Ce dossier revient sur les idées reçues qui font émerger l’apparition de l’individu à la Renaissance (Elias, 1939). Les travaux de Durkheim (1893) sont aussi remis en question. La position qu’il tenait dans De la division du travail social : « Plus les sociétés sont primitives, plus il y a de ressemblances entre les individus dont elles sont formées. » témoigne d’une autre époque. Jean-Pierre Vernant (1989) comme Paul Veyne (1991) ont montré dans leurs travaux que l’expression des singularités est repérable dès l’Antiquité. Aristote et Platon se sont d’ailleurs affrontés sur le sujet. Le terme individuation apparaît au Moyen Age (Iogna-Prat et Bedos-Rezak. L’individu au Moyen-Age. Individuation et individualisation avant la modernité, 2005.) sous la plume de Dun Scot dans le cadre de la querelle des universaux portant sur la nature des notions générales. On doit à G. Simondon (1924-1989) l’idée que « l’individuation n’est jamais un produit « fini ». Les êtres s’adaptent et changent en fonction du milieu. L’individuation est un processus permanent et l’individu est un être en perpétuel devenir. » (p. 35) Les biologistes (Prochiantz ou Kupiec) confirment l’idée que l’individu n’est pas programmé mais qu’il se construit progressivement. Carl Jung (1875-1961) considère que l’individuation est un phénomène tardif propre à l’âge adulte alors que pour les psychanalystes de l’enfance, elle est propre à l’enfance. Le philosophe Vincent Descombes rend compte de ses divergences avec les sociologues et les psychanalystes en rappelant qu’individuation (existence en tant qu’individu) et qu’individualisation (distinction d’un individu par rapport aux autres) ne sont pas synonymes. « Pour pouvoir s’individualiser, il faut préalablement exister en tant qu’individu. » (p. 50)
La rédaction de SH a joué le jeu de l’individualisation jusqu’au bout en plongeant le lecteur dans les coulisses de fabrication du journal (dans la lignée du N° consacré à son 20ème anniversaire) et en donnant la parole dans l’éditorial à Martine Fournier. Cette dernière annonce son départ du magazine et transmet le relais à Héloïse Lhérété, jusque là responsable de la rubrique courrier des lecteurs. Les individus passent mais le journal reste. Ouf !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes