CR par Yveline Candas

De l’étoile à la croix, publié aux éditions l’Harmattan, est un roman autobiographique ( 200 pages) écrit par Robert Gaillon, médecin retraité, ancien adjoint au maire de Châtellerault.
C’est son premier livre, il l’a rédigé pour satisfaire une attente de sa famille, pour satisfaire la nécessité qu’il ressent désormais de lever le voile sur son enfance, son passé. Il parfait ainsi son rôle de « passeur de mémoire » qui le conduit à aller régulièrement à la rencontre des jeunes collégiens notamment, dans le cadre de divers projets éducatifs élaborés par les équipes enseignantes. L’auteur pense aussi que ce livre pourra être utilisé par les élèves qui doivent faire un compte rendu de son intervention. C’est d’ailleurs lors d’une de ces interventions au collège de Châtellerault, qu’il a rencontré le professeur de lettres, Agnès Didot qui a coopéré à la rédaction de ce livre
Le récit de sa vie, Robert Gaillon a choisi de l’intitulé de « l’étoile à la croix». Le sous titre, « de l’enfant juif traqué à l’adulte chrétien militant », nous indique plus clairement encore, le fil de sa vie, son itinéraire.

« De l’enfant juif traqué à l’adulte…

En 1942, celui qui s’appelle encore Roland Goldenberg, à quatre ans et demi. Il appartient à une famille juive, non pratiquante, parisienne et plutôt bourgeoise. Il a quatre ans et demi lorsque son père, juif naturalisé en 1913, est arrêté alors qu’il souhaitait passer la ligne de démarcation et qu’il effectue le voyage : Mérignac- Drancy- Auschwitz. Quatre ans et demi, lorsque sa mère ayant plus une attitude d’épouse que de mère l’a laissé sur le quai de la gare avec son frère ainé ( six ans et demi) pour pouvoir, ses enfants à l’abri chez leur grand –parents maternels dans le sud de la France et munis d’un nouveau patronyme : Gaillon, se consacrer à trouver une solution afin de faire sortir son mari de Drancy et quand ne supportant plus la séparation, elle décide de se faire « interner » à Drancy et qu’elle est par conséquent dans le même convoi que son mari.
La guerre terminée, Roland et son frère rentrent à Paris ; ils vivent avec leurs grands-parents. Il comprend qu’il doit faire une croix sur le retour de ses parents, et que parler d’eux est tabou.
Roland Gaillon nous raconte alors ses années sommes toutes banales : son parcours scolaire, les enseignants qui l’ont marqué, ses « petits boulots d’étudiants » car ses grands parents ne peuvent lui payer les longues études de médecine auxquelles il aspire, sa carrière professionnelle, ses rencontres avec des scientifiques fameux…Puis il se rappelle sa vie « d’homme », plus intime. La rencontre de celle qu’il deviendra son épouse : Suzy, le mariage, les enfants (trois), leur chemin et les épreuves qu’ils doivent surmonter (maladie, suicide…) …
A sa conversion au christianisme, au catholicisme, il ne consacre que douze pages, et reste relativement évasif sur les motivations de ce choix. Elle lui permet, paradoxalement, écrit-il de s’ancrer dans le peuple juif le l’Ancien Testament. Elle est le fruit d’ « un glissement qui s’est effectué au gré des circonstances et des rencontres ». Parmi celles –ci, probablement, son baptême en 1941 (mesure de sécurité plus que conviction religieuse vu le contexte), la fréquentation d’écoles catholiques sur recommandation de sa mère pour la discipline, le fait que Suzy appartienne à une famille catholique bordelaise, la rencontre d’hommes d’Eglise qui l’ont très positivement marqué (l’Abbé Manet, l’Abbé Morvillez par exemple)… Cette mutation n’est d’ailleurs, si on en croit l’auteur, pas achevée, tout comme ne sont pas achevées les études de théologie et des textes bibliques qu’il a entreprises, avec succès, dès qu’il a été à la retraite. L’auteur reste muet sur l’évolution de sa foi, sur ce qui l’a poussé vers cette religion qui pourrait apparaitre comme la religion des bourreaux pour cet enfant juif, d’ailleurs l’ambigüité de la position du clergé, et notamment du pape Pie XII l’a, un temps, interrogé.

… militant »

Homme de « gauche », Robert Gaillon a été un militant politique. Ses premiers engagements datent « des événements d’Algérie » alors qu’il appartient au syndicat des étudiants de médecine dépendant de l’UNEF : il manifeste contre la guerre et surtout contre la torture. Il adhère à PS en 1972, son militantisme politique s’achève à Châtellerault vers le début des années 1990, après qu’il y ait été adjoint au maire notamment de Mme Edith Cresson. L’évocation de cette période, nous vaut quelques « révélations » sur les diverses « magouilles » électorales et les coteries locales, quelques petits coups de griffe à l’égard de certaines personnalité, voire quelques règlements de compte, notamment vis-à-vis D’E. Cresson qu’il a bien connu. Ce milieu semble lui avoir apporté quelques déceptions aussi aujourd’hui son militantisme s’effectue uniquement dans la cadre associatif « plus sain que le milieu politique » (page 168), qu’il avait déjà côtoyé lorsqu’il était étudiant,
C’est d’ailleurs alors qu’il était adjoint au maire de Châtellerault, que Robert Gaillon entre dans une troisième voie du militantisme en quelque sorte et devient un militant du « devoir de mémoire ».
En effet, fort impressionné par le spectacle «Les lettres de Louise Jacobson », vu en 1993, à Paris, il souhaite le faire venir à Châtellerault et pour ce faire il organise « une semaine de la mémoire » avec l’aide de diverses associations, dont les antennes locales de la Ligue des Droits De l’Homme, de la Fédération des Internés Résistants Patriotes et de France Liberté, qui aboutit à une exposition. C’est un succès et elle est réclamée par d’autres municipalités. Il se rend à une invitation à participer à une conférence-débat sur cette exposition au lycée de Melle, en avril 1994. Ii est ravi par la rencontre avec les adolescents. Et dès lors, régulièrement, répondant à l’invitation d’enseignants, il se raconte à des scolaires, surtout des collégiens, encore et encore et toujours avec toujours le même plaisir.

La croix du silence ?

La lecture de l’ouvrage terminée naît une interrogation à propos de l’interprétation du titre : « de l’Etoile à la croix ». En effet, ne faut-il pas aussi interpréter « la croix » avec le sens de « l’objet », celui que l’on retrouve dans l’expression « A chacun sa croix » ? Et pour Robert Gaillon, dans ce cas : la croix du passé et surtout du silence.
En effet, il l’a compris dès la fin de la guerre, il doit se taire, faire l’impasse sur ses parents, son passé et être un être ordinaire, comme tout le monde. Ce qui explique probablement que l’essentiel du livre en fait soit consacré à sa vie somme toute banale d’étudiant, d’homme, de notable d’une ville de province.
Ce spectacle, «Les lettres de Louise Jacobson », provoque une véritable révolution chez l’auteur. Il lit les lettres que son père avaient envoyées de captivité à sa mère détenues par son frère et dont il nous livre de larges extraits dans les premiers chapitres. Il comprend ainsi le choix de sa mère, et ne juge plus. Il recherche les personnes qu’il a connues enfant, reprend contact avec celles qu’il retrouve, recherche des personnes qui auraient pu connaître ses parents, apprend ainsi par un rescapé du convoi de ses parents que sa mère était enceinte lors de son arrivée à Auschwitz…. Il s’est rendu sur ses lieux de mémoire : Drancy et Auschwitz dans le cadre d’un projet pédagogique auquel il participait (objet du chapitre 18 rédigé par A. Didot : « convoi 62 pour pitchipoï : passeurs de mémoire »). Et bien sûr, il se met à parler et même aujourd’hui écrit sur le sujet tabou.

Conclusion
C’est surtout cet éclairage sur « le vivre après » et avec les années noires qui fait l’originalité du témoignage à cœur ouvert de M. Gaillon et qui contribue largement à son intérêt.
Les enseignants pourront y percevoir une reconnaissance sincère, et non de circonstance ou polie, du travail de mémoire qu’ils effectuent et un encouragement à poursuivre en ce sens.

Yveline Candas