Au cours des XVI et XVIIe siècles, des cartes et descriptions des nouveaux mondes ont été publiées et pourtant, ces mondes n’existent pas. Ce sont ces mirages et autres étrangetés, apparus dès la découverte de l’Amérique, qui sont ici dévoilés.

Christophe Colomb, lui-même dans sa « Lettre aux Rois Catholiques sur le troisième voyage aux Indes » (1498) exprime un mélange de géographie médiévale et de visions rêvées en référence au paradis. Si les grands voyages ont permis de cartographier la terre, les inconnus, notamment l’intérieur des continents ouvraient la porte à l’imaginaire.

Ce sont ces cartes qui sont ici analysées. Si celle de l’Amérique représente de façon assez correcte la mer des Caraïbes ou la vallée du Saint-Laurent, les proportions sont largement erronées.

La colonisation va permettre d’étendre le savoir géographique et  la connaissance des noms de lieux dans les langues locales comme le padrón real de Séville, une carte officielle jalousement gardée par la Couronne d’Espagne. Mais des espaces imaginaires restent présents sur les cartes : îles introuvables, cités et pays de légende. L’objet de cet ouvrage est d’examiner douze de ces lieux présents sur de nombreuses cartes de l’Amérique du Nord du XVIe au XVIIIe siècle. Il contribue à l’histoire de la cartographie.

Parce que les cartes expriment les connaissances sur l’espace, l’esprit et les nécessités de leur temps, de leurs créateurs et de leurs utilisateurs, elles ne sont pas neutres et leur étude est intéressante. Les auteurs entraînent le lecteur dans l’atelier d’un graveur vénitien, sur un navire où un marin fatigué croit voir une terre, derrière un coureur des bois trace sur du papier les environs d’un village amérindien.

L’auteur fait preuve d’une réelle érudition dans sa recherche de ces lieux introuvables.

L’île aux démons

Elle est présente en 1507 sur la carte de Johann Ruysch, proche de Terre-Neuve. Elle est encore présente en 1556 sur la carte La Nuova Francia du Vénitien Giovanni Battista Ramusio. Il est vrai que la navigation dans ses eaux avait de quoi effrayer les marins. Elle aurait été celle où Marguerite de la Rocque aurait été abandonnée en compagnie de son amant qui la rendrait donc maudite. L’auteur retrace les occurrence de cette île sur les cartes et dans les textes du XVIe siècle. On la trouve même sur la mappemonde de Mercator. Elle s’efface progressivement au XVIIe siècle et est connue aujourd’hui comme l’île de Roberval.

Norumbega

Ce « village viking » aurait été découvert dans le Massachusetts, par Eben Norton Horsford en 1890. Ce toponyme est présent sur des cartes anciennes.

Cet auteur cherche à écrire une histoire de la Nouvelle-Angleterre en s’appuyant sur le récit, très peu crédible, de David Ingram, un marin anglais qui aurait marché de Mexico à la Nouvelle-Écosse en 1568-1569. Le toponyme est situé en Nouvelle-France par Lescarbot, mais comme étant une rivière. Cité pour la première fois par Girolamo Verrazano, le mot est sans doute amérindien. Pourtant, différents auteurs le pense d’origine germanique. On le trouve en 1548, dans une carte du Vénitien Giacomo Gastaldi, pour désigner l’actuelle Nouvelle-Angleterre : Tierra de Nurumberg. L’auteur analyse la conception néoplatonicienne des Vénitiens au XVIe siècle et l’influence de l’Allemand Sebastian Münster.

La mer de Verrazano

Nous sommes en 1523. Giovanni Verrazano quitte Dieppe à la demande de François 1er pour explorer un passage vers Cathay à travers l’Amérique. L’auteur rappelle les étapes de la reconnaissance de la côte est de l’Amérique du Nord. Le navigateur interprète la lagune en arrière des Outer Banks (côte de Caroline du Nord) comme une mer. Cette méprise influence longtemps la cartographie. Etait-ce le passage vers le Pacifique ?

 

On suit les cheminements de cette représentation au cours du XVIe siècle et ses conséquences diplomatiques.

Cibola et Quivira

En Floride, les Espagnols essuient un échec en 1528 où quelques hommes en réchappent. Cabeza de Vaca rapporte son voyage dans Naufragios y comentarios, en évoquant des richesses (or, pierres précieuses…). C’est alors que le nom de Cibola qui est cité comme une des 7 villes pleines d’or. Le chiffre sept est plein de sens pour les Espagnols comme pour les Amérindiens. L’auteur relate les expéditions vers cet eldorado comme celle du père franciscain Marcos de Niza ou celle du navigateur Hernando de Alarcón. Une expédition envoyée par le gouverneur de la province de Nouvelle-Galice, dix ans plus tard, ne voit que des villages de simples pueblos. Elle ne trouvera que des sols favorables à l’agriculture. Le mythe d’une culture urbaine est mis en relation avec Tenochtitlan.

Frisland et Drogeo

Deux Vénitiens, Nicolò et Antonio Zeno ont parcouru l’Atlantique Nord au XIVe siècle. Dans le récit publié en 1558 par leur descendant, Nicolò le jeune, il est écrit que Nicolò a essuyé une tempête et s’est échoué sur les côtes d’une île appelée Frisland située au sud de l’Islande. En fait, il s’agit du Groenland dont il décrit les kayaks. Des pêcheurs affirment avoir visité une terre plus à l’Ouest qui pourrait être Terre-Neuve, et un pays Drogeo, peuplé de cannibales.

Une carte reprise ensuite complétait le texte de Nicolò le jeune. C’est notamment, le cas de Vincenzo Maria Coronelli. Sur la carte qu’il publie en 1690, figure le Groenland et l’île de Frisland. Drogeo est le plus souvent représenté comme une île, parfois un promontoire de l’Amérique du Nord.

Dès le XVIIe siècle, l’existence de ces lieux, Frisland et Drogeo, est contestée. On reproche à Nicolò le jeune d’avoir voulu embellir l’histoire de sa famille et attribuer aux Vénitiens la découverte de l’Amérique. Pourtant des informations à propos de Groenland, la description du monastère groenlandais aux eaux thermales et celle du kayak attestent d’une œuvre originale. Des ancêtres ont bien visité le Groenland, peut être plus à l’Ouest ?

Le lac de Conibas

Sur la mappemonde de Giacomo datée de 1561, Cosmographia Universalis et Exactissima iuxta postremam neotericorum traditionem, un toponyme a retenu l’attention d’Alban Berson, le « Lago Conibaz ». Il est placé au centre de l’Amérique septentrionale, région encore inexplorée par les Européens. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, cette information est reprise par divers auteurs. Sur l’île, il y aurait une cité lacustre, situe au nord-ouest d’HochelagaVillage iroquois, non loin du mont Royal, actuellement Montréal et visité en 1535 par Jacques Cartier, d’après Cornelius van Wytfliet en 1597. Cette anomalie cartographique s’accompagne des descriptions merveilleuses. Cet endroit fait rêver encore au XVIIIe siècle : Lac de Conibas, au bord duquel est une grande Ville, longue de sept lieues & large de deux, remplie de beaux édifices, séparés les uns des autres par des bois, des jardins & même des fosses, selon Laët, qui cite Tribaldus. M. Engel, croit que cette Ville aura pu porter le nom de Quivira, y ayant vu, dit-il, selon GomaraCe personnage est Francisco López de Gómara auteur de Historia General de las Indias publiée à partir de 1552., des Vaisseaux argentées & vergues dorées, desquels on n’a jamais apperçu dans les Mers de cette partie du Monde, & qui ne peuvent se trouver que chez une nation civilisée telle que les Tahuglauks. »Extrait de l’ Histoire des voyages, l’abbé Prévost, cité p. 81

L’auteur montre comment des informations à propos de divers lieux, Mexique mais aussi Catay ont nourri l’imagination des auteurs et cartographes désireux de remplir le vide des cartes.

Rupes nigra et altissima

Gérard Mercator publie en 1569 une nouvelle carte où il fait figurer, pour la première fois, le Grand Nord. Il représente une mer que centre de laquelle se dresse, au pôle Nord, un immense rocher noir d’environ 107 km que Mercatior nomme : Rupes nigra et altissima. Les courants marins se dirigent vers le pôle et s’engouffrent à la base du rocher. Les eaux sont « absorbées dans les entrailles de la Terre »Cité p. 85.

 

On peut penser que les récits de tempêtes et de bateaux qui ont péri sont à l’origine de cette représentation du pôle. L’auteur compare la conception de Mercator et celle de Ruysch. D’autre part, il souligne les similitudes entre Rupes nigra et altissima et le centre du monde dans divers mythes et traditions religieuses.

Le passage du Nord-Ouest avant les voyages de Frobisher

Au milieu du XVIe siècle, l’Angleterre rêve de trouver une route maritime nord vers la Chine. La bulle pontificale de 1493 qui fixe le partage des terres à découvrir entre Espagne et Portugal, situe ces espaces au sud des Açores ; la recherche d’un passage par le Nord, vers l’Est par la Scandinavie ou vers l’Ouest au Nord de Terre-Neuve demeure donc possible pour souverains les Français, les Anglais ou les Hollandais. En 1576, Martin Frobisher est envoyé à la recherche de ce passage du Nord-Ouest. Plus que cet épisode de l’histoire du passage, ce sont les tentatives précédentes qui intéressent l’auteur. Si les Anglais sont de moins bons cartographes que les Vénitiens ou les Génois, il existe quelques documents du XVIe siècle qui attestent d’un intérêt pour cette route nord : ceux de Robert Thorne et John Rut. Hore navigue vers 1536. John Dee et Michael Lok vont seconder Martin Frobisher dans son aventure. La mappemonde de Sébastien Cabot qui était à Londres a pu aussi servir à la préparation du voyage, celle de MercatorIl s’agit de la mappemonde de Mercator de 1569 intitulée Nova et aucta orbis terrae descriptio ad usum navigantium emendata et accomodata, reproduite p. 112-113 ( FIG. 50 ). a sans doute été plus importante encore.

Ce chapitre est l’occasion de présenter et reproduire plusieurs mappemondes du XVIe siècle.

Le détroit d’Anian

La recherche d’un passage suppose acquise l’idée que l’Amérique n’est pas reliée à l’Asie, idée émise par Martin Waldseemüller dès 1507. C’est à la représentation de ce bras de mer qu’est consacrée ce chapitre. C’est Marco Polo, dans le texte du Livre des merveilles, qui évoque le pays d’Anian. A partir de la lecture qu’en fait le cartographe vénitien Giacomo Gastaldi le détroit d’Anian est repris par la cartographie européenne.

Pour l’auteur, ce n’est pas l’ancien nom du détroit de Béring, clairement reconnu au XVIIe siècle. Ce détroit est représenté pour la première fois par un géographe russe d’origine allemande Gerhard Friedrich Müller en 1754 et sans doute atteint dès 1648 par Simon Ivanovitch Dejnev, l’équivalent russe des coureurs des bois de la Nouvelle-France.

Le Nouveau-Danemark

Si la plupart des explorations de l’Arctique canadien ont été conduites par des Britanniques, en 1619, le roi du Danemark ordonne une expédition vers la baie d’Hudson, commandée par le capitaine Jens Munk. C’est une aventure difficile, un hivernage dans une région qu’il nomme, dans sa relation de l’expédition, Nouveau-Danemark. Ce n’est qu’en 1647 que le toponyme apparaît sur la Carte de Groenland dressée par Isaac de La Peyrère.

Les cartographies françaises et anglaises mettent en évidence la concurrence des deux pays pour le contrôle de cet espace.

Dans sa conclusion, l’auteur revient sur cette histoire de la cartographie entre véracité, rêve, politique et vérité géographique. On le suivra volontiers quand il écrit : « Mais aucun ordre n’est définitif. Une carte ne ditjamais le dernier mot du territoire »Cité p. 137.

 

Outre l’érudition d’Alban Berson et ses analyses, ce livre offre des reproductions de qualité de ces cartes anciennes, très peu connues. Ce livre ne peut que satisfaire la curiosité des cartographes.