Venant garnir le rayon géographie de cette récente collection du CNRS, ce génie des lieux se veut un plaidoyer pour la discipline. En 60 pages, 4 parties et quelques exemples choisis, Jean-Robert Pitte synthétise l’essentiel du problème : une science toujours mal aimée et qui a pourtant tant de réponses à apporter aux grandes interrogations du monde contemporain.

« Ne pas désenchanter le monde » : telle pourrait être l’idée générale de la première partie « ordre et beauté ». Dans la lignée de ses confrères Augustin Berque et Joël Bonnemaison, Pitte évoque, sur un ton quasiment sacré, sa fascination pour l’enracinement profond aux lieux capable de défier toute forme de déterminisme. L’exemple de la reconstruction de bâtiments à l’identique au Japon témoigne de cette vénération et de l’importance de la place de l’Empereur. A l’inverse, la désertion de l’archipel écossais de Saint-Kilda suite à sa « normalisation » par un pasteur calviniste montre quelle peut être la conséquence la plus extrême.

La deuxième partie tente de mieux cerner le concept même de génie des lieux. Sans se laisser envahir par l’irrationnel, il convient de rester ouvert à la beauté et, en général, à tout ce qui nous dépasse. En fidèle défenseur, Pitte tacle ici ceux qui ne seraient pas assez ouverts à la géographie culturelle, Roger Brunet en tête de file. L’harmonie homme-territoire est décrite par une valorisation des lieux de culte et une critique du fonctionnalisme des grands ensembles. Concernant les peuples d’Extrême-Orient, il y a paradoxe à affirmer que la vie doit prendre le dessus par tous les moyens alors que les pratiques sont des plus malthusiennes.

La troisième partie revient sur les finalités de la discipline, ce « pourquoi ici et pas là » retraduit ici par une éducation au génie des lieux. Les dysfonctionnements du système sont ici rappelés : une géographie scolaire qui ne fait plus rêver face au surplus d’information (et au catastrophisme journalistique associé) et réduite à sa portion congrue face à l’histoire, l’absence des géographes dans le débat public (exemple du débat sur les programmes de Terminale S). Saint-Dié a ouvert la voie mais tant reste à faire.

L’ouvrage se conclut sur un « éloge de la diversité ». Soulignant l’un des drames en sciences humaines, le manque d’audace pour généraliser à partir d’exemples isolés, Pitte montre, en prêchant pour sa paroisse, que le vin peut être un objet de culture géographique exaltant le génie des lieux en rempart à la mondialisation uniformisatrice.

Après s’être concentré, non sans heurts, sur le débat relatif à l’université, Pitte revient tranquillement à la géographie. Un livre à parcourir d’un trait, facile d’accès pour le profane. Si les exemples sélectionnés restent centrés sur la géographie culturelle et si le texte semble déjà dater (http://www.fideliz.com/spip.php?article3998), le message croisé de défense de la discipline et de quête d’une conception plus humaniste de l’environnement passe tout seul et invite à la réflexion et à l’engagement.

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