Agrégé d’histoire, Sébastien Albertelli a soutenu sa thèse de doctorat en 2006 sous la direction de Jean-Pierre Azéma et l’a publiée en 2009 chez Perrin sous le titre, Les Services secrets du général de Gaulle, le BCRA 1940-1944. Brassant des sources françaises et étrangères – Office of Strategic Services (OSS) et Special Operations Executive (SOE) principalement – exhaustives et impressionnantes (600 cartons rien que pour le BCRA dans la série 3 AG des Archives nationales), l’ouvrage proposait une histoire complète du BCRA. Il a été salué comme « un grand livre que l’on attendait et qui vient magistralement éclairer une page méconnue de l’histoire de la France pendant la Seconde Guerre mondiale » (http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=1&rub=comptes-rendus&item=257).

L’ouvrage qu’il signe aujourd’hui est une version simplifiée et illustrée de cette étude magistrale. Mais ces deux adjectifs ne rendent que trop modestement compte de la réalité : simplification certes, mais le texte proposé est très complet et précis, avec deux niveaux de lecture, celui du texte proprement dit et celui des nombreux encarts et des légendes des documents ; illustrations certes, mais d’une grande variété, originalité et qualité. La participation de la Direction de la Mémoire du Patrimoine et des Archives (DMPA) du ministère de la Défense et de la DGSE permet la présentation de documents d’archives d’une grande qualité de reproduction et d’un grand intérêt historique. Un ouvrage quasiment exceptionnel dans la mesure où il allie un contenu scientifique de haut niveau sur l’organisation des services secrets de la France libre et ses enjeux politiques, sur les divers aspects matériels et concrets des activités de la Résistance (parachutages, sabotages, liaisons aériennes, activités de renseignement etc.), sur les très nombreux acteurs, hommes et femmes de la France libre dont de courtes biographies accompagnent les photographies, avec des dizaines de documents presque tous très originaux.

Un livre à recommander pour se faire plaisir et pour faire plaisir, d’autant plus que Noël approche ! Un livre indispensable dans tous les CDI, peut-être même capable de concurrencer la consultation d’Internet dans les travaux de recherche de nos élèves !

Le plan de l’ouvrage est thématique : le BCRA, le général de Gaulle et la France libre (chapitre 1), le BCRA et les Alliés : coopération et compétition (chapitre 2), Gens de la lune : les agents du BCRA (chapitre 3), les services de renseignement de la France libre (chapitre 4), le BCRA en action (chapitre 5). Chaque chapitre est construit autour d’un texte assez bref complété par des documents solidement légendés (photographies, documents d’archives manuscrits ou dactylographiés : circulaires, études, projets, notes, organigrammes, cartes etc.), et par des les encarts thématiques (l’avion des missions spéciales, la pilule de cyanure, les parachutistes, le colonel Rémy et la confrérie Notre-Dame, histoire de télégrammes etc.).

1. Le BCRA, le général de Gaulle et la France libre

Une réorganisation permanente

Le 1er juillet 1940, André Dewavrin, qui prend le pseudonyme de « Passy », est chargé de mettre sur pied le Deuxième Bureau de l’état-major du général de Gaulle. Traditionnellement, ce service rédige des synthèses pour le commandement à partir d’informations qu’il centralise et qui lui sont fournies par le service de renseignement. En fait, le service de Passy se comporte immédiatement comme un service de renseignement mais il n’adopte officiellement ce nom que le 15 avril 1941. Il connaît par la suite plusieurs réorganisations, notamment avec la création d’une section « Action » puis d’une section « Contre-espionnage ». Au début de 1942, il devient le Bureau central de renseignement et d’action militaire (BCRAM) puis, parce qu’il prend en charge l’organisation des missions politiques en plus des missions militaires, il devient le BCRA. C’est ainsi que l’on désignera désormais les services secrets de la France libre, puis du Comité français de libération nationale (CFLN créé par de Gaulle à Alger en juin 1943) et enfin du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF, juin 1944).

Une petite équipe d’amateurs

Le capitaine Dewavrin fut l’un des rares officiers à répondre à l’appel du général de Gaulle. Au terme d’un entretien glacial qui lui fait une « effroyable impression », de Gaulle le nomme à la tête du Deuxième bureau alors que rien ne l’y prédisposait. Il recrute les premiers membres de son équipe parmi les militaires qu’il a côtoyés en Norvège et qu’il retrouve en Angleterre. Plusieurs décident de dissimuler leur véritable identité derrière des pseudonymes choisis parmi les noms de stations de métro de la ligne Nation-Étoile : Maurice Duclos devient « Saint-Jacques », Raymond Lagier devient « Bienvenüe » et Alexandre Beresnikoff devient « Corvisart ». L’équipe s’étoffe progressivement, mais le BCRA conserve longtemps des effectifs modestes, et la plupart de ses membres dirigeants n’a aucune expérience en matière de services secrets. « Au fil de la guerre, les responsables du BCRA développent une identité propre, un esprit dont ils partagent certains éléments avec tous les Français libres : l’attachement à de Gaulle, la précocité d’un engagement volontaire et sans condition, le primat du dynamisme sur la tradition. Ils y ajoutent le sentiment d’une proximité avec ce que vit le peuple de France et la conviction de forger avec le BCRA l’arme la plus efficace dont de Gaulle dispose pour remettre la France dans la guerre. »

Un État dans l’État ?

Dans le domaine militaire, le service de Passy est soumis à l’autorité du chef d’état-major du général de Gaulle et, à partir de fin 1941, à celle de son état-major particulier. Dans les faits, le BCRA dispose d’une large autonomie et il conçoit les plans d’action clandestine qu’il est ensuite chargé d’exécuter : il « se transforme en état-major de l’action clandestine », ce qui ne va pas sans diverses tensions dont l’auteur expose les acteurs et les enjeux. Les principaux responsables du BCRA, notamment Passy, André Manuel, Pierre Brossolette et André Pélabon ne se cantonnent pas dans un rôle d’exécutant mais contribuent à orienter l’action politique de la France libre.

De Gaulle-Giraud : qui contrôlera la Résistance ?

Quand les Américains ont reconnu le général Giraud après avoir débarqué en Afrique du Nord en novembre 1942, les responsables des services secrets de Vichy gagnèrent Alger. Ils avaient eu une action de renseignement hostile aux Allemands mais aussi hostile, parfois, aux agents de la France libre. Comme Giraud lui-même, ils se prétendaient apolitiques, ce qui masquait mal leurs sentiments réactionnaires, et ils reprochaient aux hommes du BCRA de faire de la politique plutôt que la guerre. Passy et ses hommes les considéraient comme les adeptes de méthodes dépassées. La concurrence s’installa et la fusion, nécessaire, fut l’objet de tensions et de conflits qui durèrent plusieurs mois. Elle se fit cependant, à l’avantage du BCRA, et donna naissance en novembre 1943 à la Direction générale des services spéciaux (DGSS) confié à Jacques Soustelle, un pur gaulliste.

Le général et les services secrets

« Le général de Gaulle n’a aucun goût particulier pour les services secrets, dont l’action cadre mal avec sa culture militaire somme toute classique. Il s’en méfie (…) De Gaulle s’attache donc à ne pas trop donner de pouvoir à Passy (…) Il ne change d’avis qu’en 1942 (…) Il doit s’appuyer sur ce qui fonctionne le mieux pour contrer les manoeuvres alliées en vue de l’isoler au moment du débarquement en Afrique du Nord. Dès lors, une relation de confiance s’établit avec les dirigeants du BCRA. »

2. Le BCRA et les Alliés : Coopération et compétition

Le BCRA et l’Intelligence Service

Le Royaume-Uni dispose d’un service secret sous l’autorité du Foreign Office. Il est désigné sous le nom de Secret Intelligence Service et prend progressivement pendant la guerre le nom de Military Intelligence 6 (MI 6). En 1940, Churchill demande à ce service de lui fournir des renseignements sur la situation en France. Le MI 6 prend donc contact avec le Deuxième Bureau de la France libre et passe un accord avec Passy : il aidera à envoyer des agents en France et bénéficiera des renseignements transmis par ses agents.

Le BCRA et le SOE.

En juillet 1940, Churchill a créé un nouveau service secret, dédié à l’action subversive en Europe occupée, le Special Opérations Exécutive (SOE), qui est rattaché au ministère de la Guerre économique. Des contacts se nouent entre le SOE et le BCRA qui montent ensemble deux opérations en France puis qui établissent une liaison permanente entre eux en mettant sur pied une section Action au sein du SOE (la section RF). Mais le SOE mène aussi, parallèlement et indépendamment, une action en France, par l’intermédiaire de la section F, dirigée par le colonel Buckmaster. Toutes ces questions organisationnelles, politiques et stratégiques, sont très clairement exposées.

La dépendance de la France libre à l’égard des Britanniques

Pendant toute la guerre le BCRA dépend de l’aide des services britanniques pour agir en France. La dépendance est matérielle car les Britanniques sont les seuls à disposer des moyens matériels nécessaires à l’action clandestine : le matériel de transmission (poste radio et quartz qui en déterminent la longueur d’onde), le matériel de sabotage (explosifs, détonateurs, mines etc.), les armes légères (fusils, mitraillettes Sten et fusils-mitrailleurs Bren). La dépendance est aussi logistique : ce sont les Britanniques qui forment les agents de la France libre dans leurs propres écoles ; tous les messages échangés entre le BCRA et ses agents transitent par des centrales britanniques et utilisent des codes fournis par les services britanniques ; les Britanniques contrôlent les liaisons clandestines par mer et par air avec la France. Dans ces conditions, les relations sont tendues, et parfois exécrables compte tenu de l’intransigeance de De Gaulle et des exigences britanniques.

Le BCRA et les services américains

« Roosevelt déteste de Gaulle, qu’il considère comme un dictateur en puissance et qu’il s’acharne à marginaliser, notamment en soutenant le général Giraud (…) Plus pragmatique que Roosevelt, Eisenhower tient compte de l’avis de ses conseillers, qui lui expliquent que de Gaulle est le seul à pouvoir prévenir ou dominer l’insurrection révolutionnaire à laquelle le débarquement risque de donner le coup d’envoi. Contre l’avis du président, il exige donc de pouvoir traiter avec de Gaulle et le CFLN des questions civiles et militaires dans le cadre des opérations de débarquement. » Les services secrets américains (OSS ) ont donc coopérés avec le BCRA, ainsi qu’avec les services britanniques, ce qui aboutit à la mise sur pied d’équipes conjointes dans le domaine du renseignement et pour la liaison avec les troupes de la Résistance française.

3. Gens de la lune. Les agents du BCRA

La lumière de la lune est l’alliée indispensable des opérations clandestines, maritimes et aériennes.

Qu’est-ce qu’un agent secret ?

Les volontaires qui s’engagent dans la France libre sont qualifiés d’agents. Certains d’entre eux travaillent dans les bureaux londoniens du BCRA, d’autres sont envoyés en France pour y mener une action clandestine, d’autres enfin sont recrutés en France et s’engagent dans les réseaux de la France libre. Les volontaires ne sont pas très nombreux, d’une part par ce que beaucoup de ceux qui s’engagent veulent combattre dans le rang des armées, d’autre part parce que bien des aspects du combat clandestin sont rebutants : l’agent qui part en mission sans uniforme s’engage dans un combat solitaire et anonyme, et il sait qu’en cas d’arrestation il ne bénéficiera d’aucune protection et sera sans doute torturé. C’est pourquoi les services britanniques remettent aux agents, au moment de leur départ, une pilule provoquant la mort en quelques secondes. On peut estimer que le BCRA envoyé en France environ 400 agents avant le Débarquement et qu’environ 5800 personnes se sont engagées dans les réseaux de la France libre sans sortir de France.

Quelle place pour les femmes ?

À Londres, le BCRA est un service très féminisé, mais les femmes restent cantonnées dans des fonctions subalternes, telles que dactylos ou chiffreuses. En France, les femmes occupent une place non négligeable dans les réseaux, mais le BCRA n’envoie que quelques femmes en mission : Jeanne Bohec, engagée dans la France libre en janvier 1941, à 22 ans, parachutée le 29 février 1944, qui sillonna la Bretagne pour dispenser son savoir en matière de sabotage, ou Josiane Somers, recrutée par le BCRA en novembre 1943 alors qu’elle n’avait pas vingt ans, et qui fut parachutée comme opératrice radio en juillet 1944, quelques semaines après que sa mère l’ait été aussi.

À l’école des Britanniques

Sitôt recrutés, les volontaires sont envoyés dans des écoles britanniques pour y suivre une formation. Beaucoup d’agents sont brevetés parachutistes. Les services britanniques disposent ensuite d’écoles qui dispensent aux futurs agents une formation générale, notamment aux mesures de sécurité, au codage et au décodage, et une formation plus spécialisée en fonction de leur future mission.

L’activité des agents

Les relations entre le BCRA londonien et ses agents sur le terrain ne sont pas faciles. Les responsables entendent contrôler les agents et insistent sur le respect des règles de sécurité ; les agents revendiquent une certaine autonomie, supportent mal les conseils de prudence et réclament des signes de confiance. Ils peuvent être chargés de créer et de diriger un réseau de renseignement, ils peuvent aussi recevoir une mission d’action proprement dite : renseignement, sabotage, liaison avec les mouvements de résistance. Les opérateurs radio jouent un rôle essentiel et dangereux. Les responsables d’opérations sont formés pour trouver et proposer à Londres des points sur la côte pour organiser des opérations maritimes et préparer des terrains présentant les caractéristiques nécessaires pour des atterrissages clandestins ou des parachutages. Ils constituent ensuite des équipes qui assurent le balisage au sol, la réception et l’évacuation du matériel parachuté.

Les agents face à la répression

Ils sont pourchassés à la fois par les services de Vichy et par ceux de l’occupant qui utilisent des informateurs pour infiltrer les organisations de résistance, qui mobilisent d’importants moyens techniques, notamment la radiogoniométrie qui permet de repérer les émissions radio par triangulation, et qui exploitent au maximum les interrogatoires des résistants par la torture.

4. Le service de renseignement de la France libre

Variété et nécessité du renseignement.

Pendant de longs mois, la recherche du renseignement, activité aussi discrète qu’essentielle, constitue la seule raison d’être officielle du service de Passy. Le renseignement intéresse les Alliés pour des raisons militaires, mais il est aussi vital pour les Français libres qui craignent d’être considérés comme des émigrés coupés de la réalité de leur pays. Le rôle essentiel du BCRA et de maintenir le contact avec la France et ses habitants. Ses services étudient les courriers que des Français parviennent à adresser en Angleterre et recueillent des informations auprès des personnes qui réussissent à quitter la France. Les renseignements concernent les troupes allemandes, les aérodromes et les ports, les systèmes de défense, les réseaux de transmissions et les transports ferroviaires, les armes secrètes. Mais la France libre recueille également des renseignements sur la situation politique, administrative et économique du pays, et sur l’état d’esprit des Français.

Les réseaux de renseignement

Un réseau est une organisation militaire, hiérarchisée, dont les effectifs sont plus limités que ceux d’un mouvement et qui accepte plus facilement d’être subordonné au service londonien. Après la guerre, 26 réseaux de renseignement ayant travaillé pour le compte du BCRA sont officiellement homologués. Ils reposent sur deux types d’agents : ceux qui résident en France et ceux qui sont envoyés par Londres. Le plus important de tous ces réseaux fut celui du colonel Rémy, la Confrérie Notre-Dame. Mais sa centralisation fut sa faiblesse quand les responsables furent arrêtés. Aussi le BCRA insista-t-il en 1943, pour que les réseaux adoptent une organisation fondée sur des antennes régionales aussi autonomes que possible les unes des autres, ce qui nécessitait que les services londoniens fournissent à chaque région les postes radio et les opérateurs qui lui permettraient d’organiser ses propres transmissions et opérations.

Le temps du renseignement de masse (1943-1944)

Les renseignements recueillis par les agents d’un réseau sont transmis à Londres soient par radio, sous forme de télégrammes ou messages codés, soit par courrier. Pendant longtemps, les transmissions fonctionnent si mal et sont jugées si dangereuses que leur utilisation est limitée au strict minimum. La situation s’améliore toutefois à partir de 1943, à la fois pour les transmissions radio grâce à l’adoption d’un nouveau système, et pour les transmissions du courrier qui profite désormais des opérations maritimes et aériennes. À partir de 1943, le BCRA est submergé de télégrammes et de courrier et le véritable problème devient celui de l’exploitation rapide du renseignement afin qu’il puisse servir à une action efficace.

5. Le BCRA en action

Les premières missions en France

L’auteur présente les acteurs et les modalités des toutes premières missions envoyées en France par le BCRA, en coopération avec le SOE : mission « Savannah » contre une formation de bombardiers allemands stationnés sur un aérodrome près de Vannes, mission « Joséphine B » contre la centrale électrique de Pessac, près de Bordeaux.

Les contacts avec la Résistance intérieure

La France libre reçoit des renseignements qui lui apprennent que des groupes de résistance se constituent en France et qu’ils attendent un soutien extérieur. Les premières missions le lui confirment. L’objectif est donc, dès 1941, d’envoyer des équipes de liaison auprès des groupes qu’on lui a signalés. Mais les résultats sont très décevants. Aussi l’arrivée de Jean Moulin à Londres en octobre 1941 est-elle d’une importance capitale. Sont alors présentés les principaux mouvements de résistance et leurs responsables, les acteurs et les modalités de l’unification de la résistance sous l’égide de la France libre : création des Mouvements unis de résistance sous la présidence de Jean Moulin (MUR), création de l’Armée secrète.

La préparation du débarquement

À partir de mars 1942, le BCRA prépare méthodiquement l’action destinée à soutenir le débarquement allié en France. Une section d’études a pour mission de préparer un plan de sabotage des liaisons, transmissions et transports en France. Elle établit un découpage régional du territoire et élabore des plans de destruction. Le plus fameux est le plan « Vert », qui se présente sous la forme d’une série de croquis représentant chacun une section de voies ferrées sur laquelle sont indiqués les points à neutraliser. Il sera complété par le plan « Grenouille » visant les plaques tournantes, les grues et les rotondes de dépôt de locomotives. Le plan « Violet » concerne les lignes téléphoniques souterraines à grande distance. Le plan « Tortue » vise à ralentir le mouvement des divisions blindées par la route. D’autres plans visent les dépôts de munitions (plan « Jaune »), les dépôts de carburant (plan « Rouge ») et les PC et QG (plan « Noir »). Le plan « Vert » est la priorité absolue du BCRA et du SOE, et sa mise en place est l’une des premières tâches confiées aux Délégués militaires régionaux (DMR) envoyés depuis Londres, qui doivent trouver des subordonnés dans chaque département et préparer avec le chef des Opérations aériennes, la distribution aux équipes du matériel, des postes récepteurs pour écouter la BBC et des phrases d’ordre d’exécution des plans.

Diriger l’action immédiate

En février-mars 1944, le soulèvement du maquis des Glières, en Haute-Savoie, et son écrasement par les Allemands, achève de convaincre les responsables du BCRA des dangers d’une insurrection prématurée. Les actions qu’ils contrôlent le mieux sont celles qu’ils montent eux-mêmes. Aussi envoient-ils en France, à partir du deuxième semestre 1943, des équipes exécuter des missions spéciales dans l’espoir notamment d’éviter les effets meurtriers des raids aériens. Les 5 et 6 juin 1944, le plan « Vert » est déclenché et la quasi-totalité du millier d’interruptions de voies de chemin de fer prévues par ce plan est réalisée. Convaincu par les premières actions de la Résistance, les Alliés se décident enfin à l’approvisionner massivement en armes. En outre, 93 équipes « Jedburgh » sont envoyées en France : ce sont des unités spéciales sélectionnées au sein des armées britannique, américaine et de la France libre qui sont parachutées par équipes de trois derrière les lignes allemandes, dans la France occupée, avec pour mission d’organiser, d’armer et d’entraîner les maquisards français afin d’intensifier la lutte armée et d’empêcher au maximum les troupes allemandes de parvenir en renfort sur le front de Normandie (http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2274).
Malgré toutes ces actions, l’historien observe avec rigueur qu’« aucune étude précise ne permet de faire la part des succès imputables au BCRA, à la section F du SOE, à des initiatives locales de la Résistance, voire aux bombardements alliés ».

Épilogue

Du BCRA au SDECE

« Avec le déclenchement des opérations militaires en France en juin 1944, le commandement des FFI relève du général Koenig et de son état-major. Les services spéciaux se replient alors sur leurs fonctions techniques de liaison avec le territoire national et sur l’organisation de missions de renseignement de plus en plus directement connectées aux opérations militaires (…) En octobre 1944, la DGSS est rebaptisée Direction générale des études et recherches (DGER). Passy réussit à convaincre de Gaulle de réorganiser les services spéciaux français en s’inspirant de ce qui d’après lui a fait le succès du BCRA : c’est ainsi que le nouveau Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) est rattaché au président du Conseil plutôt qu’à une autorité militaire comme c’était le cas avant la guerre ».

Mémoire et histoire du BCRA

« Dans le contexte politique de l’après-guerre, le BCRA et son chef sont bientôt pris pour cible par les adversaires du général de Gaulle, notamment les communistes. Or, Passy prête le flanc à la critique, notamment en dissimulant des fonds à son successeur. Il est puni de 120 jours d’arrêt de forteresse et, bien qu’il n’ait jamais été jugé, sa carrière est brisée. Dès lors s’enracine la double image du BCRA. D’un côté celle, très noire, que propagent tous ceux qui se sont opposés à de Gaulle et qui reprochent au BCRA d’avoir été le bras armé d’un homme ne reculant devant rien pour accéder au pouvoir. De l’autre, celle, évidemment élogieuse, que Passy cisèle dans les trois premiers volumes de ses « Souvenirs » publiés entre 1947 et 1951. Ces ouvrages auront une grande influence sur les livres de Soustelle ou du général de Gaulle, mais aussi sur les travaux des historiens, longtemps privés de tout accès aux archives du BCRA. Ces dernières sont désormais largement ouvertes. Elles permettent bien sûr de mettre en évidence des erreurs ou des échecs sur lesquels Passy ne s’est pas attardé. Mais elles confirment largement que les quelques centaines d’hommes et de femmes du BCRA ont joué auprès du général de Gaulle un rôle essentiel -disproportionné, à bien des égards- pour maintenir la France dans la guerre et donner toute sa force à la Résistance ».

© Joël Drogland