L’émergence du débat sur la pertinence ou non de taxer les allocations familiales ou bien encore de diminuer de moitié le montant de celles-ci pour les ménages ayant un revenu supérieur à 50 000 € annuel renvoie implicitement à la définition des classes moyennes et à leur étalonnage. Nombreux sont les Français qui s’identifient aux classes moyennes. Pourtant, la diversité (de revenus, de patrimoine, de situations professionnelles, d’univers culturels) l’emporte au sein de cet ensemble. Si bien qu’on peut se demander si nous ne sommes pas « Tous en classes moyennes ? ». C’est pour essayer d’y voir plus clair que la Documentation française a demandé à Serge Bosc, sociologue, spécialiste de la stratification sociale et des classes moyennes, de répondre (sous forme d’interview) à un ensemble de questions que l’on peut légitimement se poser sur les classes moyennes.

Qualifier cet entre-deux social est loin d’être évident. La définition par les catégories socio-professionnelles semble la seule à même pour cerner la question et permettre de distinguer les classes moyennes des classes populaires ou des classes aisées. Serge Bosc voit dans « la fluidité sociale (fréquence de changement de position sociale d’une génération à l’autre), le niveau d’études (souvent supérieur au baccalauréat), des postes de travail qui ne sont ni de pure exécution, ni de direction » les caractéristiques de la classe moyenne, même si les différences peuvent être importantes au sein de ce groupe. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si le pluriel est employé aujourd’hui pour désigner cette catégorie sociale (contrairement à l’emploi du singulier qui était fait sous la Restauration et la Monarchie de Juillet pour désigner la bourgeoisie en opposition à l’aristocratie).

Les classes moyennes présentent donc une mosaïque de profils sociaux comme l’ont montré Maurice Halbwachs (1877-1945) et Raymond Aron (1905-1983). Henri Mendras (1927-2003) a théorisé les classes moyennes selon le modèle de la toupie. Les classes moyennes représentant « la constellation centrale entre les élites et les classes populaires » C’est grâce à la massification scolaire de la fin du XXème siècle que les classes moyennes ont réussi à se démarquer des classes populaires même si leur connaissance du système scolaire, à l’exception des professeurs des écoles, est faible. Edmond Preteceille (La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? 2006) désigne sous le terme « quartiers moyens mélangés » les « secteurs où cohabitent des ménages issus des classes moyennes et populaires ». L’espace périurbain en fait partie. Pierre Bourdieu (La distinction, critique sociale du jugement, 1979) représente le paysage social en trois dimensions à partir de deux axes : la capital global et la structure du capital des agents (économique et culturel). Il distingue trois catégories au sein des classes moyennes : « la petite bourgeoisie en déclin (les petits indépendants et « agents qualifiés mais dociles »), la petite bourgeoisie « de promotion » ou « d’exécution » (les cadres moyens administratifs et commerciaux) et la « petite bourgeoisie nouvelle » (les animateurs culturels, les professions de la culture et des médias, les instituteurs) ». C’est un schéma basé sur la domination que récuse Catherine Bidou (Les aventuriers du quotidien, 1984) et plus particulièrement le côté culturel. Le thème de la moyennisation, développé dans les années 1980, a désigné la formation tendancielle d’une très vaste classe moyenne (des cadres aux couches supérieures des catégories employés ou ouvriers). Elle a été remise en cause au milieu des années 1980 avec la crise économique qui a eu pour effet de diviser la société entre les gagnants et les perdants.

Les études de Piketty et consorts (2010) ou celle du CREDOC (2009) montrent à quel point nous sommes loin d’un consensus pour définir les classes moyennes. Pour les premiers, les classes moyennes concernent les personnes qui ont un revenu mensuel individuel compris entre 1600 et 6100 € contre 1200 et 2600€ pour les seconds. Quoi de commun entre quelqu’un qui gagne 1600 € et un autre qui touche 6100 € par mois ? Aussi, quand les médias parlent du malaise des classes moyennes, ils font référence davantage à une angoisse qu’à une réalité. Toutefois, la métaphore du sablier « L’effet sablier désigne les scénarios de la bipolarisation socio-économique entre les classes supérieures et les classes populaires, autrement dit le déclin des catégories intermédiaires. » Voir les travaux d’Alain Lipietz La société en sablier, 1998 et ceux de Jean-Marc Vittori, L’effet sablier, 2009 est suffisamment parlante pour tout le monde et fait vendre du papier !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes