Pierre Merlin, professeur émérite de Paris I et président de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement, se livre pour la troisième fois à l’écriture d’un numéro de la revue de la Documentation française : Etudes. Contrairement aux deux précédents numéros (consacrés à l’énergie et au tourisme voir liens), la thématique retenue s’inscrit davantage dans sa spécialité.

L’exode urbain consiste en une inversion de l’exode rural, qui a marqué durablement nos sociétés depuis des siècles parallèlement à une urbanisation progressive et au développement économique des villes (commerce, artisanat, industries puis services) qui s’est accéléré avec la Révolution industrielle. Dès les années 1960, la tendance s’inverse même si elle ne tarit pas l’exode rural. S’opère alors un décalage entre l’activité professionnelle et le choix de la résidence qui entraîne l’apparition de mobilités de travail, rendues possibles par la banalisation de l’automobile. Ce processus de départ de citadins vers la périphérie concerne à la fois des communes rurales plus ou moins proches (périurbain) et se traduit spatialement par une emprise plus ou moins continue (rurbanisation) dans le paysage.

Pour permettre de comprendre ce phénomène, Pierre Merlin met en perspective l’exode urbain par une approche historique qui rend compte de l’exode rural. C’est un parti pris surprenant mais qui se justifie. La lecture des deux premiers chapitres permet de montrer que l’exode urbain n’est pas seulement l’inversion de l’exode rural. Pendant 170 ans, des ruraux jeunes et pauvres ont quitté les campagnes alors que le phénomène d’exode urbain, entamé depuis quarante ans, est surtout le fait des classes moyennes. Puis, il analyse le rôle qu’ont pu jouer des mesures fiscales dans l’accession à la propriété. Ces mesures ont favorisé l’accès à la propriété et ont eu pour effet de freiner la constructions de logements locatifs. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’étalement urbain. Pierre Merlin livre ici une analyse très intéressante qui permet de relativiser les aspirations bucoliques des candidats à l’exode urbain à partir des années 1970. A l’aide de plans de lotissements mais aussi d’annonces publicitaires, il analyse les formes spatiales de l’exode urbain et constate que l’habitat traditionnel rural est délaissé au profit de logements neufs, incorporés dans des ensembles à la périphérie des villages. Dans le meilleur des cas, le mitage du paysage est alors évité. Cela ne réduit pas pour autant les enjeux paysagers de ses nouveaux ajouts.

Les difficultés d’étude du phénomène d’exode urbain ne sont pas éludées. En effet, rendre compte de l’exode urbain n’a rien d’évident. Les catégories statistiques ont beaucoup bougé entre 1872 et la définition, dans les recensements, de l’espace urbain et l’espace rural : ZPIU, puis espace à dominante urbaine ou rurale depuis 1997. La séparation entre la ville et la campagne est d’ailleurs de moins en moins nette. Il montre que l’exode urbain, contrairement à une idée reçue, ne concerne pas que les ménages mais aussi les activités. Pierre Merlin relativise la consommation d’espace par l’exode urbain et estime qu’il faut davantage se focaliser sur la densité ou pas de l’occupation de ces nouvelles terres conquises. L’analyse des conséquences de l’exode urbain permet d’aborder de multiples aspects qui font la particularité de la géographie de la France (énergie, agriculture, mobilité…). L’entrée par l’exode urbain permet d’analyser des problématiques plus larges.

La question des alternatives à l’exode urbain n’est pas éludée. Comment concilier à la fois la maison individuelle avec jardin privatif et la proximité avec des espaces naturels, tout en réduisant les inconvénients (sur solvabilité des ménages, utilisation de l’automobile, consommation excessive d’énergie pour chauffer les logements et se déplacer, dégradation des paysages) ? Réviser les mécanismes de financements peut inciter les Français à habiter une ville compacte. L’auteur propose des solutions opératoires visant à inciter, par le biais de primes, investisseurs comme particuliers à construire des logements visant une mixité sociale (les aides à la construction seraient modulées tout au long du remboursement de la construction immobilière en fonction des revenus des occupants). Par ailleurs, il montre que la simple application de réglementations existantes ferait pour beaucoup dans la préservation des paysages (exemples : loi du 29/12/1979 sur les enseignes publicitaires, loi Paysage du 8/01/1993).

Tout au long de l’ouvrage, la démonstration est limpide. Décidément, la revue Etudes porte bien son nom ! On a ici tout ce qu’il faut savoir à cette date sur le sujet. Passionnant !

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