Paru au début de l’année 2021 aux Editions du Sonneur, Jetés aux ténèbres est le premier roman de l’autrice Sandrine Berthet. Ayant vécu en Nouvelle-Calédonie, cette dernière consacre son premier récit au séjour des communards sur l’archipel pénitentiaire, très loin de l’agitation de la capitale, de ces combats rudes qui ont procédé la tragique Semaine Sanglante.

Le roman s’ouvre sur la déportation du communard Étienne Delandre, prisonnier emmené au bagne calédonien avec ses camarades de lutte sur la Danaé. La traversée, de plusieurs mois et entrecoupée d’arrêts en Amérique du Sud pour se ravitailler, fait apparaître la détresse de ces destins brisés, en quête de rédemption pour les uns, de nouvelles de leurs proches pour les autres, en se raccrochant les jours de forte houle aux souvenirs des êtres aimés laissés sur le chemin. Étienne pense à son Émilie-Romagne, à sa famille, à sa mère qui sombre à mesure que la détention de son fils continu, à sa sœur Gioia, à Julie qu’il aurait aimé épouser.

La traversée s’éternise et affaiblit les corps. Au fil des pages la rumination de l’espoir de liberté ne cesse de venir tourmenter le jeune Étienne. Il conserve cependant la force de tenir. Mais des camarades craquent et mettent fin à leurs jours, quand le scorbut terrasse les autres et accable un peu plus les déportés. Le cap de Bonne-Espérance passé direction Melbourne. Quelques étapes dans un périple qui prend fin au bout de 147 jours lorsque la Grande-Terre est en vue.

La longue traversée, aux allures d’enfer physique et moral, cède la place aux rêves de liberté dans ces criques calédoniennes. Jetés dans cette nature inconnue et complexe, les communards sont seuls. À peine s’ils ne sont pas laissés en pâture aux éléments, sans aucune aide. Étienne va explorer son nouveau pays, découvrir ces espaces où le long exil vient de débuter.

Sur la presqu’île, les déportés aménagent le terrain. À force de demander à la Pénitentiaire des outils, ils ont obtenu de quoi se construire des abris pour résister aux intempéries et à l’alternance de la saison chaude de la saison des pluies. Le nombre de déportés ne cesse de grossir. L’ennui s’installe. Le travail est rare et les déportés souffrent de la faim. Le désespoir gagne et les premiers morts arrivent.

Les mois passent et c’est à petit feu que l’on élimine communards. Par le désespoir, l’oubli qui peu à peu perce la carapace des hommes les plus résistants et forts. Etienne est de ceux-là. Il souffre dans son enfer de Ducos, dans la baie de Nouméa, éloigné de sa famille.

Mais de nouveaux arrivants en Nouvelle Calédonie égaillent le quotidien. Les opposants politiques au nouveau régime républicain viennent grossir les rangs des militants de la Commune. Victor Henri marquis de Rochefort Luçay, Nathalie Le Mel sont de cela. Étienne tissera des liens forts avec certaines familles présentes sur place. Les amitiés nouées permettent de briser la monotonie des journées.

Parmi tous les nouveaux venus c’est Louise Michel qui va ranimer l’énergie les débats dans la presqu’île. La force que dégage la Vierge Rouge tranche avec l’austérité de sa toilette. Rien ne transparaît en elle des craintes et des peurs qui assaillent les autres prisonniers. L’admiration mêlée une certaine jalousie étreint le jeune Étienne. La curiosité de la Grande révolutionnaire, son contact facile avec la population kanak sont autant de marques de sa grandeur au sein du mouvement ouvrier. Les mois s’écoulent, les morts s’accumulent. Parmi les décès en compte la jeune Emma, qu’Etienne aimait tant. Elle meurt avant ses 17 ans. Emma est une enfant pour l’éternité.

Après cinq années passées sur la presqu’île de Ducos, Étienne est autorisé à gagner Nouméa où il travaillera au service de Monsieur Higgingson. Il va ainsi pouvoir découvrir la société calédonienne, au rythme des nouvelles parvenant de France et en conservant le secret espoir d’une amnistie.

Au cours de cette période les Kanaks se révoltent et les Européens tremblent. La proposition de grâce arrive mais beaucoup, dont Étienne, la refuse. Cela serait reconnaître avoir eu tort dans sa colère et dans sa lutte. Et pour autant Étienne ne reconnaît plus le jeune bourgeois révolutionnaire qu’il fut. Ce révolutionnaire, empreint de romantisme et d’une naïveté confondante, a laissé place à un homme mûr et transformé par son expérience et son exil.

L’amnistie pourtant vient. Étienne peut quitter la Nouvelle Calédonie et enfin retourner auprès des siens.

Un premier roman qui donne à connaître le purgatoire moral et physique que fut la déportation en Nouvelle-Calédonie. Une période méconnue de l’histoire politique de notre pays que Sandrine Berthet éclaire à sa façon.