Dans la mouvance des études consacrées à l’amour ou aux sexualités, cet ouvrage collectif dirigé par Bernard Andrieu, philosophe à l’université de Lorraine et Gilles Boëtsch, anthropobiologiste au CNRS s’intéresse, de manière plus large, à la question du corps au travers d’une vision comparative dans le monde.

Rassemblant 40 textes construits sur 4 pages, illustrées de belles photographies couleur, une cartographie générale permettant de situer les exemples sélectionnés (en tous cas, 35 sur les 40, oublis ou exemples moins bien spatialisables ?) et une préface originale signée Lilian Thuram, l’opus peut se lire tout à fait bien dans l’ordre de sa présentation (« corps et cosmos », « transformations », « alimentation », « sexualité », « esthétisation », « marchandisation », « le corps à l’épreuve », « le corps demain »).

Mais il sera sans doute tout aussi intéressant, en recoupant des exemples glanés dans les différentes parties, de voir comment un même phénomène prend « corps » dans différents endroits du monde.

Rien que se décentrer un peu vers la Nouvelle Calédonie permet de démarrer l’analyse en montrant que la beauté n’est pas forcément la qualité première chez la femme et que ce critère est très occidental.

De façon plus détaillée, la question de la coloration du corps constitue un exemple très éclairant.
De manière réversible, la pratique du maquillage peut à la fois symboliser l’esthétisation (cas de la Chine où celui-ci est l’outil permettant de respecter des normes de beauté et de féminité) ou alors symboliser le marqueur social ou le rite de passage comme chez les Touaregs où la décoration des visages par le sang et la sève représente l’identité et l’attache mais également la complétude de l’éducation des plus jeunes.
Sous un angle moins réversible, le recours au tatouage peut servir de symbole de pouvoir et de visualisation de la hiérarchie à l’intérieur d’une société (cas des Maori où la souffrance endurée pour recevoir le tatouage ajoute au mysticisme) ou de l’identification à un clan (cas des Salvadoriens pour qui la réinsertion publique doit pouvoir passer par un effacement des dits tatouages).
Au delà des tatouages, la dépigmentation volontaire considérant le « noir » comme une salissure n’est pas sans risque au niveau médical (réduction de la barrière immunitaire) que culturel (risque d’amalgame).

L’exemple du poids et de ses variations apparaît lui aussi tout à fait emblématique. La corpulence, valorisée en Polynésie, répond à la fois à des incertitudes climatiques sur les récoltes mais pourtant à aussi à cette idée que les Dieux étaient généreux avec leurs terres. En plus d’une donné génétique, la persistance de cet état s’explique par les évolutions sociétales laissant place aux activités tertiaires, à la voiture, aux commerces de proximité proposant nombre de produits tout faits…
Le cas des Indiens Pima (frontière Etats-Unis/Mexique) montre très bien comment le changement d’environnement (ici, au travers d’un découpage administratif) influe sur les morphologies et les pratiques des individus : à patrimoine génétique commun, les ressortissants du côté mexicain ont su conserver une nourriture relativement traditionnelle ne générant pas le surpoids tandis que les Arizoniens ont développé une obésité favorisée par la viande, les œufs et les sodas.
On apprendra aussi que la recherche d’augmentation de poids peut correspondre à un idéal de sagesse et d’obéissance (Sumos japonais) alors que la quête obsessionnelle de la diminution peut révéler de la maladie (anorexie ayant finalement précédé le diktat de la mode).

Si les géographes trouveront matière féconde pour travailler les liens entre facteurs génétiques, environnementaux et socio-culturels et apprendront sur les espaces insulaires océaniens ici très bien représentés (autres exemples sur le corps malmené par les colonisateurs, notamment lors d’essais nucléaires), les historiens pourront, quant à eux, s’appuyer sur l’étude des évolutions technologiques liés à la médecine (robotique, prothèses…).

Si tous les niveaux d’enseignement ne pourront pas s’inspirer de l’ensemble des pages (passages sur le sexe un peu délicats et passages sur la marchandisation aux implications éthiques parfois un peu difficiles), de nombreuses contributions serviront à éclairer la diversité des modes de vie de par le monde.

Sur la forme, on notera quelques passages un peu complexes par moment (nous ne sommes pas toujours familiers de philosophie, d’anthropologie ou d’ethnologie) mais l’ensemble demeure très clair et très parlant. Le récit sur l’identité malmenée du corps malade est même particulièrement poignant.

Un très bel ouvrage que l’on pourra accompagner, si besoin, de lectures prises dans la revue interdisciplinaire CORPS éditée aux éditions du CNRS que les auteurs ont indiqué en bibliographie.