Revue généraliste fondée en 1936 par André Cholley et dirigée ensuite par Jacqueline Beaujeu-Garnier, L’Information géographique a pour ambition de rendre accessible aux praticiens (étudiants, enseignants et autres professionnels) les résultats récents de la recherche géographique.
« Une question de concours est nécessairement délimitée et orientée. […] Nature, Sahel, Marges, Tourisme ne sont pas des ’’sujets’’ simples. Les mots qui les expriment méritent même discussion quand derrière les énoncés se profilent des positions épistémologiques entraînant des constructions factuelles qui ne relèvent pas de l’évidence transparente. Les savoirs géographiques comprennent des enjeux sociaux qui appellent une maîtrise disciplinaire approfondie jusqu’aux fondements de leur construction placés dans le double contexte politique et scientifique. »
Denis Retaillé, mars 2018. Denis Retaillé (coordination), L’Information géographique (1/2018). Spécial capes-agrég, Armand Colin, Volume 88, Mars 2018, p. 3.A quelques jours des écrits des capes-cafep et agrégations d’Histoire et de Géographie 2018, la parution de ce numéro de l’Information Géographique tombe à point nommé ! Sous la coordination de l’émérite Denis Retaillé Denis Retaillé est actuellement professeur en géographie culturelle et politique à l’Université Bordeaux-Montaigne et Directeur de l’UMR CNRS ADESS. Du milieu des années 70 au milieu des années 80, il a travaillé sur la disparition du nomadisme au Sahel. Armé des concepts de l’espace nomade et plus récemment mobile, il a ensuite abordé la question de la mondialisation jusqu’au moment où, depuis le milieu des années 2000, ses deux thèmes de prédilection se sont rejoints au Sahara. Denis Retaillé est rédacteur en chef de la revue française L’Information géographique. que l’on ne présente plus, ce numéro propose un éclairage original sur les questions aux concours d’enseignants 2018-2019 à travers sept articles rédigés par des spécialistes et ravira donc les aspirant.e.s aux passionnants métiers de l’enseignement.

Le premier article « Quelle est la nature de la géographie physique ? » écrit à deux mains par Hervé Regnauld Professeur de géographie physique et intervenant dans les préparations aux concours à l’Université Rennes 2, membre notamment du laboratoire COSTEL, UMR 6554. et Virginie Vergne Maître de conférences en géographie physique et palynologie à l’Université scientifique et technique de Lille 1, Virginie Vergne est membre fondatrice du GE, laboratoire TVES, EA 4477., propose d’explorer la « nature » en géographie et d’en faire un véritable « objet épistémologique contemporain » à travers ses multiples définitions. La nature désigne pour les auteurs, deux grandes catégories distinctes d’objets. En effet, si la distinction entre une « nature qui serait un objet culturel construit par le social » et « une nature qui serait un objet biophysique indépendant du social » Ibid. p. 10. peut s’entendre, les frontières sont parfois poreuses. Si tous les géographes « s’accordent sur le fait que la nature est objet d’étude pour la géographie, [tous] ne s’accordent pas au sujet du statut épistémologique de la nature : est-ce un discours, est-ce une réalité non discursive ? » Ibid. p. 11.. L’article s’attache à défendre cet objet géographique car si la géographie aujourd’hui est bien une science sociale et non naturelle, il ne faut pas simplifier à outrance cette distinction et appréhender celle-ci comme une science capable d’« étudier la spatialisation – évolutive et indéterminée – d’objets naturels et d’objets sociaux » Ibid. p. 4. avec tous les enjeux multiples qui en découlent.

Le second article, sous la plume d’Alexis Metzger ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) à l’ENS ULM, Paris, CERES, Auteur d’une thèse soutenue en 2014 : « Le froid en Hollande au Siècle d’or. Essai de géoclimatologie culturelle » Sous la direction de Martine Tabeaud., s’attache à analyser les réalités et les discours sur l’air (« objet géohistorique ») pendant l’histoire (de la Renaissance au début du XXe siècle), selon les lieux et les milieux. Cet article, à travers l’étude des aspects géographiques des discours sur l’air et des représentations sur l’objet, constitue une entrée tout particulièrement intéressante en vue d’un éventuel sujet de hors-programme à l’Agrégation de Géographie.

Dans le troisième article, Denis Retaillé analyse les définitions, les contours et les découpages traditionnels du « Sahel » et du « Sahara » en synthétisant près d’une quarantaine d’années de ses recherches et avec la volonté de déconstruire les idées reçues. Selon son hypothèse de l’espace mobile, c’est le « mouvement qui est premier dans la production de l’espace géographique » Ibid. p. 76.. Aussi, les questions des limites, des découpages, des frontières tracées parfois artificiellement, ont parfois des résonances dramatiques sur les espaces, les territoires et les sociétés qui les habitent, et doivent ainsi nécessairement être réinterrogées, repensées en prenant en compte d’autres phénomènes et d’autres échelles temporelles et spatiales. Dans le quatrième article intitulé « Frontières étatiques, frontières mobiles et rentes frontalières dans l’espace saharo-sahélien », Emmanuel Grégoire Directeur de recherche émérite à l’IRD, Centre d’études africaines (Paris), UMR Prodig. s’attaque au problème épineux de la question des frontières saharo-sahélienne que les « crises remettent régulièrement à la une de l’actualité » Denis Retaillé (coordination), L’Information géographique (1/2018). Spécial capes-agrég, Armand Colin, Volume 88, Mars 2018, p. 82.. En parallèle ou complément de l’article de Denis Retaillé, l’auteur analyse ces frontières et leurs remises en cause dans une perspective géohistorique et montre que celles-ci sont « le fruit de l’Histoire et non de la Géographie » Ibid. p. 96., qu’elles portent des enjeux (géo)politiques et économiques nombreux depuis leurs origines et que dans tous les cas « elles ne séparent plus » Ibid. p. 97..

Le cinquième chapitre écrit par Vincent Coëffé Maître de conférences en géographie à l’Université d’Angers (UFR ESTHUA Tourisme & Culture), UMR CNRS 6590 ESO-Angers. et Philippe Violier Professeur de géographie à l’Université d’Angers (UFR ESTHUA Tourisme & Culture), UMR CNRS 6590 ESO-Angers. s’intéressent au tourisme et plus précisément aux « géo-graphies du tourisme : [à la] construction d’un objet en quête de légitimité scientifique ». Par « géo-graphies » (V. COËFFÉ, 2005), les auteurs entendent « les manières différenciées d’écrire (autrement dit de représenter), les configurations spatiales produites par et à travers le phénomène touristique » Ibid. p. 100.. Après une analyse des contours, des discours et représentations sur l’objet et l’évolution des « lieux touristiques » à travers ces prismes, les auteurs s’intéressent tout particulièrement au tourisme comme phénomène urbain. Pour eux, tourisme et lieux touristiques sont des objets fondamentalement urbains, le tourisme serait : « un opérateur de transformation des lieux, notamment par urbanitisation Ibid. p. 124. » (la circulation d’urbanité, y compris hors de la ville au sens morphologique). Ce phénomène constituerait ainsi une entrée privilégiée pour analyser et comprendre les « singularités urbaines et les urbanités différenciées produites à travers la mise en tourisme des lieux » Ibid. p. 124..

Les deux derniers articles explorent la passionnante question de la France des marges posée aux concours depuis déjà deux ans  Dans le sixième article (« Les marges, une géographie plastique des territoires humains »), Bertrand Sajaloli Maître de conférences en géographie à l’Université d’Orléans, CEDETE EA 1210. et Étienne Grésillon Maître de conférences en géographie à l’Université Paris Diderot, LADYSS UMR 7533. reviennent sur les diverses et multiples publications dédiées à cette thématique restant pour les auteurs : « partiellement inexplorée, indécise et donc féconde mais litigieuse » Ibid. p. 129.. Si la géographie des marges invite à décentrer, voire retourner le regard et les représentations, elle permet de repenser le rapport à l’espace et à la société dans une perspective fondamentalement politique. Cette thématique offre un regard nouveau permettant d’appréhender les territoires français et leurs habitants dans toute leur complexité. Si la France des marges fait débat, « elle provoque, hérisse, enchante et aiguillonne. C’est en cela un beau sujet de géographie participative ! »Ibid. p. 140.. Dans le septième et dernier article de ce numéro, intitulé « La France des marges et le modèle républicain intégrateur des populations et des territoires. Quels enseignements tirer de la séquence électorale de 2017 ? », Frédéric Alexandre Professeur de géographie au Centre de Recherche Espaces, Sociétés, Culture, Université Paris 13. Directeur de l’EA 7338 Pléiade depuis janvier 2015.revient sur le lien entre la question et la « façon dont la géographique questionne l’espace français et la trajectoire des territoires qui le constituent » Ibid. p. 143.. Dans une perspective géohistorique, l’auteur interroge le rôle intégrateur du modèle républicain français des populations et des territoires à travers le levier des politiques publiques d’aménagement sensées corriger les inégalités territoriales. Dans la géographie scolaire, les marges ont été estompées alors même que les situations nationales et internationales se complexifient de plus en plus. Les catégories apparaissent ainsi simplificatrices, floues, ambigües et à déconstruire. La panne du « modèle intégrateur » serait ainsi à enrayer, à réinventer. Enfin, dans une perspective de géographie politique, l’analyse des résultats électoraux de 2017, permettent de mieux cerner la France des marges aujourd’hui à des échelles plus fines et donc plus précises.

En définitive, ce numéro de l’Information géographie, tombe à pic pour faire le point sur ses connaissances scientifiques sur les questions au programme des concours de l’enseignement 2017-2018. Il sera essentiel pour les candidat.e.s de l’acquérir et/ou de le consulter avant les oraux pour approfondir ou repenser certaines thématiques. Les articles, rédigés par des spécialistes, offrent une (re)lecture originale et fort plaisante de ces différents objets de la géographie contemporaine.

©Rémi BURLOT pour Les Clionautes