Lettres de Madame de Maintenon, Volume I, 1650-1689
Édition intégrale et critique par Hans Bots et Eugénie Bost-Estourgie
Préface de Marc Fumaroli
Introduction Hans Bots et Christine Mongenot, Paris, Ed. Honoré Champion, 2009.
C’est une entreprise énorme à laquelle se sont attelés Hans Bots, professeur et doyen honoraire de la faculté des lettres de l’université de Nimègue et Christine Mongenot de l’Université de Cergy-Pontoise, notamment, en publiant la correspondance intégrale de Mme de Maintenon.
Énorme par la masse de documents, le corpus comporte une correspondance de près de 5000 lettres disséminés dans différents fonds d’archives européens, soit un regroupement qui multiplie par quatre environ le nombre des lettres connues au moment de l’édition Lavallée (1864-1865).
Énorme face à la variété du genre épistolaire qui révèle une maîtrise exceptionnelle du discours littéraire, sous forme de lettre amicale, lettre missive, lettre de direction, lettre éducative… dans un but d’entretien, de conseil ou d’avis voire de direction spirituelle.
Il renferme implicitement de très nombreux écrits pédagogiques ou de civilité curiale avec les plus grands personnages et pédagogues de la cour.
Énorme encore car la correspondance active de Mme de Maintenon s’adresse à une soixantaine de correspondants de toutes catégories, des femmes, des princes, des membres de la grande noblesse et du clergé, des serviteurs de l’Etat, des confesseurs, de la famille proche et des intimes (dans le tome I) …. Cet ensemble de sept volumes sera mené à son terme en 2011.
Cet ouvrage était nécessaire pour manifester la richesse intellectuelle, spirituelle des écrits de Mme de Maintenon. Il rassemble scientifiquement des textes connus jusqu’à présent uniquement par les reconstructions littéraires de l’édition de La Beaumelle (1756), la partialité des éditions suivantes, les propos flatteurs de Mme de Genlis, les jugements de Sainte-Beuve ou des citations empruntées à l’épistolière qui, déformées et amputées, parsèment les très nombreux manuels dédiés à la jeunesse depuis le XIXe siècle. Ces lettres de Mme de Maintenon avaient été pillées sans que cette Oeuvre soit portée à son crédit. Quelques petites pépites piochées ici ou là encore inédites sont insérées. Les éditions Champion leur offrent en 2009 un magnifique écrin.
Avec une lecture rigoureuse et analytique des lettres, il est désormais possible de donner sa vraie dimension à Mme de Maintenon, femme de lettres dans les salons parisiens, éducatrice du spirituel duc du Maine et des autres enfants de Mme de Montespan, épouse de Louis XIV, témoin pendant plus de trente ans de la vie à Versailles, fondatrice du pensionnaire pour jeunes filles nobles de Saint Cyr. En 1988, un colloque tenu à Niort et intitulé « Autour de Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon » tentait déjà de réévaluer ces différents rôles, en associant perspectives historiques et littéraires. Mais il est difficile de faire bouger les lignes éditoriales puisqu’un article du Figaro de juin 2008, qui par ailleurs a permis de retrouver quelques lettres, annonce encore ce livre avec un titre accrocheur mais néanmoins dépréciatif: « Tout sur la Maintenon ».
Le premier tome comporte 671 lettres de 1650 jusqu’à 1689, époque « pauvre » de la correspondance de Mme de Maintenon, mais fondatrice de son émergence intellectuelle et de son influence. Elle y fait déjà passer des principes, des convictions avec une autorité morale qui s’affirme au fil du temps tout en affichant la modestie de son rôle féminin et une civilité de soumission face à la hiérarchie sociale de cette fin du XVIIe siècle… Le style des lettres est un modèle d’écriture qui offre une lecture très agréable, sans omettre de nous faire sourire sur des descriptions de situations ou des portraits.
Le maniement de la langue, la variété des styles, le sens du mot exact placent Mme de Maintenon parmi des auteurs remarquables du Grand siècle. L’introduction conduit une analyse littéraire de cette source. Elle aurait sans doute gagné à éclairer l’œuvre par une analyse historique et historiographique restituant le contexte politique, d’éducation et des réseaux à la cour à partir de récents travaux. L’appareil critique est soigné, les choix éditoriaux parfaitement expliqués, les notes identifient les correspondants, leurs relations familiales ou précisent des points de vocabulaire ou de contenu.
Ce début de XXIe siècle est favorable à de nouvelles éditions scientifiques de sources puisque plusieurs sont en cours pour l’Ancien Régime, il est courageux que des maisons d’édition assurent la diffusion de ces belles entreprises.
Pascale Mormiche