Paru en 2008 et récemment réédité à l’occasion de l’adaptation télévisée par Guillaume Lemans (Canal+), Les Sentinelles est une bande dessinée en quatre tomes qui mêle fresque historique et imaginaire steampunk. Ce premier volume plonge le lecteur au cœur des horreurs de la Première Guerre mondiale en revisitant le front et l’arrière à travers une fiction sombre et sans concession.

Résumé

L’intrigue s’ouvre en 1914, alors que l’Europe bascule dans le conflit. Sur le front comme à l’arrière, les soldats découvrent une guerre industrielle où les machines et l’armement moderne font basculer les combats dans une boucherie sans précédent. La hiérarchie militaire hésite entre traditions et innovations, tandis que des savants plus ou moins scrupuleux expérimentent de nouvelles armes, quitte à franchir les limites de l’humain. C’est dans ce contexte que surgissent les « Sentinelles », créatures issues d’expériences scientifiques mêlant chair et métal, censées incarner l’avenir de la guerre.

Contexte éditorial et auteurs

Le scénario est signé par Xavier Dorison, auteur reconnu de bandes dessinées mêlant aventure, histoire et fantastique (Le Troisième Testament, W.E.S.T., Long John Silver). Il développe ici une réflexion sur la guerre totale à travers le prisme d’une uchronie sombre.

Le dessin est confié à Enrique Breccia, figure majeure de la BD argentine. Héritier d’une famille d’artistes, il impose un style très personnel, expressionniste et puissant, qui peut désarçonner mais qui colle bien à l’univers cauchemardesque de cette saga.

Une œuvre éprouvante mais immersive

La lecture peut sembler difficile au départ : l’album est violent, cynique, moralement dérangeant, et certaines scènes (torture, expériences médicales, mutilations, crimes de guerre) le réservent clairement à un public averti. Pourtant, une fois l’univers posé, l’intrigue entraîne le lecteur dans une spirale où la fiction dialogue avec la réalité historique.
Un fond historique solide

Dorison s’appuie sur une documentation sérieuse. Le lecteur découvre :
• les horreurs du début de la guerre, sur le front et à l’arrière,
• une guerre industrielle et totale qui s’enlise rapidement,
• la propagande et la censure,
• les hésitations des dirigeants et leurs conséquences tragiques sur les soldats et civils,
• la déshumanisation progressive des combattants.

La bande dessinée restitue avec force la violence d’un conflit qui broie les hommes, tout en soulignant les dérives scientifiques et idéologiques que la guerre engendre.

Graphisme : un style clivant mais cohérent

Les dessins d’Enrique Breccia ne laissent pas indifférent : traits appuyés, visages presque caricaturaux, couleurs sombres et terreuses, postures déformées. Certains lecteurs pourront être rebutés, mais ce choix artistique traduit efficacement l’ambiance oppressante et steampunk du récit. Les graphismes participent ainsi à l’expérience de lecture en accentuant le côté monstrueux et absurde de la guerre.

Fiction et Histoire

La narration entremêle faits historiques et éléments fictifs avec habileté. Le récit adopte essentiellement le point de vue des personnages principaux, parfois stéréotypés ou manichéens, mais qui incarnent bien les tensions de l’époque : savants, militaires, hommes politiques et soldats confrontés à la folie d’un conflit total.

Conclusion

Difficile de dire si l’on « aime » ou non ce premier tome, tant il est éprouvant et dérangeant. Mais force est de constater que Les Sentinelles est une bande dessinée ambitieuse et singulière, qui saura séduire les amateurs de fictions historiques sombres, violentes et steampunk. Quand la Première Guerre mondiale rencontre l’imaginaire scientifique le plus macabre, le résultat est un récit fort, nihiliste, et d’une grande richesse pour interroger les dérives de la guerre moderne.