Les services de renseignement chinois : une menace pour les espions français ?

Le rôle des services de renseignement dans la production et la diffusion des connaissances est désormais étudié en classe de terminale « Histoire-Géographie-Sciences Politiques ». Dans le cadre d’un large thème dédié à la « connaissance » sous toutes ses formes, le programme de l’Education nationale invite les professeurs à traiter des enjeux politiques et géopolitiques des services soviétiques et américains durant la Guerre froide. Un ouvrage très accessible aux lycéens, récemment paru chez Stock, permet désormais de poursuivre la réflexion sur ces enjeux à propos des services de renseignement français.

Un duo de journalistes est à l’origine de cet ouvrage. Antoine Izambard s’était fait remarqué lors de la parution de « France-Chine, les liaisons dangereuses » en 2019. Dans une optique de prolongement de la thématique, le rôle des services de renseignement chinois est largement mis à l’honneur dans « Trahisons à la DGSE ». Dans sa tâche, il est accompagné par son collègue Franck Renaud, auteur d’un livre sur les ambassades de France en 2010. Un ouvrage qui a parfois dérangé certains diplomates français, dont un certain Henri, mentionnés à de maintes reprises dans une affaire récente.

La série « Le Bureau des Légendes », diffusée sur Canal Plus à partir de 2015, est une fiction qui a renouvelé l’image des services de renseignement auprès du grand public. La figure du traître est incarnée par « Malotru », surnom de Guillaume Debailly, un agent triple au service de la Russie, de la France et des Etats-Unis. Dès l’introduction, les deux auteurs établissent un parallèle entre la série et la réalité.

Le traître est bel et bien un personnage à part dans le monde des espions. Tantôt appelée « taupe », « traître », « transfuge » ou « défecteur » – ces deux derniers termes désignent traditionnellement un agent fuyant son pays pour se réfugier dans un autre -, cette figure honnie a connu de nombreuses incarnations dans l’histoire. […] A l’instar des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, la France a connu son lot de traîtres tels Georges Pâques, haut fonctionnaire en poste à l’OTAN qui transmettait des informations au KGB, ou Francis Temperville, ingénieur qui a vendu les secrets nucléaires tricolores à Moscou.

Extrait de « Trahisons à la DGSE » d’Antoine Izambard et Franck Renaud paru chez Stock en 2022, pages 13-14.

En 2020, deux anciens agents de la DGSE ont été jugés pour trahison au profit de la Chine. Cette affaire inhabituelle est retracée dans une enquête fouillée des deux auteurs. Pierre-Marie et sa femme Laurence sont régulièrement invités à rencontrer des officiers du Guoanbu dans des hôtels de luxe aux Seychelles, au Sri Lanka, à l’île Maurice et en Thaïlande. A l’issue d’une longue enquête, la DGSE établit que l’ancien agent français donne des informations confidentielles à ses interlocuteurs, contre une forte somme d’argent. Signe que le sujet est sensible, « la DGSE n’a en effet pas lésiné sur les moyens : écoutes téléphoniques, interceptions de mails, filatures des deux anciens agents et de leurs officiers traitants chinois » (page 101).

De son côté, Henri est arrêté en 2017. Il est soupçonné d’avoir perçu 160 000 euros de la part des services de renseignement chinois. Ancien officier traitant puis en charge d’une structure de contre-espionnage dans les années 1980 et 1990, Henri s’installe sur l’île d’Hainan en 2003 avec sa nouvelle femme, Hong J. Il entretient alors des contacts avec le Guoanbu. C’est lui qui parviendra à convaincre son ancien agent du contre-espionnage, Pierre-Marie, de collaborer avec le service chinois à partir de 2006. L’affaire ne prendra fin qu’en 2017.

Le procès a été porté par une action au civil. Les anciens traîtres ont été condamnés à verser un euro symbolique à l’Etat, bien loin des 600 000 € demandées par la DGSE au titre des frais engagés pour mener l’enquête. Le parquet avait requis une peine d’emprisonnement de 15 ans pour Pierre-Marie, et 10 ans pour Henri. Finalement, Pierre-Marie est condamné à 12 ans de prison pour avoir « livré ou rendu accessibles à une puissance étrangère, […] en l’espèce aux services de renseignement chinois, directement ou par l’intermédiaire d’Henri M., des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l’exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » (page 103). Henri sera condamné à une peine de 8 ans d’emprisonnement tandis que Laurence, la femme de Pierre-Marie, écopera de 4 ans, dont deux avec sursis. Elle sortira au bout de quelques mois, au début de l’année 2021.

En conclusion, un essai dynamique qui alerte sur les convoitises des services de renseignement étrangers en France depuis la fin des années 1950, sur les relations entre les services et les représentants politiques, et sur la récente réorganisation des services français, prenant la forme d’un recrutement massif de nouveaux analystes, principalement dans le cyberespace pour le compte de la DGSE.

Pour aller plus loin :

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Antoine BARONNET @ Clionautes