En 2008, l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis suscite une vague d’espoirs aux Etats-Unis dans la communauté Afro-américaine. En 2010, le duo belge Warnauts et Raives publie chez Casterman le roman graphique Liberty prenant pour toile de fond l’évolution des conditions de vie des Afro-américains aux Etats-Unis depuis 30 ans. Les éditions Le Lombard ont décidé de ressortir ce one-shot dans un nouveau format.

Les auteurs

Eric Warnauts et Guy Raives sont associés depuis 30 ans. Ensemble, ils ont réalisé une quarantaine d’albums suivant une méthode de travail peu commune dans l’univers de la BD : Warnauts se réserve les mots, Raives les couleurs et le reste est réalisé « à quatre mains ». Depuis leur début, ils font voyager leur lecteur autour du monde : du Congo belge à l’Amérique d’Obama, de l’Allemagne nazie à la Venise libertine du XVIIIème siècle … Ils aiment inscrire leurs récits dans des lieux, acteurs à part entière, et des époques dont ils cherchent à restituer l’atmosphère. Se nourrissant de lectures communes, de rencontres et de voyages, ils abordent à chaque fois des sujets liés à la nature humaine, à l’autre, à la différence, à l’amour, créant une œuvre tout à la fois sensible et engagée.

L’histoire

En 1974, à Kinshasa, a lieu le combat de boxe légendaire qui oppose Mohammad Ali à Georges Forman. Pour accompagner cet évènement médiatique mondial, un concert géant est organisé avec notamment James Brown. Le manager de ce dernier, un blond américain, Alan, loge dans un hôtel luxueux de Kinshasa. C’est ici qu’une jeune Zaïroise de 16 ans, Tshilanda, fille du chef de la sécurité de l’hôtel va tomber sous son charme et se retrouver enceinte contre sa volonté.

Dans cet hôtel, Tshilanda se lie aussi d’amitié avec Mike, le batteur de James Brown, un afro-américain, survivant de la guerre du Vietnam et militant au sein des Black Panthers. Un diplomate français, Edouard, se prend aussi d’affection pour elle. Pour lui éviter le scandale, ces deux amis vont l’aider à s’installer à New York où quelques mois plus tard elle accouche d’une fille qu’elle nomme Liberty.

On suit alors la vie de cette mère et de cette fille (mais aussi de Mike qui devient le père adoptif de Liberty) dans un New York où ce trio sera la proie de toutes les tentations et les discriminations. En effet, entre violence, drogue, alcoolisme et racisme, Tshilanda, soutenue affectivement par Mike et financièrement par Edouard, affrontera tous les dangers et l’adversité, se dévouant corps et âme pour assurer le bonheur et la réussite de sa fille.

Mon avis

Tout d’abord, cette bande dessinée est une réussite graphique : ainsi, le tracé et les couleurs utilisées nous font bien revivre le Kinshasa des années 1970 ainsi que New York et son évolution jusqu’aux années 2000.

Le principe narratif utilisé ici est assez classique: les petites histoires personnelles qui se cachent derrière la grande histoire. En effet, Warnauts & Raives inscrivent ce parcours familial de Tshilanda et Liberty dans l’histoire de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, du combat de Mohamad Ali à Kinshasa à l’élection de Barack Obama en passant par la lutte des Black Panthers. Le problème est que réussir à donner du corps et de l’âme à tout cela en 160 pages est une gageure.

Malheureusement, cet album est frustrant car l’Histoire ne reste qu’une toile de fond sans une réelle utilisation dans la vie et la psyché des personnages (hormis Mike dont le personnage est à la fois traumatisé par son enrôlement dans la guerre du Vietnam et construit autour de son engagement au sein des Black Panthers). De même, on arrive assez peu à s’attacher aux personnages de Tshilanda et de Liberty (ce qui est un comble vu que le roman graphique tourne autour de ce duo) dans la mesure où elles manquent d’épaisseur psychologique et de réelles motivations qui les relieraient à l’Histoire. Enfin, le personnage le plus problématique est celui d’Edouard, ce diplomate français dont on sait peu de choses mais qui apparaît comme un ange gardien de Tshilanda et de sa fille. C’est lui qui sauve deux fois la mère et la fille (en aidant Tshilanda à quitter le Zaïre d’abord puis en l’aidant financièrement pour ouvrir son salon de coiffure à New York). Sans ses réelles motivations, on ne comprend pas trop si ce personnage est là pour contrebalancer le manichéisme Blanc/Afro-américain ou pour dénoncer, malgré tout, une forme de néo-colonialisme…

Au final, Warnauts et Raives nous livrent un roman graphique agréable à lire et de qualité mais qui nous laisse sur notre faim tant l’Histoire et les histoires à traiter auraient mérité plus de développement pour vraiment ressentir la difficile évolution de la condition socio-économique et de l’intégration des populations Afro-américaines aux Etats-Unis des années 1970 à 2008.