Qui est véritablement Léon Monet ce frère oublié qui fut, à la fois chimiste, marchand de couleurs, collectionneur et mécène des impressionnistes ?
L’événement au musée du Luxembourg en étonnera plus d’un. Il s’agit de comprendre les liens qui existent entre la 2e révolution industrielle et la création artistique du moment.
Ce carnet d’expos a été publié à l’occasion de l’exposition « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur » présentée à Paris, au musée du Luxembourg du 15 mars au 16 juillet 2023.
Diplômée de l’école du Louvre et docteur en histoire de l’art, Géraldine Lefebvre, auteur de l’ouvrage, a été commissaire de l’exposition comme Monet-Auburtin au musée de Giverny en mai 2019.
Léon Monet un frère tout en couleur
De 4 ans son aîné, le frère de Claude Monet (1840-1926) sera toujours lié à la carrière de l’artiste. Tandis que Claude suit sa vocation artistique, Léon (1836-1917) se spécialise dans la chimie des couleurs pour l’industrie des teintures d’indiennes.
Après des études scientifiques, le jeune homme s’installe à Paris comme négociant. Il est recruté par une puissante société de chimie qui implante une antenne à Maromme, près de Rouen. Léon Monet y implante sa famille. Les frères Monet se fréquentent régulièrement durant les années 1870-1880. À cette époque, Claude travaille sur le motif (peinture de plein air) à Étretat ou au hameau des Petites-Dalles où il fait construire une maison. Léon est même le témoin de Claude lors de son 2nd mariage.
Une société industrielle de Rouen et un réseau d’affaires
En 1872, Léon propose aux industriels et aux chimistes de créer une société à Rouen sur le modèle de celle Mulhouse. Il développe ainsi des réseaux avec des chimistes, des industriels et les instances municipales qui lui permettent d’asseoir sa position professionnelle.
L’aîné crée une association (Société Industrielle de Rouen) où il occupe de nombreuses fonctions comme archiviste, bibliothécaire, membre du comité de chimie, rédacteur de rapports scientifiques. Il suggère la création d’un musée industriel.
En 1879, cette société industrielle de Rouen s’établit dans l’ancienne halle de la ville, proche de la cathédrale où Claude s’installera pour peindre.
L’artiste et l’industriel : la révolution des couleurs
Léon Monet devient une figure locale liée à l’industrie, en tant que directeur de la seule filiale française de la société suisse Geigy et Cie. L’entreprise exporte des colorants vers l’Amérique, l’Inde, la Chine, le Japon…
Maronne devient une cité qui produit des teintures textiles. Peu à peu, Les pigments d’origine végétale disparaissent au profit de colorants artificiels qui s’imposent dans l’industrie tinctoriale.
Les peintres vont plébisciter ces recherches scientifiques. Les nouvelles réflexions chez les industriels entraînent l’utilisation de nouvelles couleurs disponibles en tubes, faciles à transporter, en faveur d’une peinture de plein air.
L’intérêt des frères Monet pour la couleur et ses applications dans les arts éveille les avant-gardes modernes. Claude Monet a évolué dans un milieu industriel, notamment au Havre où les premiers mécènes sont aussi marchands de couleurs. En 1893, le peintre visite la fabrique d’indiennes de Charles Besselièvre ainsi que l’usine de son frère souvent en compagnie des chimistes bâlois.
Léon premier mécène de Claude et soutien des impressionnistes
Léon acquiert très tôt un certain nombre de paysages et de natures mortes exécutés par son frère à l’époque où il travaille au Havre. Même s’il peine à trouver des clients, le grand frère croit fermement dans les qualités du plus jeune. Il apprécie les portraits familiaux exécutés par Claude notamment deux tableaux représentant leur père Adolphe. Il entend documenter la carrière artistique de son frère et il étiquette chaque tableau sur son revers avec le titre le lieu et la date de création.
L’industriel possède également une vingtaine de peintures et des carnets de dessins des amis de Claude Monet Camille Pissarro, Alfred Sisley et Auguste Renoir mais aussi des artistes de l’École de Rouen.
Léon Monet cherche à devenir mécène. Il affirme son goût pour les mouvements artistiques de son temps et n’hésite pas à les promouvoir devant l’indifférence des institutions.
L’École de Rouen
Léon apprécie également les jeunes artistes impressionnistes de sa région. Sa collection comprend des peintures de paysages et de fleurs de Georges Bradberry, de Marcel Delaunay, qui font partie de la Société des artistes rouennais.
L’engagement de Léon aux côtés de son frère est décisif pour lancer la carrière de celui-ci. Il privilégie les œuvres de jeunesse représentant les lieux où les deux hommes ont vécu entre Le Havre, Sainte-Adresse, Rouen, Étretat et les Petites-Dalles, une station lancée par Sissi l’impératrice. Léon fait construire une « Maison rose » dans ce petit village de pêcheurs où il invite souvent le peintre, avide de paysages en plein air.
Cet amateur fait photographier les chefs-d’œuvre de Monet, de Renoir, de Sisley et de Pissaro afin de les réunir dans un album relié en cuir créant ainsi son musée imaginaire de la peinture impressionniste, mais aussi des livres de couleurs, des échantillons de tissus, des estampes japonaises, des documents d’archives et de nombreuses photographies de famille, ce qui révèle la personnalité singulière d’un amateur d’art éclairé.
Cet album d’expo présente un double intérêt. Synthétique et plaisant, il permet de se préparer à la fréquentation du musée du Luxembourg. Son petit format augmenté, selon l’usage de cette collection, de dépliants liés à des focus thématiques, aborde la vie passionnante d’un homme méconnu dans l’ombre d’un frère si célèbre.