De la ferme à l’assiette l’ouvrage étudie les marchés d’alimentation en Afrique subsaharienne. Il appartient à la collection « L’Afrique en développement », créée en 2009, qui s’intéresse aux enjeux sociaux et économiques du développement en Afrique subsaharienne. Ce nouveau numéro est consacré au rôle des marchés comme l’indique son sous-titre : Repenser le rôle des marchés, si importants quand l’alimentation est le premier poste de dépense des ménages africains (44 % de leur budget), d’autant plus important dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19.
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Contexte
Les infrastructures d’approvisionnement et de distribution alimentaires sont définis par la FAO en 2018 comme « l’ensemble des activités de production, de regroupement, de transformation agroalimentaire ou agro-industrielle, de distribution, de consommation et de recyclage des déchets, destinées à produire des denrées alimentaires issues de l’agriculture, de la forêt et de la pêche »1 . Elles sont au cœur des objectifs de développement durable (ODD). Ces systèmes ont été profondément modifiés dans les dernières décennies : urbanisation, inégalités entre classe moyenne émergente et pauvreté, changement climatique. Leur adaptation est indispensable pour la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Le marché intérieur des denrées alimentaires demeure important. Il est confronté aux modifications des goûts en faveur de denrées importées.
Les infrastructures de marché ont évolué en ville avec par exemple l’apparition des supermarchés et l’utilisation du téléphone portable dans les relations entre agriculteurs, grossistes et détaillants.
Améliorer les infrastructures de marché nécessite une planification en matière de transport, de logistique, de gestion des déchets, pourtant l’environnement institutionnel est peu propice au développement des échanges commerciaux.
Les auteurs notent la faiblesse des études dans ce domaine. Ils proposent une approche analytique par études de cas : les villes de Rabat-Salé au Maroc, de Niamey au Niger et d’Abidjan en Côte-d’Ivoire.
Villes et systèmes alimentaires africains : repenser le rôle des infrastructures de marché
Ces villes ont connu un fort accroissement de leur population urbaine alors même qu’elles y étaient peu préparées2 par manque d’investissement privé comme public. La demande de produits alimentaires stimule la production locale car les importations ne représentent que 8 % du total des dépenses alimentaires.
L’autre aspect est le développement d’une classe moyenne qui est plus exigeante en matière de qualité de l’alimentation (fraîcheur, produits transformés, nouveaux aliments d’importation). Des supermarchés répondent à cette clientèle.
Mais une population pauvre et nombreuse attend des denrées à pris bas. En Côte d’Ivoire 36 % de la population urbaine vit sous le seuil de pauvreté (2015), au Maroc 5 % (2007). La demande pour des produits à faible prix favorise souvent les importations aux dépens de la production locale. Au Niger par exemple, « le kilo de poisson produit localement était vendu à environ 1 250 FCFA, et entre
800 et 1 000 FCFA pour le poisson congelé importé »3, c’est aussi dans le cas des céréales.
L’alimentation demeure le poste budgétaire le plus important des ménages4.
Les auteurs montrent les variations cycliques des prix et des importations en fonction de la saison.
Accès à l’alimentation : le rôle des infrastructures physiques à Abidjan, Niamey et Rabat
Les infrastructures de marché sont à la fois physiques : routes, marchés, stockage, camions frigorifiques, etc.et institutionnelles : systèmes d’information sur les prix et la qualité, mécanismes d’application des contrats, accès au crédit. Ce deuxième chapitre aborde les infrastructures physiques.
C’est d’abord la zone d’approvisionnement qui est envisagée. On constate l’existence d’une production urbaine dans un tissu urbain souvent lâche et une importante production périurbaine qui limitent des frais de transport et favorise la fraîcheur des produits. Par exemple en Côte-d’Ivoire on compte 312 maraîchers dans la ville d’Abidjan, à Niamey, 43 % de la population urbaine pratique au moins une forme d’agriculture, l’élevage de volailles est aussi une pratique commune. Deux cartes illustrent ce propos pour Niamey ( P. 92 et 93). Dans le cas de rabat on observe un éloignement progressif des cultures maraîchères5 d’autant que le Maroc développe ses exportations vers l’Europe ce qui conduit à des spécialisations en matière de production.
La mondialisation de l’approvisionnement induit une multiplication des intermédiaires et des infrastructures (entrepôts, installations frigorifiques)6. Plus l distance augmente plus les intermédiaires sont nombreux comme le montre un exemple pour Abidjan : « les produits les plus fragiles (épinards en feuille) sont produits dans la ville même et requièrent un à deux intermédiaires, tandis que la tomate est cultivée à 300 kilomètres, voire à 600 kilomètres quand elle est de contre-saison, et requiert trois à quatre intermédiaires (graphique 2.1) »7 .
La spatialisation des infrastructures est abordée pour Niamey8 et Rabat9. Les vendeurs de rue jouent un rôle essentiel dans les quartiers pauvres alors que les centres commerciaux et galeries commerciales voient le jour dans les quartiers aisés10.
Pour définir une politique publique dans ce domaine l’étude des préférences des consommateurs est importante sans oublier les infrastructures de transport.
Des institutions complexes, privées et publiques émergent pour permettre l’appariement de marché à Abidjan, Niamey et Rabat
Dans les trois pays étudiés l’absence de mécanisme d’application des contrats accessibles à tous, ou d’informations sur les marchés, le faible niveau de confiance entre individus ne favorisent pas l’organisation des marchés. Le niveau de confiance est un élément fondamental à la fluidification des systèmes de distribution alimentaire. L’absence d’information sur les prix favorise au contraire une grande dispersion des prix d’un marché à un autre. C’est la perception de la qualité qui devient l’élément central pour les consommateurs.
D’autre part le difficile accès au crédit pour les producteurs est un frein à l’investissement et à l’innovation. C’est aussi un handicap pour la conduite d’un commerce de gros.
Dans ce contexte les arrangements privés pour faciliter les activités d’approvisionnement et de distribution alimentaires permettent de faire face aux difficultés : le crédit informel des commerçants de détail à Abidjan et mécanismes de punition des insolvables, la confiance fondée sur la réputation au Niger et la proximité sociale. Un exemple au Maroc décrit ces arrangements : « « L’acheteur peut acheter la production “sur pied” (cette pratique est fortement répandue dans le cas des fruits et des plantes aromatiques comme la menthe). Cette transaction consiste à faire un contrat de vente avant récolte avec le producteur, après que le grossiste (ou l’intermédiaire pour les zones plus éloignées) a repéré des parcelles dans les zones de production. […] L’accord est oral et peut porter sur une campagne de récolte ou sur une année entière. Pour la menthe, les grossistes achètent les quatre récoltes de l’année. L’acheteur devient propriétaire de la production et prend en charge les coûts de production restants (traitements, irrigation, et main-d’œuvre pour la récolte, le tri et la préparation des bouquets de menthe par exemple), le transport et les risques sur la récolte. Le producteur continue de suivre l’itinéraire technique convenu, et le grossiste vient jusqu’à deux fois par semaine pour surveiller l’état de la parcelle […]. Lorsque les productions sont vendues “sur pied”, le prix est généralement faible pour le producteur. Seule une partie du prix est payée avant récolte, le reste est réglé au fur et à mesure des différentes récoltes, avec à chaque fois une renégociation du prix en fonction de la variation de la qualité de la production et des prix du marché. »11.
Les auteurs montrent l’évolution récente, notamment en matière de connaissance des prix, depuis la diffusion des téléphones portables12. Toutefois les intermédiaires physiques continuent à jouer un rôle comme l’exemple des courtiers Haoussas qui négocient entre Niger et Nigeria.
Cette notion de confiance est aussi importante entre le commerçant et le consommateur où la famille joue un grand rôle (au Maroc une enquête montre que pour 50 % des consommateurs interrogés, l’échange intrafamilial est très fréquent et fait partie de leur mode d’approvisionnement en produits alimentaires.).
Pour la grande distribution la réputation de l’enseigne est importante et a pour conséquence des situations de monopole, par exemple Nestlé, avec un risque de hausse des prix.
Autres limites évoquées : les relations commerciales limitées aux cercles familiaux ou ethniques est créateur d’exclusion sociale, représente un frein à l’emploi et à la coopération ; le crédit informel est souvent synonyme de taux d’intérêt plus élevés. Face à ces situations les auteurs montrent des politiques publiques possibles : développer le microcrédit, réglementer la qualité (ex. au Maroc, au Niger), mise en place de labels, de circuits courts, développer les systèmes d’information sur les prix.
Un ouvrage qui propose une approche nouvelle de la question alimentaire.
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1 Citation p. 27
2 Graphique p. 69
3 Citation p 73
4 Graphique p. 72
5 Cartes p. 96
6 Schéma simplifié d’un système de distribution alimentaire p. 100
7 Cité p. 101 et 102
8 Carte p. 105
9 Carte p 106
10 Evolution des implantations en Rabat 2004- 2016 cartes p. 119
11 Cité p156
12 « Ainsi, 68,2 % des ménages nigériens possédaient un téléphone portable en 2014, et 99,8 % des ménages marocains en possédaient un en 2017 » Citation p. 158