Vous cherchez un livre qui propose une géographie vivante, explicative et jamais manichéenne ? Ne cherchez plus : le livre de Thibaut Sardier est celui qu’il vous faut. L’auteur est un ancien professeur d’histoire-géographie, créateur de la chaîne YouTube « Le point géographie » et aujourd’hui journaliste à « Libération ». Multipliant les sujets et les échelles, il a écrit un livre qui offre un vrai plaisir de lecture et de culture.

Un livre aux multiples entrées 

Thibaut Sardier définit d’abord son projet : proposer une géographie actuelle, qui n’est pas  seulement une matière à quiz, mais aussi une géographie en lien avec l’actualité. Pour se prémunir de toute critique formelle, l’auteur précise qu’il se permet parfois quelques libertés sémiologiques tout au long des 30 entrées choisies. Une carte au début du livre permet de repérer les lieux explorés en France et à l’étranger. Une entrée type est ainsi structurée : une interrogation de départ, des cartes réalisées à la main, une approche à plusieurs échelles car chaque chapitre explore « un territoire familier de France métropolitaine et un autre plus lointain ». Cela permet de repérer des similarités et des différences dans la façon de considérer le problème, voire de le résoudre. On trouve des encarts pour préciser des notions géographiques ainsi qu’une rapide bibliographie à la fin de chaque entrée. La rubrique « esprit d’escalier » suggère des parcours possibles à l’intérieur du livre pour l’utiliser de façon non linéaire. Thibaut Sardier propose d’ailleurs six entrées mais tout est possible car une entrée comme celle sur le centre commercial s’intègre à la fois dans celle sur les territoires urbains et dans celle sur l’impact de notre consommation. On peut souligner aussi un fléchage en fin d’ouvrage en lien avec les programmes du secondaire.

Du côté du climat et de la nature 

Plusieurs entrées entrent dans cette rubrique dont la première sur les feux de forêts. L’auteur pose la question : « changement climatique …ou humain ? »  et il aborde un cas en Australie et un dans le Sud de la France. Il évoque un peu plus loin la question de la disparition des côtes et se demande si on peut « exporter la déforestation ». Cette entrée est très représentative de l’ouvrage puisqu’elle montre un état des lieux contrasté, loin des idées définitives et péremptoires. En effet, l’évolution de la surface forestière reflète les choix économiques de chaque pays. Thibaut Sardier évoque le cas de la forêt brésilienne et met en regard la situation française où la forêt ne cesse de gagner du terrain. Finalement, il faut relier les deux éléments pour comprendre que la déforestation est un des moteurs de la croissance brésilienne tandis que le reboisement de la France cache une augmentation des importations. On pourra s’arrêter également sur l’entrée consacrée à la géopolitique de la biodiversité avec, par exemple, le cas de la réintroduction du loup en France. C’est l’occasion de préciser la notion d’acteurs en géographie ainsi que de conflit. Une étude des années 2000 a montré que les très grands troupeaux encadrés par peu d’humains sont plus susceptibles d’être attaqués. Or ce type d’élevage correspond à un modèle agricole moins ancré dans son territoire local. On lira aussi une entrée sur les côtes avec un cas français et notamment celui des Seychelles. On peut noter que la côte de Lacanau-Océan a reculé de 200 mètres entre le XVIII ème siècle et 2010. Thibaut Sardier propose aussi une approche très critique sur la situation des Seychelles en remarquant que le pays a contribué à sa situation d’aujourd’hui en développant aéroports et hôtels. Il souligne également que pendant que l’on parle de ce problème qui touche les Seychelles on ne parle pas de sa situation de paradis fiscal. 

Les mobilisations citoyennes

On peut citer dans cette thématique l’entrée proposée sur les aéroports avec la notion de conflit d’usage avec l’exemple de Notre-Dame-des-Landes. On peut aussi évoquer celle sur les Jeux Olympiques qui montre le télescopage des échelles entre un évènement mondial et ce que peuvent vivre les habitants d’une ville ou d’un quartier qui accueille l’évènement. L’auteur développe le cas du quartier de Vila Autodromo où fut construit le parc olympique de Rio 2016. C’est devenu un lieu de la lutte contre les expropriations dans cette favela. Au total, et après plusieurs types de politiques qui oscillent entre séduction et menaces, ce sont seulement 20 familles qui sont restées là.  Une autre entrée est consacrée aux déchets. L’auteur s’interroge pour savoir si la solution ne se trouverait pas dans une gestion locale et citoyenne ? La France a exporté en 2018 14 millions de tonnes de déchets, soit trois fois plus qu’il y a 20 ans et ce, principalement, en direction d’autres pays européens qui ont les capacités de les gérer. Thibaut Sardier développe également le cas de Bafoussam, une ville camerounaise. Depuis 2006, la collecte a été confiée à une société privée qui collecte tous les types de déchets. Or en procédant ainsi elle «  prive les ramasseurs informels de matériaux qu’ils pourraient revendre ». 

L’impact de notre consommation sur les territoires du monde entier

De nombreux articles pourraient être classés dans cette rubrique et on peut s’arrêter  notamment sur le cas du centre commercial qui est un lieu emblématique de la mondialisation. Sous des dehors impersonnels, les géographes et sociologues ont montré que ce type de lieu était également un espace de sociabilité apprécié. On découvre aux Etats-Unis le cas du MOA, ou Mall Of America, avec ses 520 commerces et ses 40 millions de visiteurs par an dont un quart de touristes. Au passage, l’entrée est payante. On a renoncé à de tels projets en Europe comme le montre le cas d’Europacity. 

La perception de l’espace selon le sexe ou le niveau de richesse

L’auteur envisage le rapport des femmes aux transports en commun. Il montre comment Le Caire avait, bien avant le surgissement de la question du harcèlement, réservé des wagons aux femmes mais le dispositif varie selon les heures de la journée.  On lira aussi avec intérêt l’approche lyonnaise avec des ambassadrices chargées de repérer ce qu’il faudrait changer. L’intention semble louable mais on peut s’interroger tout de même sur le choix qui s’est porté sur deux lignes de bus hors du centre de la métropole.Thibaut Sardier aborde également la question de la ville gay. Il invite à ne pas réduire les territoires de l’homosexualité à quelques quartiers devenus souvent des porte-étendards comme anciennement Le Marais à Paris. Il montre aussi que les choses évoluent et que les « sensibilités gays peuvent s’affranchir plus facilement d’un lieu repaire ». 

Les territoires urbains

Un article est consacré aux nuits urbaines et montre le changement de visage qui se produit le soir. C’est notamment l’occasion d’expliquer et de développer la notion de gentryfication. La nuit a pour vertu de réunir des gens mais « au risque de mettre à distance celles et ceux qui n’ont pas les moyens de sortir ou qui n’adhèrent pas totalement à ces valeurs. » L’auteur s’interroge sur le modèle du Louvre- Lens qui avait notamment pour ambition de mettre la culture à portée de tous en espérant en même temps un effet Guggenheim. Le constat est clair : implanter uniquement un musée aussi réputé soit-il ne suffit pas. Que l’on regarde le profil sociologique ou les entrées, le succès est relatif. 

L’année 2020 avec l’oeil du géographe

Thibaut Sardier a conscience qu’aborder la question du confinement pourrait conduire à la saturation chez certains lecteurs mais les éclairages qu’il propose sont réellement intéressants. Il se livre par exemple à une auto-analyse de son appartement pour montrer comment il révèle qu’il est le fait d’un gentrifieur. Il prolonge cette question de l’habitat en se focalisant sur des populations comme les Inuits qui ont du passer de l’igloo à l’HLM. Parmi les thèmes qui occupent le débat, il y a celui des frontières à travers notamment l’exemple de celle qui sépare les Etats-Unis et le Mexique. Thibaut Sardier rappelle quelques chiffres : le mur version Trump vaut 10 millions d’euros du kilomètre et 300 décès y ont été enregistrés en 2019. 

Cet ouvrage est réellement passionnant et Thibaut Sardier propose des éclairages et des angles souvent différents qui permettent de remettre en cause ou en perspective certaines idées reçues. On a envie de lui suggérer d’écrire maintenant un tome deux ! 

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes