Dans l’Héritage du jacobinisme, Maxime Renard propose une analyse idéologique puis une revue chronologique de la transmission du jacobinisme. Cette pensée politique et ses principes de gouvernement, nés avec la Révolution française, furent réappropriés et transformés par de nombreux partis et états au cours des différents temps politiques de l’histoire contemporaine, en premier lieu en France.

Genèse du jacobinisme et gouvernement révolutionnaire

Dans une première partie, M. Renard détermine les axes forts de la pensée politique jacobine révolutionnaire, qui serviront au gouvernement de la France pendant la période dite de La Terreur : souveraineté absolu du peuple, qui se justifie par sa vertu naturelle, « peuple » par opposition à ses ennemis, les tenants de l’Ancien Régime, privilégiés, riches, clercs et idéologies politiques différentes; nécessité impérieuse de travailler au salut public, en se reposant sur la vertu naturelle du peuple, en luttant contre les inégalités de conditions autant que possible, grâce à la loi, presque sacralisée. L’auteur insiste sur l’aspect messianique du jacobinisme, symbolisé, à l’extrême, par la vénération de l’être suprême de Robespierre : sauver l’Homme égaré des mauvais régimes politiques, des mauvaises conditions économiques, des mauvaises sociétés et, en aliénant sa liberté individuelle par le contrat social, lui imposer une société idéale : plus juste, plus égalitaire, plus vertueuse.

Le jacobinisme défend la république au sens fondamental de « chose publique », non de droit de chacun, par opposition donc, voire en opposition, avec les particularismes, communautés et groupements qui ne défendent pas ou ne protègent pas – à ses yeux – l’intérêt général. Ses principes de conquête du pouvoir et de gouvernement reposent sur la pensée de Jean-Jacques Rousseau, qui juge que les politiques doivent aller chercher le bon gouvernement, la société plus juste, dans la vertu du peuple, construire un système où ils le protège, le valorise, lui donne les moyens législatifs de tout contrôler et transformer.

Mais il s’agit de la théorie, car de fait, les jacobins révolutionnaires durent se comporter en technocrates et n’eurent pas le temps de voir leurs efforts de mise en puissance du peuple devenir réalité; ils furent renversés avant par les partisans d’un système plus modéré. Plusieurs hommes politiques tinrent aussi un rôle d’idéologue pendant la révolution, aux tribunes des assemblées, des clubs et des journaux, ainsi Robespierre, Saint-Just, Carnot.

La transmission du jacobinisme aux XIXe et XXe siècles

Si M. Renard identifie la partie « absolutiste » de la pensée jacobine comme un héritage de la monarchie absolue française, il ne la relie pas ensuite aux différents gouvernements, en dehors des républicains, qui firent la France aux XIXe et XXe siècles.

Rejetée jusqu’en 1830, à cause des excès de la Terreur, la pensée jacobine retrouva, selon lui, une place majeure dans les révolutions de 1830 et 1848. La réappropriation révolutionnaire la plus remarquable fut toutefois celle opérée par Marx puis par les révolutionnaires russes de 1917, qui utilisèrent ouvertement les principes de 1792-93, notamment la Terreur – devenu « dictature du prolétariat » – pour construire l’URSS. Si des différences existent entre les deux Etats, la mise au coeur du système de la vertu du peuple et de la lutte contre ses ennemis réels ou supposés révèle parfaitement la parenté entre Ière République Française et URSS des origines.
Le jacobinisme, dans une version moins révolutionnaire, fut au coeur de la construction et de l’épanouissement de la IIIe République, de la IVe République et de la Ve République.

Modification de la pratique jacobine française en deux temps

M. Renard note deux inflexions majeures à partir des années 70 : la nouvelle place accordée par Giscard d’Estaing au Conseil Constitutionnel, qui passe au-dessus de la loi et de la constitution, c’est à dire au-dessus de la volonté du peuple, en principe expression des assemblées, pour la contrecarrer, si celle-ci lui semble dangereuse, « inconstitutionnelle ». Nicolas Sarkozy, en 2008, a encore renforcé cette tendance en rendant apte chaque individu à se défendre d’une loi, s’il l’estimait inconstitutionnelle.
Le second temps de remise en cause, dans les années 1990, est celui de Maastricht et de la montée en puissance de la supranationalité européenne, qui oblige l’Etat français à la compromission avec d’autres manières et traditions politiques. La possibilité de contester le droit français, normalement norme absolue, grâce au droit européen, est la réalité la plus évidente et contrariante pour la pensée jacobine (Seguin) de cette évolution.

En ce qui concerne les années 2000, Maxime Renard cherche à expliquer le déficit de confiance de plus en plus grand des citoyens envers les politiques par cette déstabilisation en cours de ses habitudes jacobines, de plus en plus empreintes d’une pratique de gouvernement à l’anglo-saxonne : où le droit protège l’individu et non la société, dans une optique de liberté et de justice individuelle et non de vertu et de justice collective. Le peuple français a l’habitude de voir des politiques forts, s’engager pour de vastes projets de société, un brin utopique, mais simultanément, il exige de plus en plus de leur part, une intervention/protection dans tous les aspects individuels de ses droits, ce qui, dans le système anglo-saxon, ne relève justement pas du politique, mais de la justice.

Quel avenir pour le jacobinisme ?

Il distingue deux écoles de pensée française : une libérale, qui affirme que les évolutions actuelles montrent une sortie (enfin) de la Révolution et une maturité de la démocratie française, quittant pour de bon l’absolutisme. Et une autre école, affirmant que sans le centralisme et le messianisme jacobin, c’est toute la France qui risque l’effondrement, pour devenir autre chose – peut-être une partie de l’UE, tout simplement.

En conclusion, Maxime Renard affirme que si les tendances actuelles sont à une remise en question du jacobinisme de l’Etat français, celui-ci a encore de l’avenir devant lui, étant ancré depuis plus de deux siècles dans la tradition politique de l’Hexagone.