Avec Plus jamais seul, Caryl Férey nous livre le troisième ouvrage où apparaît Mc Cash (sans prénom), qu’il fait naître à Brest, d’un père écossais et d’une mère bretonne. Mais ce personnage est également borgne, son œil ayant été perdu lors d’une échauffourée dans un pub de Belfast, avec des soldats britanniques. Pour autant, il fait preuve d’œcuménisme, « faisant [à cette époque] des choses pas très catholiques avec les protestantes, et vice versa» (p. 23). Revenu en France, il fait des études de droit et entre dans la police criminelle de Paris, qu’il finit par quitter. Doté d’un humour très cynique, Mc Cash est un personnage atypique, intransigeant sur le respect de ses valeurs, qui rappelle fortement Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe. Quoi que celui-là vive chez un autre éditeur…
Dans ce nouvel opus, Mc Cash se découvre une fille, Alice, adolescente de treize ans qui vient de perdre sa mère. Comme lui, elle a le sens de la répartie. Au même moment, la presse lui apprend la mort en mer de l’un de ses amis, l’avocat Marc Kerouan, navigateur à ses heures, l’étrave de son bateau ayant été retrouvée. Mc Cash ne croit pas à l’accident : son ami était trop aguerri pour se laisser piéger par la mer. De fil en aiguille, on découvre des aspects peu reluisants de la marine marchande, entre exploitation de la main-d’œuvre et atteintes à l’environnement, paradis fiscaux et corruption. L’enquête de Mc Cash débute à Brest, mais elle s’oriente rapidement vers la Grèce, et ses îles proches de la Turquie. En clair, l’une des portes d’entrée des migrants clandestins en Europe, l’une des sources de «l’invasion» ou de la «crise» migratoire, selon les agitateurs de peurs. Et évidemment, on tombe dans un trafic humain assurée par des passeurs qui ne sont que quelques pions dans la toile d’araignée de mafias, mais aussi par des élus corrompus. L’occasion est trop belle pour sonder une Grèce aux abois, aux mains de ses sauveurs européens, et de l’Allemagne au premier chef.
On retrouve ainsi ce qui fait l’attrait des livres de Caryl Férey, à savoir sa faculté à explorer les faces cachées de notre société, à faire remonter un passé douloureux, ce qui permet de mieux comprendre les affres du monde. Sa façon d’écrire très efficace prend le lecteur, qui ne peut plus s’échapper du livre avant la fin. Le style est en effet alerte, ponctué par des répliques humoristiques des protagonistes ; inutile de préciser que Mc Cash excelle dans ce genre. Pour autant, la violence n’est jamais loin, le sordide le disputant à l’ignominie, et Caryl Férey ne nous l’épargne pas ; toutefois, Plus jamais seul n’atteint pas le degré de Zulu et Utu.
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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes