Ce recueil d’articles publiés dans L’Histoire Magazine permet de dresser un tableau du crime en France depuis le XIe siècle en interrogeant notre passé pour mesurer la violence d’aujourd’hui. L’évolution du crime est-elle le reflet de l’évolution de la société ou plus sûrement de la perception que la société en a à un instant donné ? Les historiens qui se sont penchés sur les minutes des procès, les archives de la police, les textes législatifs, les articles de presse et les multiples travaux de recherche contemporains des crimes dressent en creux le portrait d’un monde qui se fige d’effroi, hurle en foule avide de sensation, se passionne depuis toujours pour le sang, la haine, l’illégalité et la vengeance qu’elle soit par le bras de l’État ou par la vindicte populaire. Les crimes sont-ils si différents avec le temps qui passe ? Cette compilation permet d’apporter une réponse nuancée. En lui-même, un vol, un meurtre, un viol, un hold-up quelle que soit l’époque est le même : un individu transgresse l’ordre établi et rompt une harmonie qu’elle soit à l’échelle du village ou du pays.

Les Bandes

Si les méthodes évoluent, c’est simplement qu’elles s’adaptent à leur époque. Les premières bandes terrorisent la Bourgogne en 1453 : la secte de la Coquille – les coquillards – effraie les braves gens. Voleurs, brigands affublés de surnom, aux compétences diverses et variées qui permettent de tirer le maximum de profit de leur savoir-faire : crocheteurs d’huisserie, faux-monnayeurs, vendangeurs (coupeurs de bourse)… Les témoins se taisent lors de leurs procès et François Villon s’empare de leur argot, la légende naît. À partir de la fin du XIXe siècle, les rôdeurs urbains affublés du surnom d’apaches sont les germes d’une psychose qui s’étale sur les grandes villes industrieuses et surtout leurs banlieues. Jeunes, oisifs dans un monde qui travaille, parfois étrangers, les hommes sont violents et avides de sang, les femmes prostituées, tous marginaux et délinquants. Les attaques à main armées signent l’entrée dans le XXe siècle : le 21 décembre 1911, la bande à Bonnot pousse à légiférer sur l’usage des « automobiles et des appareils de locomotion aérienne dans l’accomplissement de crime ou de délit « . Plus il y a de banques et de monnaie, plus les hold-up sont nombreux et sanglants, plus la répression est sévère mais c’est finalement la sécurisation des établissements, la dématérialisation des activités financières qui amènent à la disparition progressive d’une certaine pègre qui avait pourtant traversé les siècles.

Le crime peut le devenir parce que la société décide de protéger l’innocent, le fragile, la victime qui se tait ou qui n’est pas entendue. L’évolution de la cause de l’enfant que ce soit dans les cours de justice, dans la législation, dans les travaux des scientifiques, dans la presse permet de mesurer le temps parcouru. Perçu comme un crime de parenté au Moyen-Âge, l’inceste est décriminalisé en 1791, le Code pénal de 1810 le considère comme une circonstance aggravante du viol. La médecine légale doit faire face à la difficulté d’apporter la preuve, la parole de l’enfant, complexe à recueillir et parfois même, mise en doute par certaines thèses médicales. C’est la presse qui la première dénonce la pédophilie dès la fin du XIXe siècle. La multiplication des procédures et des condamnations, la loi de 1980, l’Affaire d’Outreau (2004), #MeToo permettent désormais de rompre le silence.

Les femmes tuent aussi

Empoisonneuses du XVIe au XXe siècle, de la Brinvilliers à la bonne dame de Loudun, le meurtre le plus lâche ne peut porter que la trace d’une main féminine. Ce crime de familier traverse les époques et si l’opinion publique l’attribue à une femme, les statistiques sont plus parlantes : hommes, femmes, riches, pauvres, jeunes, vieux, le poison est une arme à disposition de tous que l’expertise toxicologique révèle dans les prétoires. Les femmes occupent, en plus grand nombre depuis le XIXe siècle, le box des accusées d’infanticide sur lesquelles pèsent la possible peine de mort. Femme seule, mère de la campagne qui vit dans la pauvreté et doit affronter la honte, l’homme est toujours exclu depuis que la loi interdit la recherche en paternité. C’est sur elle seule que pèse le poids d’une grossesse non désirée. Avant que soit commis le geste ultime, des institutions se multiplient pour une prise en charge des enfants abandonnés, les lois se modifient, la société s’interroge et les experts psychiatres éclairent sur ce crime complexe.

Existe-t-il une folie homicide, un criminel-né ?

Le temps permet-il de dresser le portrait du criminel ? Est-il possible de prévenir le crime en repérant en amont l’assassin potentiel ? En 1876, Cesare Lombroso publie  L’homme criminel où il dresse une véritable anthropométrie de l’assassin. À sa suite, les travaux et les publications des experts du crime se multiplient : le mot criminologie (1885), une typologie des pervers sexuels, en 1887 sort Leçon sur la folie érotique, la loi de 1905 renforce le rôle des experts criminels dans les tribunaux. Les travaux de Bertillon (1882) popularisent l’usage des empreintes digitales dans les enquêtes à partir de 1902, la création des Brigades mobiles régionales de police judiciaire (1907) donne naissance à la police judiciaire moderne. Mais que ce soit au XIXe ou au XXe siècle, la volonté de protéger la société du criminel qui agit en son sein amène aux errances scientifiques de la craniologie à la recherche du chromosome Y supplémentaire (1965), le repérage de tares, de la bosse de la violence mais aussi, la laideur : autant de critères prétendument au service de la prévention ou pour le moins de l’explication nécessaire à l’innommable.

Qui sont-ils ?

De nombreux articles dressent le portrait d’un criminel encore dans la mémoire populaire ou sorti de l’oubli par la recherche historique. Ainsi, la fascination de la population pour les meurtriers en série traverse les siècles de Gilles de Rais  » ogre ou serial killer  » au célèbre Landru (exécuté en 1922) en passant par le  » Jack l’éventreur français  » surnom que donne la presse française sensationnaliste au vagabond Joseph Vacher assassin de 11 personnes. Son procès, l’exécution de sa condamnation à mort le 31 décembre 1898 animent un vaste débat : un fou a-t-il été guillotiné ? Force est de constater que depuis le début du XIXe siècle, les aliénistes sont entrés dans les prétoires favorisant les réformes et les prises en charge depuis la création d’un quartier spécial à Bicêtre en 1845 aux unités pour malades difficiles (UMD) depuis 2008. La condamnation à mort d’Albert Soleilland qui voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité par le président de la République en 1907 provoque la colère – relayée par la presse – de la population après le viol et le meurtre de la petite Marthe. Le projet de loi d’abolition de la peine de mort échoue en 1908, le crime est désormais à la Une et s’il fait vendre du papier depuis des décennies, les hommes politiques s’en emparent fustigeant la police pas assez nombreuse, la mansuétude de la justice, la société pervertie …

La lecture de cet ouvrage rappelle combien le crime s’inscrit dans une longue histoire française dont les échos se font entendre aujourd’hui encore.