sur les ambitions climatiques de l’union européenne. Celle-ci affiche des objectifs ambitieux, notamment la réduction de -40 % en 2030 par rapport à 1990, mais les progrès sont encore trop lents. Dès lors que l’union européenne n’est pas en mesure de prélever des impôts des taxes à l’échelle européenne il est impossible de mettre en œuvre un mécanisme de taxation du CO2 sans l’unanimité des états. Par ailleurs en 2007 la phase expérimentale du marché européen du carbone a été achevée et depuis cette date le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen du carbone reste toujours aux alentours de 7 à 8 € ce qui serait globalement insuffisant pour inciter les industriels à choisir des filières moins émettrices de carbone.
Vincent Boulanger rappelle la volonté de l’Allemagne de dire adieu au charbon, après avoir envisagé la fermeture de ses réacteurs nucléaires. Il n’en reste plus que huit en service à l’échelle du pays pour 15 % de la production électrique totale. La république fédérale produit 40 % son électricité à partir de houille et de lignite et envisage de réduire ce parc court terme.
C’est surtout la montée en puissance des énergies renouvelables dans la transition énergétique allemande qui permet d’obtenir un bilan plutôt flatteur en matière de réduction des gaz à effet de serre. Celle-ci a représenté 50 milliards de tonnes en moins par rapport à 1990.
On terminera cette présentation en évoquant le cas des grands puissances comme les États-Unis ou la Chine qui semble avoir pris conscience de leur responsabilité particulière dans ce domaine. Les émissions de gaz à effet de serre commencent depuis 2008 à reculer aux États-Unis essentiellement dans le secteur de la production d’électricité qui utilise en réalité de plus en plus de gaz de schiste que de charbon. Mais en même temps la demande de charbon à l’exportation augmente. Le bilan des deux mandats de Barack Obama est pourtant positif puisque la part des énergies renouvelables a doublé dans la génération d’électricité dès le premier mandat. Les nouvelles normes d’émissions pour le secteur du bâtiment pourraient représenter une baisse de 20 % de la consommation d’ici à 2020.
En Chine il semblerait que les revendications citoyennes en matière de qualité de l’air commencent à produire leurs effets ce qui est paradoxal dans un pays qui loin d’être une démocratie à l’occidentale. La Chine met en place un système calqué sur celui qui fonctionne depuis 2005 dans l’union européenne à savoir marcher du carbone national qui devrait être généralisé à partir de 2016. Pourtant les émissions globales continues à augmenter en matière de CO2 même si elles ont diminué pour ce qui concerne le dioxyde de soufre. L’intensité énergétique diminue par contre ce qui traduit une amélioration technique et augmente le rendement des installations de production d’énergie. Les deux auteurs de cet article Tancrède Voituriez et Xin Jian, chercheurs à l’IDDRI s’interrogent pourtant sur les enjeux de pouvoir que cette évolution vertueuse peut dissimuler. La révolution énergétique chinoise peut être un moyen pour Pékin de renforcer l’autorité du pouvoir central sur les provinces et cela correspond assez bien à la volonté du nouveau président Xi Jiping en fonction depuis 2013 d’utiliser des moyens de ce type, tout comme la lutte contre la corruption, pour bien marquer le pouvoir chinois de son empreinte.
Ce numéro hors-série est à conserver précieusement dans la perspective de la COP 21 mais également au-delà. Il montre que des solutions existent en matière de développement durable même si rien ne permet de trouver des solutions sans un effort de financement considérable qui serait a minima de 100 milliards d’euros pour les pays du Sud même si beaucoup pensent que ce chiffre n’est pas à la hauteur de la globalité des besoins.