Voilà un sujet polémique ! Présentée par les uns comme la solution à la dépendance énergétique de la France, par les autres comme l’ultime abomination écologique, l’exploitation du gaz de schiste a fait l’objet – rappelons-le – d’une interdiction en France, du moins en l’état des méthodes de fracturation hydrauliques actuelles. Ce petit livre nous permettra-t-il de faire le point de la question ?
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L’auteur, Florentin Thévenet, exerce aujourd’hui la profession d’analyste financier. Diplômé d’un MBA d’une grande université américaine, Florentin Thévenet publie en fait son mémoire de fin d’études, probablement retraduit de l’anglais en français, ce qui explique une expression souvent un peu formatée.
Le propos de l’auteur est de faire le point sur l’exploitation du gaz de schiste, selon une problématique qui laisserait pantois n’importe quel écologiste bon teint, mais qui n’est pas dépourvue d’un certain intérêt : la « manne (du gaz de schiste) peut-elle être utilisée comme pilier d’une transition énergétique qui se fait attendre ? » J’entends déjà la bronca… Mais essayons de voir les faits avant de juger !
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Le plan est classique et équilibré, comme il sied à un mémoire universitaire. L’introduction est sans surprise : elle met en perspective le sujet, rappelle l’historique énergétique depuis 1973, pose la problématique, annonce le plan.
La première partie présente le gaz de schiste, ses techniques d’extraction, ses risques, évoque des pays comme points de comparaison. La deuxième partie s’intéresse directement à la France, la production et la consommation d’énergie, l’environnement économique, le cadre réglementaire et les ressources. La troisième partie ouvre des pistes de réflexion, propose des scénarios, voire des recommandations.
La conclusion fait le point sur la problématique – utiliser le gaz de schiste comme solution moins polluante pour lancer la transition énergétique – et évoque l’interdiction d’exploitation votée dans notre pays. Le livre est augmenté de 25 pages d’une bibliographie mêlant livres, articles et sites web, tant en français qu’en anglais. Quelques annexes terminent l’ouvrage, dont on aurait apprécié une liste des tableaux et des graphiques, assez nombreux et souvent utiles. Soulignons que des notes de bas de page, permettent de vérifier et d’approfondir.
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L’auteur commence donc par présenter les différents types de gaz regroupés sous le nom générique de « gaz de schiste ». Il n’oublie pas d’y agréger les « huiles de schiste », autrement dit les pétroles non-conventionnels – dont la production explose actuellement aux États-Unis, et qui mériteraient un ouvrage à part entière. Les différents types de ressources et réserves, bien connus des spécialistes, sont passés en revue, ainsi que le processus de production, plutôt complexe, qui montre opportunément que, contrairement à une idée répandue, on ne fait pas n’importe quoi pour extraire du gaz de schiste. Viennent ensuite les différents types de forage, particulièrement le forage horizontal, et la fracturation hydraulique, notamment la fracturation multiple (multistage fracking), qui permet d’arriver à des taux de récupération très rentables.
On apprend avec stupeur – contrairement à la vulgate écologiste – que les quantités d’eau utilisées par la fracturation hydraulique doivent être grandement relativisées : à partir de multiples sites analysés, Florentin Thévenet montre que l’extraction de gaz de schiste dans l’État producteur du Delaware consomme 20 fois moins d’eau que les terrains de golf ! Autre information majeure : la durée de vie moyenne d’un site de production est de 10 à 15 ans. La baisse rapide – si décriée – de la production d’un site (-80% sur les 5 premières années) n’est valide que si on en reste à une fracturation unique. En cas de fracturation multiple, la rentabilité est bien supérieure.
Mais la rentabilité en Europe ne saurait être la même qu’aux États-Unis : l’auteur calcule que le coût d’installation et de maintenance d’un site de production serait deux fois plus élevé en Europe, notamment en raison des différences juridiques et des réticences sociétales. Le rejet de la fracturation hydraulique pourrait cependant, à terme, être contourné par de nouvelles techniques, comme la fracturation au propane, au CO2 ou électro-accoustique, que Total ne peut tester en France faute d’un site de recherche…
En revanche, on ne suivra pas l’auteur dans son paragraphe sur la fracturation exothermique, solution inventée par la société Chimera Energy Corp… la bien nommée ! Si l’auteur avait mis à jour ses données sur la question, il aurait en effet constaté, dès 2012, que cette société était en fait une arnaque, dont les prétendues avancées technologiques n’étaient que fariboles : la sanction boursière a été féroce, avec une perte de valeur de l’action Chimera de 99,99% ! Peut-être l’auteur aurait-il pu vérifier ce point avant de publier plus de deux ans après les faits ?
Les risques environnementaux sont soigneusement analysés. Le mérite du livre est ici certain, tant les batailles de lobbies pro et anti gaz de schiste sont violentes et empêchent un consensus scientifique d’émerger. Ainsi, le célèbre documentaire Gasland, sorti en 2010, parait singulièrement sujet à caution. Une étude – elle-même contestée à son tour, évidemment – en montre les approximations. Difficile donc d’y voir clair.
L’auteur analyse ensuite divers exemples nationaux. Une chose est certaine : les émissions de CO2 américaines en 2012 ont baissé de 11% par rapport à 2007, non seulement en raison de la crise économique, mais aussi de l’utilisation du gaz naturel – et donc du gaz de schiste – dans les centrales électriques en lieu et place du charbon ! Voilà qui valide singulièrement la problématique de l’auteur sur l’utilisation du gaz de schiste comme amorce de la transition énergétique !
En revanche, on a été stupéfait par les connaissances pour le moins fragmentaires de l’auteur sur la Pologne, dont la superficie qu’il donne doit être corrigée d’un facteur 3, et qui – soulignons-le – ne se situe pas « sur les rives de la mer du Nord » (sic)… Non, non, je vous assure, la Pologne est bien ouverte sur la mer… Baltique !
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L’analyse du cas français est évidemment plus détaillée. La colossale facture énergétique de la France – aujourd’hui autour de 65 milliards d’euros par an – ne permet pourtant pas un débat plus équilibré dans notre pays. L’auteur rappelle opportunément que la France ne produit que 2% du gaz qu’elle consomme, et que cette dépendance se paie, sur un plan financier mais aussi géostratégique, et également social ! Un graphique fort utile montre que le prix du gaz en France a augmenté de 70% depuis 2005, alors que dans le même temps il a baissé aux États-Unis… de 50% ! Les conséquences économiques et sociales sont dramatiques. Or les réserves françaises en gaz de schiste sont au moins importantes, au mieux considérables. Il semble manifestement ahurissant à l’auteur, malgré une expression toujours feutrée sur le sujet, que l’on ne veuille pas même en considérer l’opportunité ! D’autant que les coûts de production par type d’énergie ne sont pas franchement en faveur des énergies renouvelables (c’est un understatement).
L’impopularité actuelle de l’énergie nucléaire post-Fukushima ne fait qu’aggraver le problème énergétique de la France, dont Florentin Thévenet fait le tour : si la France réduit d’un tiers ses capacités électronucléaires sous la pression du lobby écologiste, le coût estimé est de 1700 milliards d’euros – précisément le coût de l’arrêt des réacteurs nucléaires allemands ! A la lecture de cette partie du livre, on ne comprend pas bien l’aveuglement français en matière énergétique. D’autant que l’extraction du gaz de schiste en France – et donc les emplois associés – se ferait précisément dans les régions les plus touchées par le chômage, selon une analyse géographique rapide mais éclairante de l’auteur !
L’auteur est de ce fait peu optimiste sur un éventuel boom du gaz de schiste en Europe et particulièrement en France. Outre le fait que, le sous-sol français appartenant à l’État, les particuliers n’y ont pas d’intérêt immédiat, les contraintes légales (loi Jacob) et le refus sociétal conduisent à penser que notre pays laissera en terre des réserves qui représentent pourtant, même en estimation basse, 75 années de consommation nationale… qu’il faudra acheter ailleurs, pour le plus grand bien des Russes, Norvégiens et autres Qataris, mais pas forcément pour les ménages français !
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L’exploitation du gaz de schiste en France permet donc de mettre au clair ses idées sur le sujet. Dans cet ouvrage souvent bien documenté, Florentin Thévenet en reste aux faits et à une analyse tout en retenue, exposant clairement les grandes données d’un problème qui reste un tabou en France.
Christophe CLAVEL
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