Voilà un ouvrage d’actualité, en ces temps de débats sur les prix de l’alimentation. Quelles furent les évolutions économiques, sociales, techniques du monde agricole depuis les années 1960.

Comme l’indique le sous- titre Politique agricole, environnement et société depuis les années 1960 Jean-Philippe MartinJean-Philippe Martin, agrégé et docteur en histoire, a étudié l’histoire de la Confédération paysanne et des courants qui sont à son origine. Il a notamment publié : Histoire de la nouvelle gauche paysanne. Des contestations des années 1960 à la Confédération paysanne aux éditions La Découverte en 2005. Enseignant en lycée, il est aussi membre des Clionautes, il est l’auteur de plusieurs recensions. Il a publié, le 24 février dernier, une tribune dans Le Monde, « Fournir une alimentation de qualité accessible à tous devrait être une préoccupation majeure des pouvoirs publics ». s’intéresse à la fois aux pratiques agricoles et aux mouvements, notamment syndicaux du monde rural.

Dans son introduction, l’auteur décrit la variété de l’agriculture française en ce début de XXIe siècle. Il explicite son choix de mettre en lumière ces « paysans » divers, mais réunis au sein du « Collectif pour une autre PAC ». Longtemps marginale, l’agriculture biologique se développe lentement. La question à laquelle Jean-Philippe Martin cherche à répondre est : « Comment et pourquoi, une frange, minoritaire, du monde paysan a remis en cause le modèle productiviste ? » (p. 12)

C’est leur histoire sur environ 60 ans que l’on découvre à la lecture de cet ouvrage.

Premiers frémissements écologistes (années 1960-1970)

Les années 1960-1970 sont celles du grand développement de l’agriculture productiviste : mécanisation, intrants riment avec modernité malgré l’endettement croissant. C’est aussi le temps des premières études sur la dépopulation des campagnes : Henri Mendras, La fin des paysansParis, SEDEIS, 1967 ; A. Colin, 1970 – À noter une intéressante bibliographie .

Cependant, dès les années 1930, des pionniers, en France, s’étaient lancés dans l’agriculture biologique. L’auteur montre le rôle de la certification Démeter (1932) pour le développement de la biodynamie.

Après la guerre et la pénurie, il faut produire et les voix discordantes ont du mal à se faire entendre. En 1961 est crée l’AFABAssociation Française d’Agriculture Biologique, suivie en 1964 de l’association « Nature et Progrès » . Ces structures s’intéressent à la vie des sols et à la qualité des aliments produits. De jeunes agriculteurs, enfants de paysans ou néo-ruraux reprennent le flambeau dans les années post 1968, avec une connotation anticapitaliste. Ils sont très peu nombreux, entre 3 000 et 5 000 pour 1,5 million d’exploitants agricoles. Sur de petites surfaces, ils sont souvent moqués.

L’auteur évoque le mouvement syndical Paysans-Travailleurs, à l’époque peu intéressé par la question environnementale, malgré des luttes sociales et politiques (Larzac, Plogoff). À cette époque, la question écologique est plutôt le faits des « savants » et des urbains. Elle est peu connuePremière apparition dans la campagne des élections présidentielles de 1974, avec la candidature de René Dumont, 1977 puis celle de Brice Lalonde en 1981, création des « amis de la Terre » en 1970.. L’auteur rappelle que le ministère de la protection de la nature et de l’environnement a été créé en 1971 ? Si les différents partis politiques s’intéresse à la question nucléaire, il y a peu de place pour l’agriculture3/110 propositions de François Mitterrand en 1981.

Du côté de l’INRAInstitut national de recherche pour l’agriculture, la défense du modèle productiviste domine et les critiques sont plus macroéconomiques qu’agronomiques.

L’auteur note les éléments majeurs de l’évolution des positions du syndicat Paysans-Travailleurs comme en 1980 la crise du veau aux hormones.

Vers une écologie paysanne (années 1980-1990)

Les « États généraux de développement agricole », au début du mandat de François Mitterrand, mettent en débat le modèle de développement agricole. Si les petits et moyens exploitants ont pu s’exprimer, la position de la FNSEA demeure majoritaire.
La diffusion de nouvelles pratiques est surtout présente dans les régions périphériques et le fait de néo-ruraux, en rupture à la fois avec les méthodes productivistes et avec les pratiques traditionnelles. L’auteur cite à ce propos Pierre Rabhi ou l’association Terre Vivante à Mens, en Isère.

Les évolutions viennent aussi du monde rural : la recherche de la qualité avec l’aide des chambres d’agriculture comme en Savoie. L’auteur développe l’exemple breton du CEDAPA Le Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome est une association d’agriculteurs des Côtes d’Armor créée en 1982. et de la promotion d’un système herbager en élevage bovin qui s’oppose au système Maïs/soja. Son emblématique leader André Pochon dénonçait, dès les années 1990, la pollution des eaux par les nitrates.

Des réseaux techniques se mettent en place : CIVAMCentres d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture et du milieu rural , , l’AFIPAssociation de formation et d’information paysannes.

En 1987, le syndicat Paysans Travailleurs devient la Confédération paysanne sur un refus du modèle dominant, la recherche d’une agriculture adaptées aux conditions locales et une volonté de protéger à la fois la santé des consommateurs et les intérêts des agriculteurs du « Tiers-Monde ». En 1988, une charte de l’agriculture paysanne est définie. L’auteur montre les difficultés à mettre en pratique les idéaux : difficultés techniques, peur du changement, regard des voisins, mais aussi difficultés à l’installation et pour obtenir des prêts.

Jean-Philippe Martin interroge des agriculteurs sur les causes de cette « écologisation » des pratiques : difficultés économiques qui imposent un changement, intoxication à un produit chimique, choix économique du marché bio comme valeur ajoutée. Il montre aussi l’importance de l’accompagnement pour une transition réussie.

Consommateurs, pouvoirs publics et paysans face à la question environnementale (depuis les années 1990)

L’opinion publique tient de plus en plus de place dans le débats à la suite de problèmes de pollution (algues vertes, Chloredécone) et de scandales sanitaires (ESB).

Petit à petit, on constate un verdissement de la politique agricole (2e PAC en 1992). Depuis 2003, les aides sont conditionnées au respect « des bonnes pratiques », mais les résultats se font attendre. Les choix sont favorables aux grandes exploitations. L’auteur aborde la mise en place de la directive nitrate, du soutien à l’agriculture bio et les atermoiements sur l’interdiction du glyphosate ou des néonicotinoïdes.

Il analyse le rôle de la FNSEA dans la définition de la politique agricole en France et le refus des contraintes environnementales. Il décrit les positions de la Confédération Paysanne et celles de la Coordination Rurale.

Dans les années 1990, on voit des paysans écologistes sur la scène politique comme FrançoisDufour, Benoît Biteau et le très médiatique José Bové.

Développement de la bio et expérimentations

Ce quatrième chapitre est consacré à l’agriculture biologique : 10 000 exploitant en 2000, 47 000 en 2018.

La répartition géographique et en matière de production est très inégale, les fruits et légumes plus que les céréales. De nombreux producteurs se tournent vers la transformation et/ou les circuits courts. Deux exemples sont présentés : le pays basque et les Hautes-Alpes.

Débats de défis

Ce dernier chapitre présente des éléments, des initiatives actuelles comme l’Atelier paysanC‘est une coopérative qui accompagne les agriculteurs et agricultrices dans la conception et la fabrication de machines et de bâtiments adaptés à une agroécologie paysanne. , l’association pour la promotion d’une « Sécurité sociale de l’alimentation ».

L’auteur montre les débats qui traversent le monde agricole : Comment nourrir la planète ? Produire pour exporter, l’agroécologie, les évolution des marché Bio ou HVEHaute valeur environnementale. Sur ce sujet ce qu’en disent le ministère, France Nature Environnement (FNE), La Confédération paysanne, les consommateurs (Que choisir).

Élargissant le propos, ce chapitre évoque les controverses entre « écolos des champs et écolos des villes », notamment à propos de la place des troupeaux dans les Parcs nationaux, la création d’un « sanctuaire » de biodiversité dans la Sud du Vercors, initiative d’urbains aux dépens d’un éleveur bio qui perd ses parcours d’élevage et des habitants qui se sentent exclus de leur territoire. L’auteur pose la question :

« Quel écosystème entend-on restaurer ? Faut-il sur le Larzac défendre les prairies liées à l’élevage ovin ou reboiser pour retrouver les forêts d’avant le XVIe siècle ? Surtout peut-on restaurer la nature sans consulter et donner la parole aux populations locales et en refusant les pratiques (cueillette, chasse…) qui étaient les leurs auparavant sur les espaces concernés ? » (p. 159)

Jean-Philippe Martin ne pouvait ignorer les débats à propos du loup et de l’ours, rappelant les travaux de Jean-Marc MoriceauAuteur de nombreux ouvrages : La bête du Gévaudan : 1764-1767, Larousse, 2008 – L’homme contre le loup : une guerre de deux mille ans, Paris, Fayard, 2011 – Le loup en Normandie, OREP Editions, 2019 – La Bête du Gévaudan. Mythes et réalités, Tallandier, 2021 et l’action de l’association FerusAssociation nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs ni la promotion, parfois radicale, d’une alimentation non-carnée.

Du côté des défis qui s’annoncent : installer des jeunes, ce qui suppose une préparation pour la transmission des exploitations. Un constat : la féminisation de la profession : 1/4 des chefs d’exploitation sont des femmes, en 2019 ; ce qui amène l’auteur à rappeler le long combat pour faire reconnaître le travail des femmes en agricultureVoir la BD Il est où le patron ? , Maud Bénézit, éditions Marabout, paru en 2021.

 

En conclusion, l’auteur s’interroge sur les défis climatiques après la sécheresse de 2022.

 

Voilà un ouvrage qui décrit bien les évolutions du monde agricole et devrait être utile aux enseignants, urbains, éloignés de ces réalités pour un enseignement dépoussiéré de l’agriculture française.