Pour avoir été le bras armé de la colonisation, les troupes coloniales n’ont à l’évidence pas bonne presse, à moins que l’on en ait une vision caricaturale opposant les figures de sabreurs de la République aux héros tour à tour conquérants, explorateurs et bâtisseurs. Symbole de la puissance française à l’étranger, la Coloniale est pourtant au cœur de l’histoire politique et militaire française, de l’expansion coloniale des XIXe et XXe siècles au départ des Français d’Algérie en 1962. Composée de troupes d’infanterie et d’artillerie – marsouins (fantassins de la marine) et bigors (artilleurs de marine) –, soutenue par un service médical et une intendance spécifique, on la réduit trop souvent aux tirailleurs, qui n’en sont qu’une composante. Chargée de représenter la souveraineté française outre-mer, que ce soit pour conquérir des territoires, les administrer, réprimer des révoltes intérieures ou les défendre d’une agression extérieure, ces troupes participent à toutes les opérations de guerre du XXe siècle, servant aussi en métropole pendant les deux conflits mondiaux. Cette force militaire épouse donc très logiquement les vicissitudes de la politique extérieure de la France, ce que démontre Julie d’Andurain dans cette première réflexion globale sur les troupes coloniales, instruments de la République pour soutenir la place de la France au sein de ce que l’on appelait alors « l’équilibre des Puissances », de 1870 à 1966.

Fort de 400 pages, l’ouvrage de Julie d’Andurain Julie d’Andurain, une historienne spécialiste des études coloniales et/ou impériales – Né en (mai !) 1968, âgée de 56 ans, Julie d’Andurain (fille du résistant communiste Jacques d’Andurain), agrégée d’histoire à 30 ans (1998), a obtenu son doctorat d’histoire contemporaine à Paris-IV-Sorbonne, en soutenant une thèse d’histoire sous la direction de Jacques Frémeaux, en 2009, consacrée au général Gouraud, Le Général Gouraud, un colonial dans la Grande Guerre (1914-1918), à 41 ans. Sa thèse a été publiée en 2022 aux éditions Perrin sous le titre Le général Gouraud. Un destin hors norme de l’Afrique au Levant. Enfin, avec Jacques Frémeaux pour garant, elle obtient son Habilitation à diriger des recherches (HDR), avec son mémoire intitulé Les troupes coloniales, un outil militaire et politique (1870-1962) soutenue en 2016, également à Paris-IV-Sorbonne, à 48 ans. Son mémoire de HDR est publié aux éditions Passés/Composés, sous le titre Les troupes coloniales. Une histoire politique et militaire, depuis février 2024. Professeur d’histoire-géographie agrégée dans le secondaire (collège puis lycée) de 1998 à 2010, elle fut ensuite enseignant-chercheur à l’École militaire de Paris, de 2010 à 2017. De plus, entre 2007 et 2017, elle fut chargée de cours à Paris-IV-Sorbonne, en histoire du monde arabe. Depuis 2017, elle est professeur des Universités en histoire contemporaine à l’Université de Lorraine (Metz). Ses travaux portent principalement sur les pratiques combattantes, leurs représentations, la production des mémoires de guerre en Afrique et dans le monde arabe aux XIXe et XXe siècles, elle étudie plus particulièrement les modalités de mise en œuvre de la domination coloniale à travers les interactions entre les réseaux militaires et les réseaux politiques. Outre ses très nombreuses publications à la suite de l’obtention de son doctorat et de son HDR (chapitres d’ouvrages, articles de revues, comptes-rendus, etc.), elle a écrit également des monographies comme Marga d’Andurain (1893-1948), une passion pour l’Orient. Le Mari Passeport, parue chez l’éditeur Maisonneuve & Larose nouvelles éditions/Hémisphère éditions en 2019 (biographie consacrée à sa grand-mère paternelle) ou Colonialisme ou impérialisme ? Le « parti colonial » en pensée et en action (Hémisphère éditions/Zellige, 2017), Henri Gouraud. Photographies d’Afrique et d’Orient. Trésors des archives du Quai d’Orsay (Éditions Pierre de Taillac/Archives diplomatiques, 2017) et, enfin, La Capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest (Soteca, 2012). Par ailleurs, Julie d’Andurain est à la fois membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (élue en 2019 et installée en 2021) ainsi que du Comité des Mémoires de l’École de Guerre (Paris, École militaire) sans oublier le Conseil scientifique de la Recherche Historique de la Défense (CS-RHD). Les troupes coloniales, un outil militaire et politique 

 Un outil politico-militaire (1870-1900)

La première partie présente les troupes coloniales françaises comme étant avant tout un outil pour le pouvoir en matière de politique étrangère et impériale de la France, Un outil de conquête

Avec le chapitre 1, Julie d’Andurain développe l’« outil de conquête » que sont devenus les troupes coloniales françaises avec Napoléon III (troupes de marine) chargées de renforcer les positionnements commerciaux de Madagascar et Dakar ainsi que l’augmentation des possessions en Afrique, en Extrême-Orient et en Océanie faisant tripler de volume le cadre colonial français, avec moins de 20 000 hommes, puis elle obtient le statut d’arme spécifique grâce à la bataille de Bazeilles (31 août-1er septembre 1870), dans les Ardennes, durant la guerre franco-prussienne de 1870, sans oublier la variabilité des modalités d’entrée dans la Coloniale (et de sortie !) pour les officiers (Marsouins sortant de Saint-Cyr et Bigors de Polytechnique), sous-officiers et soldats : Cœur de matelot ou cœur de soldat ? Les marsouins et bigors de la « Coloniale blanche » . Grâce à la volonté des républicains gambettistes et ferristes voulant ancrer la République solidement et profondément dans la société française en un temps record, l’armée française s’affirme en revendiquant son rôle d’éducatrice de la nation et justifie les conquêtes coloniales en contestant l’hégémonie continentale de l’Allemagne (reconquête de l’Alsace-Moselle) et la domination maritime britannique ; la conquête coloniale s’appuie sur des générations coloniales servant à structurer les mythes coloniaux qui sont nécessaires pour le recrutement et conforter l’existence même du corps s’incarnant à la fois dans des espaces géographiques et dans un officier charismatique (Faidherbe le « Sénégalais », Gallieni le « Soudanais », Lyautey le « Marocain », etc.) constituant ainsi un olympe colonial : L’olympe colonial ou les ancrages culturels des coloniales. Le recours à la troupe indigène dépend de l’aire géographique (en Algérie, les troupes supplétives à cause de la défiance des colons contre le recrutement et la formation des troupes locales, en Afrique noire avec le régiment des tirailleurs sénégalais ainsi qu’en Asie avec les tirailleurs annamites et tonkinois dans les années 1880). Ainsi, vers 1885, tant en Asie qu’en Afrique, en matière de troupes coloniales, la France dispose 22 778 hommes dont 18 600 issus des régiments d’infanterie de marine, mêlant des « troupes de couleur » et des formations dites « blanches ». Enfin, l’étude d’une demi-douzaine de tableaux de tarifs de solde de 1894 permet de conclure qu’au final la France est partiellement « coloniale » en affectant les fonds à une seule partie des troupes, soit les officiers supérieurs issus de l’artillerie de marine (bigors de Polytechnique) chargés d’ouvrir la voie aux industriels, investisseurs et colons… : La troupe, un recrutement par la loi ou par la solde ?

L’outil politique

Avec le chapitre 2, l’auteure aborde l’« outil politique » que sont les troupes coloniales successivement sous l’angle diplomatique, ministériel et du lobby colonial. Pour parvenir à un recrutement massif, les gouvernements ont multiplié les études sur la valeur des troupes de marine hors de métropole, dès la fin de la guerre de 1870, où les effectifs ne dépassent pas 9 000 hommes (15 000 en 1875), avec un budget de la Marine mettant les marsouins et les bigors dans une position subalterne aux marins. Une succession de crises coloniales (révolte canaque de 1878-1879, abandon de l’Égypte au profit de la conquête de la Tunisie en 1881, désastre de Lang Son au Tonkin en 1885, campagne au Dahomey de 1892-1893 et, enfin, campagne de Madagascar de 1895 dotée de 15 000 hommes se soldant par un vraie catastrophe !) va permettre de doter les troupes coloniales d’une armée spécifique au bout de 20 ans de tergiversations : Un outil diplomatique au temps du Scramble. Depuis le début des années 1880, les troupes coloniales sont rattachées administrativement au ministère de la Marine alors qu’elles sont formées et payées par le ministère de la Guerre, demandant ainsi son rattachement définitif à ce dernier. En 1881, l’Algérie est rattachée au ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires Étrangères a la direction de territoires coloniaux et aspire à présider les protectorats. Dès lors, la création d’un ministère des Colonies fait son chemin (1889-1890) et voit le jour définitivement en 1894 (1894-1946) : Un outil ministériel convoité. Le « parti colonial » voit le jour en 1890 (sous la férule du député d’Oran Eugène Etienne) et est plus africaniste qu’asiatique ainsi que plus « terrien » que « marin » d’un point de vue militaire. Véritable lobby colonial, ce réseau est constitué de parlementaires, de financiers, de publicistes aux mains d’une presse quotidienne nationale (Le Temps) et spécialisée puis de militaires. Malgré la lucidité du député du Rhône Henry Fleury-Ravarin, favorable à une vraie armée coloniale, le ministère des Colonies est entaché par des affaires (Fachoda en 1898) mais se rattrape avec la campagne de Chine (la « guerre des Boxers » de 1905) en envoyant les troupes coloniales : Un outil militaire pour le lobby colonial.

Un outil de défense

Avec le chapitre 3, l’enseignante-chercheuse démontre que les troupes coloniales sont un « outil de défense » pour les colonies françaises. La loi du 7 juillet 1900 est l’acte de naissance des troupes coloniales. Ces dernières sont rattachées au ministère de la Guerre mais le transport et le ravitaillement dépendent de la Marine ainsi que l’emploi, l’entretien et l’administration des troupes répondent des Colonies. Cependant, les troupes coloniales disposent d’une autonomie interne (budget, hiérarchie et recrutement) et 54 000 hommes (42 000 en métropole et 12 000 aux colonies) : La loi de 1900 portant création des « troupes coloniales ». Grâce à cette dernière, les effectifs des troupes coloniales ont presque doublé (avec plus de 70 000 hommes aux colonies et près de 29 000 en métropole, soit un total de moins de 100 000 soldats), entre 1900 et 1905 ; Outre les effectifs, Hubert Lyautey plaide pour une utilisation civile de l’armée coloniale en nommant des militaires dans l’administration coloniale : Défense et « civilianisation » des colonies (p. 85-87). La Coloniale (91 506 hommes en 1903) est composée essentiellement de sous-officiers et de soldats (« la marsouille »), dont 50 619 soldats européens et 36 382 indigènes, sans oublier les 4 505 officiers. Quant aux tirailleurs, en Afrique noire, ils sont nommés « tirailleurs sénégalais » mais sont composés surtout de Bambaras tandis que les tirailleurs annamites constituent la principale force en Indo-Chine : Marsouilles et tirailleurs, Grandeurs et servitudes coloniales .

Au tournant du XXe siècle, les troupes coloniales ont réussi à se forger en tant qu’outil militaire reconnu par le pouvoir politique. Porté fièrement, le qualificatif de « troupes coloniales » réunit en une arme désormais bien identifiée les marsouins et les bigors avec des officiers sortis des grandes écoles de Saint-Cyr (marsouins) et Polytechnique (bigors). Derrière cette identité forte, les officiers agrègent cahin-caha un monde diversifié de sous-officiers, dont certains se font des porte-parole efficaces, sur fond de récits de voyage pittoresques et en dépit des crises internationales. Enfin, leur recrutement réservé des troupes dites « de couleur » leur donne une visibilité de plus en plus grande.

 L’âge de la maturité (1900-1920)

La deuxième partie correspond à la deuxième moitié de l’âge d’or de la coloniale (1900-1920).

Une arme à part entière

Avec le chapitre 4, Julie d’Andurain expose que la Coloniale est « une arme à part entière ». En 1902, la Coloniale se dote d’un périodique militaire : la Revue des troupes coloniales, donnant la parole aux officiers et aux services répondant ainsi aux différentes affaires qui ont secoué les colonies (l’affaire Voulet-Chanoine de 1899 au Soudan, etc.) : La communication, une réponse aux « affaires » ?. La loi dite « de deux ans » de mars 1905 apporte un changement de paradigme dans la mesure où le gouvernement radical-socialiste souhaite réduire le poids financier de l’Armée sur la Nation accentuant les problèmes qualitatifs de recrutement de la Coloniale et posant la question d’un service colonial pour les indigènes, mais le « péril jaune » vient tout remettre en question avec la victoire des Japonais sur les Russes en mai 1905 : La loi de 1905 ou le changement de paradigme. Avec la crainte par les officiers français de la « japonisation de la Chine », soit la suprématie militaire par la technique ET le nombre, et avec la crise marocaine de 1905 entre la France et l’Allemagne, les politiques songent à mettre sur pied un service militaire obligatoire en Algérie qui échoue devant la peur des colons européens d’une insurrection indigène : L’obsession du nombre .

La trinité coloniale : force jaune, force noire, conscription indigène

« La trinité coloniale : force jaune, force noire, conscription indigène »), releve du projet politique pour la force en Asie et du projet militaire en Afrique noire mais de la conscription en Afrique blanche. Avec L’armée jaune, un projet politique), l’auteure évoque le projet du général Théophile PennequinPennequin, le « sorcier de la pacification » ,Jean-François Klein, Editions Hémisphères, collectin Mers et Empires, 2021 de constituer une « armée jaune » complète de 170 000 hommes, à partir de 1911. En revanche, avec L’armée noire, un projet militaire, le projet d’« armée noire » du général Charles Mangin se veut être un « outil militaire » capable de répondre aux problèmes de la France dont la volonté de couper la propagande islamique de La Mecque via le Soudan, fait aboutir son projet en 1912. Avec l’échec de La conscription des indigènes musulmans en Algérie, la Coloniale se sent méprisée et ignorée par les gouvernants radicaux-socialistes et le ministère de la Guerre dans la mesure où ces derniers les considèrent comme un appoint de l’armée métropolitaine au point de souhaiter les fusionner mais la Première Guerre mondiale va mettre fin à ce projet.

L’engagement en masse

Près de 900 000 hommes sont enrôlé durant la Grande Guerre de 1914-1918, soit plus de 600 000 combattants et plus de 200 000 travailleurs. Dès lors, L’effort de guerre du corps d’armée colonial est considérable mais inégal selon les colonies ; ainsi, l’AOF (près de 164 000 Sénégalais représentant 89 bataillons de combattants sur 94 !) contribue 10 fois plus que l’AEF. Troupes de choc ou troupes d’appoint , dans l’esprit militaire français de l’époque, la Coloniale est considérée comme troupes d’appoint en faisant parti du corps expéditionnaire des Dardanelles en mars 1915 et redéployée au sein de l’armée d’Orient, début 1917, où elle perce le front bulgare. Les troupes coloniales sont présentes en Sibérie, en Afrique pour reprendre les colonies allemandes (Togo, Cameroun et Afrique équatoriale allemande). Le front se trouve également à l’intérieur de l’Empire colonial, comme en AOF, à cause des Recrutements, pressions et rébellions (p. 158-164) consécutif à la Grande Guerre (révolte de Bani-Volta en fin de 1915).

 Des poitrines ou du matériel ? (1920-1940)

La troisième partie incarne la première période de reflux de la Coloniale, soit durant toute l’entre-deux-deux-guerres.

Sortie de guerre ?

Avec le chapitre 7, Julie d’Andurain aborde la délicate question de la « Sortie de guerre ? » après la victoire de 1918. Avec Le sarrautisme, une nouvelle vision coloniale s’impose avec le nouveau ministre des Colonies, le radical-socialiste Albert Sarraut, délaissant les territoires coloniaux au profit des ères maritimes et en visant un ambitieux projet de développement économique des colonies en partenariat avec les indigènes mais, sans subsides et sans soutien de l’État, le discours sarrautiste se heurte au débat principal de la sortie de la guerre avec une frontière franco-allemande sur le Rhin. À l’issue de 1918, avec des pertes (en morts) s’élevant à 1 625 officiers d’active et 648 de réserve pour la seule infanterie coloniale, l’armée coloniale est réservée aux « théâtres d’opérations extérieures » TOE et « forces mobiles » (Rhin, Maroc, Syrie sans oublier l’Algérie et la Tunisie) au point de constituer la moitié de l’armée du Rhin en 1921 (50 000 hommes sur 250 000 soldats) mais le monde colonial métropolitain ne reconnaît pour seule spécialisation à l’armée coloniale d’encadrer les soldats de couleur. Ainsi, en 1922, l’armée coloniale compte 132 250, répartis en Européens (34 %) et 66 % de populations indigènes, dont Les soldats du soleil – les Sénégalais et les Malgaches – composent la moitié des effectifs ; de plus, la loi de 1927 transforme la Coloniale en « forces mobiles » afin de faire face aux manques du recrutement.

De la fusion avec l’armée métropolitaine 

Avec le chapitre 8, la spécialiste de la Coloniale embrasse le problème « De la fusion avec l’armée métropolitaine » avec la démobilisation et, surtout, le reclassement nécessaire des officiers et sous-officiers au cours de l’entre-deux-guerres. Le ministre des Colonies Albert Sarraut laisse son homologue de la Guerre, André Maginot, résoudre le problème de la démobilisation et de la réduction du service militaire de 3 ans à 18 mois (été 1922) créant un déficit de près 300 000 conscrits dont la solution va être L’absorption des troupes coloniales par l’armée métropolitaine , le tout marqué par deux crises coloniales majeures : la guerre du Rif au Maroc (1925) avec la victoire finale du maréchal Pétain avec une armée métropolitaine et la révolte des Druzes en Syrie (1923-1925) avec une victoire du Général Gamelin. Ces deux conflits témoignent des difficultés stratégiques et tactiques de la France aux colonies avec pour problématique : Mise en valeur par les hommes ou le matériel ?. Entre 1920 et 1940, la montée des périls fait que les lignes de front intérieure (l’Allemagne) et extérieure s’allongent et priment sur les révoltes internes aux colonies (mutinerie au Tonkin en 1930 et grève au Sénégal en 1938) ; Ainsi, Le tirailleur, garde-chiourme ou bonne à tout faire ?, la Coloniale se « fonctionnarise » par nécessité car elle doit à la fois démilitariser et « civilianiser » (colonies, protectorats et mandats) et elle est toujours victime de l’éclatement ministériel (Intérieur, Guerre, Colonies et Affaires Étrangères).

Le tonneau des Danaïdes

Avec le chapitre 9, la biographe du général Gouraud présente l’investissement dans les colonies françaises comme « Le tonneau des Danaïdes ». Par conséquent, cela se traduit essentiellement par La mise en valeur d’un outil de guerre comme la TSF (télégraphie sans fil) des télégraphistes coloniaux dès 1901 ; de plus, les colonies deviennent le terrain d’expérimentation de matériels de mobilité (automobile, avion, camionnettes, trains blindés, etc.) dans de grands espaces comme le désert (Sahara) et la mise en place de projets (transsaharien, transafricain) avec pour symbole le Congo-Océan (1925-1929) illustrant les conflits des relations économiques entre métropole et colonies ainsi que la difficulté des civils et des militaires coloniaux à travailler ensemble. A cause de la crise mondiale de 1929, les années 1930 sont difficiles pour la Coloniale car les crédits affectés aux colonies sont dérisoires comparés aux besoins (en 1930, budget total de 545 millions de francs aux colonies et 478 millions destinés aux dépenses militaires et à entretenir seulement les armées dans un Empire divisé entre une France noire et indochinoise) et qui n’a pas su choisir entre Militarisation ou industrialisation ? . Enfin, avec L’armée impériale de Mandel et Bührer : la « compénétration » plutôt que la fusion, la Coloniale renaît au printemps 1938 grâce à la nomination de son nouveau ministre des Colonies (Georges Mandel) et à la promotion du nouveau chef d’état-major des Colonies (le général Jules Bührer) ; Dès l’été 1938, Mandel présente 14 décrets destinés à organiser une économie impériale afin d’intensifier les liens économiques de la métropole avec les colonies, motivée par un souci de défense face au réarmement allemand et italien, mais les colonies sont au service de la « Mère-Patrie » ; Grâce à un gros effort financier (hausse des taxes et emprunts) ainsi qu’un recrutement massif des hommes, des infrastructures sont construites sur l’ensemble des colonies et la « compénétration » fait entrer les unités indigènes coloniales dans les corps de troupes métropolitains, soit endivisionnées les troupes coloniales de la métropole ; Mais, en 1940, les autorités coloniales n’ont aucune doctrine cohérente et de stratégie d’ensemble.

 Entre guerres et paix (1940-1966)

La quatrième partie et dernière partie présente la deuxième et l’ultime période de reflux de la Coloniale, allant de 1940 jusqu’à sa disparition en 1966.

La France libre, incarnation de la Coloniale

En mai 1940, l’effort de mobilisation permet à la Coloniale de réunir près de 180 000 hommes pour l’Afrique et un peu plus de 90 000 pour l’Asie. Près de 43 000 Sénégalais sont engagés dans la campagne de France pour une perte d’environ 17 000 (soit 40 % d’entre eux !) et 25 % combattants indochinois disparus, prouvant les Loyautés et engagements métropolitains ; Dès l’appel du 18 juin de de Gaulle, des groupes de la Coloniale (Chypre, Levant) s’engagent auprès des Britanniques et des territoires entiers (Pacifique, Inde) mais c’est surtout l’Afrique (Tchad du gouverneur Félix Éboué, Cameroun et de l’AEF) qui crée les FFL (Forces Françaises Libres) grâce aux soldats de La Coloniale : France libre ou France des marges ?  qui se distinguent par des coups d’éclat (Koufra) des soldats de Leclerc. Dans les troupes coloniales se trouvent aussi bien des gaullistes que des vichystes sachant que la fin de la zone libre facilite le recrutement gaulliste ainsi que la fusion des « giraudistes » au sein des FFL dès l’été 1943 mais, néanmoins, le régime de Pétain recrute ardemment en faisant une propagande active pour recruter une « Coloniale » blanche avec surtout des sous-officiers et des soldats vichyste : « Colos » vs « métros », l’éternel combat sans oublier les tragédies liées à la guerre (exactions du CEF en Italie en janvier 1944) et à la démobilisation des troupes coloniales (massacre de ThiaroyeSur ce sujet : Thiaroye 1944, Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Martin Mourre, Presses universitaires de Rennes, 2017 – Morts par la France Thiaroye 1944, Pat Perna, Nicolas Otero, Co-édition Les Arènes BD – XXI, 2018 – un article de Martin Mourre dans l’ Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe : Le massacre des tirailleurs de Thiaroye et ses constructions mémorielles contemporaines, au Sénégal, en décembre 1944).

Reconfigurations et abandons

La fille du résistant communiste Jacques d’Andurain expose les « Reconfigurations et abandons » dont la IVe  et la Ve République font preuve face à la Coloniale. Créée en même temps que la IVe République en octobre 1946, l’Union française (ex-Empire colonial français) regroupe les DOM-TOM (ex-colonies) ainsi que les territoires sous mandats et protectorats en abolissant le code de l’indigénat et donnant le statut de citoyen à tous mais, début 1948, dans un article, le général Bührer estime l’UF en danger et propose une « planification coloniale » sous la férule d’un chef aidé par un nouveau lobby colonial ayant pour mission de propagande le vecteur des troupes coloniales : De l’autonomie des troupes coloniales ; La question de Comment sauver la Colo ? est prise à bras le corps par les officiers coloniaux qui veulent s’inspirer des Marines états-uniens mais la Coloniale manque de budget ministériel puis, dans les années 1950, ils oscillent entre les concepts de CED (défense européenne), d’Eurafrique (transsaharien ou transafricain) ou de l’OTAN (défense atlantiste de l’Europe à l’Algérie via la France) ; pour faire face à l’effondrement du recrutement des troupes coloniales, les officiers généraux coloniaux procèdent à un « blanchiment » en Afrique et autres territoires fin 1944 puis à un « jaunissement » à partir de 1950 en Indochine, mais avec Les paras-colo, le saut dans la guerre en Indochine d’abord puis en Algérie ensuite, de nouveaux officiers coloniaux se distinguent (Salan, Massu, Bigeard et Nyo) et obtiennent des résultats durant l’année 1947 en Indochine avec les principes de la « tache d’huile » hérités de Galliéni mais sans moyens militaires par la suite… la Coloniale mène à la fois action militaire et politique en s’inspirant de la guerre révolutionnaire de l’ennemi et en créant des unités d’élite de paras-commandos coloniaux utilisant technicité et mobilité (aviation, embarcation et Jeep) et mises en action à Madagascar (mars 1947-novembre 1948) puis en Algérie.

Vers les indépendances

Avec le chapitre 12, la petite-fille de Marga d’Andurain présente la fin de la Coloniale en tant que corps autonome. D’ailleurs, dès les années 1950, avec les guerres en Indochine et en Algérie qui accélère le phénomène, les centres de formation des sous-officiers et de soldats spécifiques à la Coloniale vont permettre une restructuration par Anticipations et prospectives et devenir des centres d’études et d’apprentissage au concept de « guerre révolutionnaire » en unités de para-commandos au point que les troupes coloniales deviennent les « troupes de marine » (TDM) en décembre 1966 par fusion-absorption ; le chemin Vers les indépendances  est marquée par la brutale décrue des effectifs de la Coloniale stationnés en Afrique et Madagascar qui passent de 58 500 en 1960 à 27 800 en 1964 mais ces TDM sont utilisées pour la formation des armées des pays africains et asiatiques désormais indépendants grâce à des accords de défense dans les années 1960 (Centrafrique, Gabon, etc.) sous forme d’assistance militaire opérationnelle en cas de crise de régime (AMO) et d’assistance militaire technique (AMT) signé auprès de 23 pays en temps de paix qui ne vont cesser de s’accroître jusqu’en 1977 ; enfin, devant la fin de la Coloniale, celle-ci (marsouins, bigors, tirailleurs, para-colos, services de l’intendance et de la santé coloniale) cherche à entretenir les Mémoires et traces coloniales de leurs corps d’armes respectifs. Outre les innombrables associations et leurs publications pour garder le contact et la mémoire, le ministère de tutelle (Guerre, etc.) joue un rôle important auprès des survivants afin de leur manifester reconnaissance (à peu de frais) de l’engagement des hommes, avec des cérémonies militaires, le Souvenir français (entretien des tombes des soldats en terre de colonies) et, enfin, une politique muséale à la hauteur de la Coloniale (musée des Troupes de marine créé en 1978, à Fréjus).

Une première synthèse globale sur « Les troupes coloniales » appelée à faire date ?

Dans sa conclusion générale, en résumant les quatre parties de son ouvrage, l’enseignante-chercheuse reprend les principaux apports de son étude transversale sur l’histoire politique et militaire des troupes coloniales françaises. La sémantique, d’abord : de la loi de 1900 créant le corps des « troupes coloniales » en passant par le nom de « troupes d’outre-mer » de 1958 pour finir avec l’appellation « troupes de marine » en 1966. De plus, la Coloniale a été marquée par les lois de 1900 (création du corps), de 1923, de la réforme militaire de 1928, etc.

Avec sa parution en début d’année 2024 aux éditions Passés/Composés, l’ouvrage de Julie d’Andurain Les troupes coloniales (Une histoire politique et militaire) est appelé à faire date, de sorte qu’il y aura un avant et un après « d’Andurain ». Outre le fait que cet ouvrage est la publication de son mémoire de HDR et constitue donc l’aboutissement de ses recherches et de ses réflexions sur les troupes coloniales françaises du XIXe au XXe siècle, l’historienne ne se contente pas seulement d’effectuer un travail de synthèse mais elle mène une réflexion transversale aux confins de l’histoire politique et militaire de la France. De plus, étant enseignante-chercheuse à l’université de Lorraine (Metz), elle suggère aux futurs chercheurs et chercheuses des voies peu explorées encore, telles que « Nous manquons encore de travaux scientifiques sur cette période [après 1945] qui mériterait d’être abordée de façon plus systématique sous un angle prosopographique, de même qu’il serait nécessaire d’entreprendre ou de poursuivre des études sur le poids respectif des représentations et des besoins à l’égard des colonies entre 1940 et 1945. […car] la dimension politique de l’Empire reste encore mal connue. » (p. 339).

En 400 pages, écrit avec une plume alerte qui n’hésite pas à porter le fer dans la plaie sans épargner quiconque, l’essai de Julie d’Andurain est parfois dense mais nous permet par la richesse de son propos de rentrer dans cet univers militaire réservé aux seuls initiés et de comprendre les enjeux que soulèvent ce corps d’armée si singulier et si prestigieux par ses officiers généraux (Galliéni, Lyautey, Bugeaud, Leclerc, Massu, Bigeard, etc.), ses théâtre d’opérations (les deux guerres mondiales, Indochine, Madagascar, Algérie, OPEX d’aujourd’hui), ses territoires (colonies, protectorats, mandats mais à l’exception de l’Algérie chasse gardée de l’Armée d’Afrique), du parti colonial aux lobbys coloniaux, de ses politiques (le gambettiste Eugène Etienne et le clémenciste Georges Mandel). De surcroît, l’ouvrage est assorti d’un certain nombre de tableaux inédits et forts intéressants qui viennent corroborer de façon convaincante le propos (nous en avons compté une quinzaine de pages qui, malheureusement, ne dispose pas d’une table en fin d’ouvrage !). De plus, nous aurions aimé l’existence d’une chronologie succincte pour rappeler les dates-clés de la Coloniale.

Enfin, une fois refermé le livre, à travers l’histoire de la Coloniale, le lecteur ne peut s’empêcher de se poser un certain nombre de questions quant la politique coloniale de la France et de son ambivalence face à ses colonies, voire vis-à-vis des DOM-TOM. En effet, le lecteur peut avoir l’impression que la politique coloniale de la France fut totalement asymétrique (la métropole donne peu mais prend beaucoup ! Telle pourrait être le slogan illustrant cette politique coloniale française !). Ainsi donc, la perte des colonies semblait être inéluctable ! Et aujourd’hui vis-à-vis des DOM-TOM ? L’histoire recommencera-t-elle de manière tout aussi inéluctable ?

En résumé, les étudiants et les enseignants-chercheurs pourront se plonger avec profit dans ce volume qui nous font apparaître la Coloniale sous un jour beaucoup plus contrasté et nuancé.