Comment l’Église et l’État ont petit à petit imposé un ensemble de normes morales, une arme de culpabilisation et de contrôle social ? Cet ouvrage est issu d’une thèse dirigée par Daniel Pichot, dans laquelle Laurent GuittonLaurent Guitton a chroniqué dans la Cliothèque divers ouvrages dont Compillation des cronicques et ystoires des Bretons, Pierre Le Baud, édition établie et commentée par Karine Abélard, Presses Universitaires de Rennes, 2018 – Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, Julien Théry, CNRS éditions (« Lire le Moyen Âge »-IRHT), Paris, édition revue et augmentée, 2018 – Le Vrai Visage du Moyen Âge, Nicolas Weill-Parot et Véronique Sales (dir.), Au-delà des idées reçues, Paris, Vendémiaire – Hérétiques – Résistances et répression dans l’Occident médiéval, Robert I. Moore, Paris, Belin, 2017 – Corps et Âmes – Une histoire de la personne au Moyen Âge, Jérôme Baschet, Paris, Flammarion, 2016plonge le lecteur dans l’histoire culturelle du Moyen Age en Bretagne.

Dans son introduction, l’auteur replace sa recherche sans l’historiographie du péché et montre la place de ce thème dans les écrits médiévaux. Il explicite son choix de traiter de la Bretagne.

Dénoncer le péché pour réformer la société – XIIe siècle

La première partie analyse le discours moral au XIIe siècle, notamment à partir des écrits de trois évêques bretons autour de deux péchés : l’avarice et la luxure. Ces textes inspirent la sculpture romane.

Laurent Guitton a choisi de partir d’un texte de Robert D’Arbrissel daté de 1109 qui donne le ton de tout l’ouvrage : des références nombreuses et de solides analyses des textes où s’affrontent le Bien et le Mal.
L’auteur présente les auteurs : Marbode de Rennes et Baudri de Bourgueil. Deux prêtres tourmentés par le péché dont les écrits mettent au premier plan la luxure et l’homosexualité, puis la menace qu’ils font peser sur l’Église.

Le Livre des manières d’Étienne de Fougères décrit, en langue vulgaire, les péchés de la société féodale. Il y condamne les excès du pouvoir laïc, péchés du prince et péchés de sa cour, mais aussi des chevaliers. Selon Étienne de Fougères, le clergé est lui-même un grand pécheur par son arrogance et son avarice quand le bas-clergé est soumis à la tentation de la gourmandise, l’ivresse et le luxure. Les paysans et les bourgeois ne sont pourtant pas des modèles de vertu. On notera la sévérité des auteurs médiévaux envers les femmes, incarnations du vice.

Le troisième chapitre est consacré aux sculptures, une morale en image. Destinées au peuple, ces représentations insiste sur la luxure, peut-être plus facile à représenter que d’autres péchés. La femme y personnifie le vice, ce que Laurent Guitton montre à l’aide de très nombreux exemples, finement analysés. Les vices masculins sont incarnés par la figure du mauvais riche, la violence et l’orgueil.

L’auteur analyse les effets de la réforme grégorienne sur la perception de la morale.

Deux siècles de moralisation par l’Église – XIVe s. – XVe siècle

La seconde partie porte sur la production littéraire des XIVe et XVe siècles avec le thème récurrent de l’échange et de la circulation de l’argent tandis que la sculpture vise plutôt les vices charnels.

Pour définir la mission moralisatrice de ce Moyen Age finissant, l’historien dispose d’un corpus très varié d’écrits en trois langues : latin, français et breton (statuts synodaux, manuels de confession…). Ces textes décrivent les vices et les moyens de les combattre, dont la mise en théâtre du discours moralisateur et le rôle du clergé.

Deux péchés sont mis en avant. Si on retrouve, comme au XIIe siècle, la luxure, apparaît la lutte contre le sacrilège (profanation, refus du temps de l’Église). En matière de contrôle de la société, les textes prônent un ordre patriarcal, la norme conjugale et l’obéissance de la jeunesse. On perçoit la crainte des dangers d’une sociabilité communautaire.

Avec la Coutume de Bretagne, le droit s’inspire de la morale religieuse.

La sculpture est riche de l’élan de construction de lieux de culte de la seconde moitié du XVe siècle. Laurent Guitton présente le corpus qu’il analyse, entre commandes seigneuriales ou ecclésiastiques et autonomie des artistes. C’est l’occasion de faire le point sur les études conduites, depuis le XIXe siècle, sur le thème de la représentation des péchés.

Les thèmes les plus représentés sont l’envie, la gourmandise, la paresse, la colère. La luxure n’est pas oubliée. De nombreuses photographies illustrent le propos.

La distinction morale dans la littérature de cour en Bretagne sous les Montforts – fin XIVe s. – début XVIe siècle

Cette troisième partie aborde la société de cour, jusqu’ici peu évoquée. Dans la littérature, la dénonciation du péché est un moyen de dénoncer les vices des gouvernants : corruption des juges, adulation des courtisans, avidité des prélats, colère des puissants, mais aussi les crimes de lèse-majesté et trahison.

Un chapitre est consacré à l’identité collective fondée sur l’altérité, l’autre est le pécheur. Voilà une disposition d’esprit des auteurs médiévaux qui conduit à la création de stéréotypes, un biais cognitif très contemporain. Les péchés seraient, en quelque sorte une corruption par les nations ennemies, les Romains corrompant les anciens Bretons, les Scandinaves, les Anglo-saxons, ; l’orgueil français. Les auteurs médiévaux font de l’Armorique ancienne un paradis sur terre et proposent une lecture morale de l’histoire.

La dénonciation des vices est aussi une forme de dénonciation des puissants, même si à chaque métier ses vices. La Légende noire d’Olivier de Clisson est un bon exemple.

Le dernier chapitre, le miroir en négatif du prince parfait décrit le souverain corrompu, d’après les moralistes bretons, notamment par les voisins anglais et français. Les textes proposent une galerie de portraits historiques de Caligula à Louis XI. Les chroniqueurs n’ont pourtant pas épargné les princes bretons même si certains sont montrés en princes exemplaires.

Un ouvrage savant, des sources nombreuses, des analyses pointues et une écriture claire font de ce livre une anthologie de la morale médiévale, une référence pour qui s’intéresse au passé de la Bretagne.