Soixante-quinze ans après la libération d’Auschwitz, expression étrange puisque les rescapés furent libérés et non le camp, la Shoah demeure l’objet de recherches historiques diffusées au public le plus large possible pour une plus grande intelligence de ce moment central du second conflit mondial.

L’atlas de Georges Bensoussan contribue à cette pédagogie autour de quatre chapitres assis sur une chronologie débutant bien avant 1939, chaque entrée proposant au lecteur une double-page associant à parts égales textes et supports cartographiques. Le sous-titre, « la mise à mort des Juifs d’Europe », ne rend pas complètement compte du contenu qui s’attache dans ses premières pages à contextualiser la Shoah en rappelant notamment que l’antisémitisme n’était pas uniquement, avant-guerre, une réalité allemande mais européenne, en témoignent pogroms (carte p.12) et mouvements antisémites (carte p.13) et qu’il ne menait pas nécessairement au meurtre comme l’illustre la vague de mesures antisémites nazies exemptes de toute volonté génocidaire (chronologie p.15) et dont le but était d’amener les Juifs à quitter l’Allemagne.

L’option chronologique retenue par l’auteur permet de donner un cadre temporel clair, d’entrevoir le processus de répression et ses inflexions jusqu’à la décision de mettre à mort l’ensemble des Juifs d’Europe : 1938, accélération des mesures antisémites dans le Reich ; automne 1939, début de la ghettoïsation ; fin juin 1941, entrée des Einsatzgruppen en URSS ; fin 1941, Hitler prend la décision d’exterminer tous les Juifs d’Europe ; 1942/1943, Aktion Reinhardt, élimination des Juifs polonais.

Cette opération nous rappelle un point essentiel : pas d’extermination sans des hommes. Au sommet, les Himmler, Heydrich et Eichmann, manque peut-être un Krüger plus falot, mettent en place les différents rouages du mécanisme meurtrier ; la SS, la Wehrmacht, des policiers mais aussi  des Baltes, des Ukrainiens, des Roumains en sont les exécutants. Enfin, les chiffres scandent la réussite de la machine de mort : 1.5 millions de personnes tuées par les Einsatzgruppen à la fin décembre 1942, plus de 33 000 Juifs tués par balles à Babi Yar, 6 à 7000 êtres humains exterminés à Treblinka entre la fin juillet et la fin septembre 1942 ; entre 5.9 et 6.2 millions au total.

Les cartes et plans viennent donner une assise spatiale au meurtre de masse. A l’aide des planisphères, le lecteur visualise les grands foyers démographiques juifs (carte p.11), avant tout l’Europe, mais aussi les terres d’accueil avant et après-guerre : Etats-Unis, Palestine. L’échelle mondiale permet d’évoquer Madagascar : après la victoire contre la France, les Nazis ont dans l’idée de transplanter les millions de Juifs sous leur coupe sur cette île et de les y laisser mourir ; la résistance anglaise, la Royal Navy rendront cette option caduque et la résistance soviétique fera de même pour celle du Grand Nord.

Avec l’échelle européenne, émergent les foyers de population juive d’Europe de l’est et plus particulièrement l’ancienne zone de résidence de l’empire russe où se polarisent populations juives, ghettos, zones d’extermination des Einsatzgruppen et camps de mise à mort dont Auschwitz, camp européen d’extermination qui vit mourir Hongrois, Grecs, Néerlandais, Français alors que Treblinka, Belzec, Sobibor consacrèrent leur activité à l’élimination des Juifs polonais. Zone de résidence, surtout zone de déploiement des commandos de tueurs qui détruisirent des communautés entières à l’ouest de l’Ukraine et ailleurs, donnant une postérité morbide à Rumbula, Ponary ou encore Pinsk (carte p.36), tous lieux que le commando 1005 devait effacer des mémoires. Cette échelle reste la plus pertinente à l’heure du bilan (carte p.89) : éradication presque totale des Juifs polonais et lituaniens, taux incroyablement élevé de victimes en Grèce, Yougoslavie, Hongrie, survie des communautés en Italie, Albanie, Danemark.

Les échelles régionales et nationales déclinent les caractéristiques propres à chacun de ces espaces. En Europe du nord (carte p.55) comme en Europe du sud, le contraste l’emporte : sauvetage des Juifs danois, collaboration de l’administration hollandaise, destruction de la communauté juive en Lituanie soutenue par une frange de la population, protection des Juifs nationaux en Bulgarie et en Italie. Des situations nationales font l’objet d’une entrée, Hongrie et Slovaquie, ou de plusieurs entrées, la France (p58 à 63). Et là encore, la diversité reste la norme : la Slovaquie de Tiso demeure le premier pays à déporter ses Juifs alors que la Hongrie de Horthy s’y refuse pour les Juifs hongrois avant que l’entrée des troupes allemandes en 1944 ne sonnent le glas des 2/3 de cette communauté.

Enfin, les échelles locales nous permettent d’entrer dans l’« intimité » du meurtre. Cartes et plans font émerger la multiplicité des lieux et sites d’organisation et de réalisation de la Shoah : les centres de transit du ghetto de Lodz et de la caserne Dossin à Malines, les sites de massacres des entrepôts d’Odessa à la forêt de Ponary, les ghettos, de Lodz où, en octobre 40, 166 000 Juifs sont rassemblés sur 4km² à celui de Varsovie dont le plan permet de visualiser la révolte. Les camps, bien entendu, les premiers camps de travaux sont bâtis fin 1939 puis viennent ceux de l’Aktion Reinhardt dont Treblinka (p44/45) : 200 mètres sur 250, organisation spatiale simple et fonctionnelle, près de 800 000 victimes. Auschwitz (p.48/51), bien sûr ; l’auteur fournit les plans de ses trois structures, rappelant l’importance du rail, l’exploitation des Juifs au profit d’IG Farben, l’existence de micro-lieux comme ce Mexico, camp où furent reléguées et abandonnées 7 000 hongroises en 1944.

Cet atlas, par la multiplicité des échelles déployées, rend finement compte d’un pan sensible de l’histoire de la seconde guerre mondiale en abordant la diversité des situations et de lieux. Un ouvrage enrichissant pour le lecteur, un outil utile pour l’enseignant.