Ancien directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, Guy Hermet publie un tableau pessimiste du fonctionnement des pays démocratiques où se sont développés des formes de contrôle des esprits mais aussi des logiques de « correction » allant du politiquement ou au pédagogiquement correct.

L’auteur dénonce ici une liberté faussée, soumise à une censure qui n’est pas extérieure, mais intériorisée. Il rappelle par exemple que certains mots sont devenus tabous comme souveraineté du peuple consubstantielle à l’idée de démocratie. Cela laisse place d’ailleurs aux populismes qui apparaissent comme des substituts de cette crise des démocraties.

Langage citoyen

On trouve également dans ces séries de substituts le nationalisme démocratique ou le wilsonisme botté. version finale. Guy Hermet dénonce aussi avec une certaine vigueur les abus de langage sur certains termes qui font partie du parcours obligé : « citoyen » ou « républicain », ou encore « citoyenneté » sont devenus des étiquettes indispensables dont on use et abuse.
L’auteur utilise d’ailleurs la jolie formule de « préservatif lexical » garantissant la « bonne » pensée.

Le bilan que fait Guy Hermet de nos démocraties est en effet assez pessimiste. On parlera d’usure de la démocratie en France du fait des cohabitations successives et du poids de la rue rendant les réformes nécessaires difficiles. Le bilan aux Etats-Unis est de même nature avec la baisse de la mobilité sociale et surtout la montée en puissance de l’idéologie de la peur. De façon globale on assistera à une baisse de l’éthique de responsabilité des élites et aussi à une sorte de fuite en avant. Guy Hermet traduit en effet les évolutions que l’on peut constater dans des élites qui n’ont plus d’entrepreneurial que le nom, et dans une fuite en avant en matière de luxe ostentatoire. On est bien loin en effet du compteur électrique séparé que le Général de Gaulle avait fait installer à l’Élysée !

et éloge de l’gnorance

De ce fait, et pour pallier ce désenchantement du politique on se voit opposer une sorte d’absolutisme démocratique reposant sur le culte du consensus national mâtiné de politiquement correct le tout consolidé par une mémoire officielle estampillée par la Loi. En France, depuis la loi Gayssot (1990), qui sanctionne la négation des crimes contre l’humanité commis durant la seconde guerre mondiale, on a adopté d’autres lois qui prétendent dire ce qu’est la vérité historique, sur l’esclavage ou le génocide arménien. La notion de « vérité officielle » n’est pas loin !
Mais dans le même temps, et c’est quand même ce qui différencie les démocraties mêmes usées et les régimes autoritaires, la vérité ne vient pas seulement de l’État, même si la tendance en France avec lecture officielle de textes, (cf. lettre de Guy Môcquet), a pu être réactualisée. Les instances qui dispensent le « politiquement correct » sont diverses : les hommes politiques, les hauts fonctionnaires, les syndicats, les Eglises, les intellectuels, les journalistes… C’est donc à une prolifération de « prêt-à-penser. » que l’on assiste.
A défaut d’être providence, ce qu’il n’a plus les moyens, d’être, faute de volonté politique, l’État se fait thérapeute et donc apaise à défaut de réparer. De ce fait , en entretenant la confusion dans les mots, on « désinstruit » les gens, l’esprit critique s’efface au profit de la recherche d’un consensus qui évacue les différences. L’auteur revient notamment sur ce mot fourre-tout, apparu insidieusement de «gouvernance » qui remplace celui de « gouvernement ». Cela va sans doute plus loin que la terminaison du mot, mais montre bien une volonté de dilution du concept d’autorité et donc de ce fait d’identification de la responsabilité politique.

Préservatif lexical

Guy Hermet va même jusqu’à qualifier cette évolution de nouveau régime, en reliant cela à la cyber-démocratie qui aurait tendance à se substituer aux forme désormais « dépassées » de la vielle démocratie représentative. On connaît cette tendance à substituer à l’exposé d’un programme et d’objectifs précis la démocratie participative et le blog.
Pourtant, et la participation électorale en France en 2007 semble avoir été une divine surprise mais peut-être éphémère, le désenchantement du politique ne parait pas menaçant à court terme pour la démocratie. Les limites à la démocratie se trouvent peut-être dans le tout cathodique et dans les effets spéciaux que les politiques mettent en œuvre pour se faire élire. Une fois élus, c’est la gouvernance qui s’applique, une forme de pouvoir qui se passe de l’élection mais qui s’appuie sur des cercles d’experts supposés compétents. De ce point de vue, le gouvernement Sarkozy, (on n’ose plus dire Fillon, de peut d’être obligé de préciser de qui il s’agit), est parfaitement dans la norme de la gouvernance et donc d’un Nouveau Régime.
Au final, ce livre de Guy Hermet est une véritable mine d’arguments limpides pour savoir où l’on va. La limite de l’exercice, mais faire autrement serait difficile, réside dans la difficulté à trouver un autre chemin que celui, tout balisé, auquel la paresse intellectuelle et l’absence de grandes utopies créatrices nous entraîne…

Bruno Modica