Dans ce livre très documenté, Marie-Luce Desgrandchamps se penche 50 ans après, sur la crise du Biafra.

C’est un moment clé pour l’humanitaire; et un bras de fer géopolitique entre France et Royaume Uni. En effet, Charles de Gaulle soutient la sécession car il considère que « le morcellement du Nigéria est souhaitable »; alors que les Britanniques soutiennent le gouvernement fédéral nigérian.
Seuls 4 pays africains reconnaissent le Biafra : 2 francophones : le Gabon du président Bongo et la Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny qui veut l’affaiblissement du géant anglophone de l’Afrique de l’ouest. 2 anglophones : la Tanzanie et la Zambie. Enfin, en 1969, Haïti rejoint ce petit groupe. Le Portugal et l’Afrique du sud apportent eux aussi un soutien non officiel.

Chronologie de la Crise du Biafra entre 1967 et 1970

En mai 1967, le lieutenant colonel Ojukwu déclare l’indépendance du Biafra.
Il y a 5 phases :
1) La percée biafraise vers le Centre Ouest de juillet à août 1967.
2) La percée fédérale vers le Centre Est d’août 1967 à octobre 1968. Le 19 Mai 1968, la chute de Port Harcourt accélère l’encerclement du Biafra.
3) La contre offensive biafraise d’octobre 1968 au printemps 1969.
4) La contre attaque fédérale du printemps à octobre 1969.
5) L »écrasement du Biafra et la victoire fédérale de novembre 1969 à janvier 1970.
Le 11 Janvier Ojukwu part en exil en Côte d’Ivoire.
Le 15 Janvier c’est la capitulation du Biafra.

Le contexte dans l’actualité, c’est le mouvement de mai 1968 et la guerre du Vietnam.
Malgré cette actualité brûlante, la famine au Biafra est un évènement médiatique à l’été 1968.
A l’époque on parle de génocide et d’un ou de deux millions de morts de la guerre civile; en 2018 on pense qu’il y a eu entre 100.000 et 200.000 morts, soit 10 fois moins. La famine fait elle ente 636.000 et 782.000 morts; au lieu des 3 millions de morts évoqués en 1970.

Analyse des opérations humanitaires

Le premier élément, c’est la concurrence entre le CICR (Comité International de la Croix Rouge) et les Eglises catholique et protestante.
Les Eglises sont plus efficaces et amènent 940 Tonnes de mars à août 1968; pour 398 tonnes pour le CICR.
De septembre 1968 à juin 1969: les Eglises 60.000 Tonnes et le CICR 20.630 tonnes.
Mais quand un avion de la Croix Rouge Suédoise est pris pour cible et s’écrase le 5 juin 1969; le CICR arrête totalement son pont aérien; Les Eglises, elles, continuent jusque janvier 1970.
L’humanitaire est le nerf de la guerre et elle est parfois au service de la politique française.
Une des conséquences principales du Biafra, c’est la rupture entre CICR et certains acteurs humanitaires qui créent Médecins Sans Frontières (MSF) le 22/12/1971. MSF veut témoigner et critiquer alors que le CICR veut rester neutre et discret.

Bernard Kouchner, un des douze fondateurs de MSF, crée un Comité de lutte contre le génocide au Biafra. Il attaque la « coalition meurtrière des gouvernements anglais, soviétique, américain et égyptien » et défend la « résistance populaire, farouche, unanime et désespérée ». Il oppose donc victimes et bourreaux et sert (in)directement la diplomatie française. Citations du Nouvel Obs du 19/01 1970 au titre de « un médecin accuse ! ». L’auteur nous rappelle que Michel Debré, premier ministre de DE Gaulle, défend le Biafra à la tribune de l’O.N.U. le 7 octobre 1968. Pour la France, il s’agit de diminuer l’influence britannique en Afrique de l’Ouest et de se venger du Nigéria qui a condamné les essais nucléaires français dans le Sahara en 1960.

Les Humanitaires refusent les consignes du CICR et mettent en scène l’héroïsme des médecins français ( stratégie qui sera réutilisée par le même Kouchner en décembre 1992 dans l’opération militaro-humanitaire de Somalie pour défendre le doit d’ingérence; et se montrer en héros porteur d’un sac de riz devant les nombreux photographes ). Cette image médiatique des « french doctors » ne doit pas nous faire abandonner tout esprit critique sur la récupération politique de l’humanitaire, sur l’utilisation de l’humanitaire par des mouvements armés et sur l’ambiguïté du militaro-humanitaire en Somalie, comme en ex Yougoslavie ou en Libye…

En conclusion, la crise du Biafra est le début de l’humanitarisation de la gestion des crises internationales, la naissance et le renouveau d’un humanitaire de plus en plus médiatique et partisan; et enfin aussi l’association dans l’imaginaire occidental des mots « Afrique », « famine » et « victimes ». Sur les 12 fondateurs de MSF, 4 sont des médecins présents au Biafra : Bernard Kouchner, Max Récamier, Pascal Grellety-Bosviel (décédé en avril 2017) et Vladan Radoman (décédé en octobre 2015).
Il faut ici rappeler selon les mots de Jean Christophe Rufin (ex MSF) que l’humanitaire peut aussi être un piège. Ce livre est donc à méditer et nous amène à une réflexion approfondie, et parfois utilement décapante, sur l’humanitaire et ses liens avec la politique.