Les deux auteurs de cet ouvrage sont bien connus : le démographe Hervé Le Bras est l’auteur de nombreux livres dont « Les limites de la planète ». Quant à Emmanuel Todd, il a publié notamment « Après l’Empire » ou, plus récemment, « L’origine des systèmes familiaux ». Dans cet ouvrage, les deux auteurs se montrent très attachés à l’idée qu’il y a construction, ou pour reprendre leurs termes, invention de la France, tant la diversité est constitutive du pays.

Ce n’est pas pour eux une idée nouvelle, car il faut d’emblée préciser que cet ouvrage est une republication du livre de 1981, enrichi d’environ 40 pages. Le livre est composé par ailleurs de deux grandes parties : une anthropologie historique de la France, sorte de déclaration méthodologique de 90 pages puis des thèmes. Signalons également des annexes : deux sont à caractère technique, dont une sur l’utilisation de données numériques, puis de très nombreux tableaux statistiques, soit plus de 60 pages au total.

De la méthode avant toute chose…

L’objet de la première partie est donc de définir une certaine méthodologie. Les auteurs évoquent le rôle de l’anthropologie, de l’ethnologie en articulant l’apport de ces sciences par rapport à l’histoire. Ils définissent aussi un certain nombre de fondamentaux qui organisent la société, comme le poids de l’église catholique. Ils insistent beaucoup sur le poids des structures familiales en liaison avec des particularités et des fractures françaises.
On peut souligner le côté très pratique de cet atlas avec des titres qui permettent d’aller rapidement à l’information « mourir chez soi », « enfants naturels », « avortement »… ». Néanmoins, les chiffres sont ceux utilisés pour l’édition de 1981 : la société a tout de même changé depuis.

La France est diversité

C’est la thèse principale de l’ouvrage et les deux auteurs souhaitent souligner qu’il n’ y a jamais eu d’homogénéité, et selon eux, c’est sans doute pour cela que la volonté centralisatrice est forte en France. Ce serait une façon de compenser cette tendance à l’éclatement. Les auteurs réfutent le rôle de la révolution industrielle et mettent en avant cette diversité qui serait une exception française. Il faut aussi aller au-delà d’une simple opposition Nord-Sud à laquelle on penserait instinctivement.

Le choix cartographique

Il s’agit d’un choix clairement affirmé par les auteurs : « la carte est une façon de comprendre et de démontrer ». Ce parti pris est intéressant, mais le format de l’ouvrage et sa collection donnent au final des cartes un peu tristes, avec leur variation de noir, gris et blanc. Il ne s’agit pas de donner dans le « tout en couleurs », mais on peut quand même constater un léger décalage entre l’intention et la réalisation. Hervé Le Bras et Emmanuel Todd disent également que « la représentation est une mise en scène ». Dans le texte initial, qui parait étrange à lire aujourd’hui, ils soulignent l’intérêt de l’ordinateur pour aller plus vite. Cependant, ils invitent à ne pas être fasciné par la technique et au risque d’oublier de réfléchir. Les atlas d’Autrement, pour ne pas les citer, ont grandement renouvelé notre approche des phénomènes par des cartes. Aussi, cet ouvrage fait un peu pâle figure.

Des thèmes transversaux

Les auteurs ont organisé leur propos autour des thèmes suivants : les structures inconscientes, le mouvement des hommes, les trajets de la modernité, la politique, la présence de la mort. Ils cherchent à mettre en évidence des grands invariants comme la carte du divorce qui de 1922 à 1946 ou 1975 ne bouge pratiquement pas par rapport à 1896. Cet exemple est particulièrement emblématique des causalités qu’ils cherchent à distinguer. En effet, « au départ, la répartition initiale du divorce recoupe celle de l’industrialisation et de l’urbanisation ». Ces phénomènes se diffusent durant un siècle sur le territoire. Pourtant, les grandes tendances demeurent. Le facteur économique est donc clairement à minorer.
Quant à « naitre et habiter », on voit en revanche de nettes évolutions : en 1872, 8 % des Français résidaient en dehors de leur département de naissance, 20 % en 1911, 35 % en 1975.

Du nouveau : société saine et société malade

C’est la partie nouvelle du livre. Elle est consacrée au vote lepéniste. Les auteurs insistent en tout cas pour expliquer le vote lepéniste par une rupture de sociabilité qui fait que tout le monde est devenu un étranger pour l’autre.
On peut relever aussi l’aspect clairement engagé du livre, complété par les interviews données à l’occasion de la reparution de l’ouvrage. Hervé le Bras affirme ainsi dans une interview au Figaro :  » Sarkozy a détruit en profondeur la plupart des institutions qui maintenaient unis les Français ».
Trente ans après…..
Les auteurs ont donc choisi de republier l’ouvrage de 1981 avec un ajout. Ils ont aussi choisi de changer d’échelle pour cette partie supplémentaire, car le niveau communal leur semble aujourd’hui le plus pertinent. On pourra aussi (re)lire le compte-rendu qui était paru en 1981 par Pascal Perrineau et disponible sur Persee.
Même si les choses sont posées dès l’introduction, on peut tout de même être surpris par la non-actualisation des données. On pouvait imaginer une republication du texte avec quelques actualisations. Cela n’en aurait été que d’autant plus intéressant pour valider, nuancer certaines des remarques énoncées dès 1981.

Au total, le livre est intéressant par l’analyse sur le long terme qu’il propose de la société française. Il permet d’éviter une certaine myopie ou une focalisation excessive sur des thèmes. On n’en est que plus déçu de ne pas disposer de chiffres plus récents.

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