Tome 1 : L’invention de la virilité. De l’Antiquité aux Lumières,
La publication de cette Histoire de la virilité a été un des évènements éditoriaux de l’automne 2011. Elle a bénéficié d’une large couverture médiatique : compte-rendus dans les journaux, dans les magazines comme Sciences Humaines ou L’Histoire, émissions sur France Culture … Rarement il est vrai les historiens n’auront autant donné le sentiment d’interroger le passé à travers les interrogations du présent. L’évolution, la crise de l’identité masculine, comme le suggère le titre du troisième volume de la série, avec un prudent point d’interrogation tout de même, travaillent de façon suffisamment évidente nos sociétés pour qu’il ne soit pas besoin d’insister. Cette publication trouve cependant une autre justification ou en tout cas une autre source d’inspiration : elle résulte de l’introduction en France et dans les sciences historiques des Gender Studies.
Celles-ci ont inspiré d’abord l’histoire des femmes dès les années 1970 ; l’utilisation du mot « genre » lui-même est plus tardive : elle date seulement des années 2000 ZANCARINI-FOURNEL Michelle, « Histoires des femmes, histoire du genre », dans DELACROIX C., DOSSE F., GARCIA P., OFFENSTADT N. (sous la direction de), Historiographies. Concepts et débats, I, pages 208-219.. Elle est concomitante à l’application de la notion au premier sexe, pour reprendre le titre d’un des livres d’André Rauch, RAUCH André, Le Premier Sexe. Mutations et Crise de l’identité masculine, Paris, Hachette, 2000, 297 pages. ou, pour dire les choses autrement, à l’apparition d’une histoire des hommes. En effet, cela fait grosso modo une dizaine d’années que la question de la virilité et de l’identité masculine a émergé dans le champ historiographique français. A cet égard, la
publication, en 1999, de la traduction de l’ouvrage fondateur de George L. Mosse, L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, est sans doute un bon repère. MOSSE George L., L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Pocket, 1999, 250 pages.
Ce premier volume s’ouvre par une préface où les trois directeurs justifient le choix de la notion de virilité, plutôt que de masculinité en particulier, en la définissant : « La virilité est marquée par une tradition immémoriale : non simplement le masculin, mais sa nature même, et sa part la plus « noble », sinon la plus achevée. La virilité serait vertu, accomplissement » (page 7) et plus loin : « C’est bien cette transformation de l’idéal viril dans les sociétés que retrace ce livre : cette attente de perfection, ce modèle d’ascendance et de domination s’infléchissant lui-même selon les cultures et les temporalité » (page 8).
Le tome 1 de L’histoire de la virilité couvre un champ historique très étendu : une centaine de pages est consacrée à l’Antiquité et au Moyen Age, la période moderne occupant le reste de l’ouvrage. Il est aussi, faute de place et/ou d’auteurs compétents sans doute, européo-centré ou occidentalo-centré. L’Antiquité se limite sans surprise à la Grèce et à Rome. Georges Vigarello nous amène bien en Amérique mais c’est pour montrer comment les Européens s’interrogent sur la virilité des Indiens et en contre-point sur leur propre virilité : « La découverte d’êtres et de corps « nouveaux » sur les terres d’Amérique à la fin du XVe siècle instaure pour la première fois un jeu sans fin entre modèles et contre-modèles. Altérité dépréciée ou altérité valorisée, le jugement européen parle systématiquement de lui-même : une excellence physique et morale de l’homme se précise avec le temps, selon ce regard porté sur l’ailleurs, une image de la virilité aussi. Le repère du sauvage peut alors dire plus qu’il n’y paraît sur ce qui est attendu de l’homme « parfait ». » (page 399). C’est donc bien à la découverte de l’invention du modèle occidental de la virilité que nous invite la lecture de premier volume de L’histoire de la virilité.
Quinze auteurs, dont des « non historiens », en particulier des spécialistes de la littérature, ont été mobilisés pour traiter le sujet. Le plan, outre le découpage chronologique, renvoie pour une bonne part aux sources disponibles d’une part et à la diversité sociale des modèles de virilité d’autre part. La littérature et les
arts plastiques nourrissent de nombreux développements ; Maurice Sartre, pour la Grèce antique, a fréquemment recours à Aristophane tandis que Jean-Paul Thullier cite à maintes reprises Juvénal et encore plus Martial pour évoquer les « virilités romaines. » Pour l’époque moderne, certains chapitres, écrits par des « non historiens », s’attachent à montrer le regard porté sur la virilité par le théâtre, la peinture ou la fiction. On notera aussi une contribution rédigée par Rafael Mandressi à partir des représentations médicales de la virilité. Celles-ci
passent notamment par l’anatomie : « La « vertu virile » entendue comme capacité d’engendrer ou même d’avoir la « compagnie d’une femme » ne suffit pas. L’anatomie stricto sensu , dans ce qu’elle a de plus simple et de plus brut, doit apporter ses « marques. » D’où l’appellation de « témoins », dont Jan Palfijn (1650-1730) […] et Louis Leméry (1677-1743) […], entre autres, hasardent une étymologie : les testicules sont « nommez en latin testes, parce qu’ils sont les témoins de la virilité ». » Pour l’époque moderne en particulier, les auteurs
donnent à voir par ailleurs la diversité sociale des modèles de virilité : Jean-Marie Le Gall présente « la virilité des clercs », Stanis Perez montre comment Louis XIV a pu vouloir incarner la « virilité absolue » tandis qu’Arlette Farge examine les « virilités populaires » à l’époque des Lumières.
L’ensemble des contributions est enfin traversée par des thématiques que l’on pourrait qualifier de transhistoriques dès lors qu’on s’intéresse à la virilité. Sans être exhaustif, on peut citer : la guerre et la nécessité du courage, la violence, la sexualité, l’éducation à virilité et la contrainte sociale que représente la nécessité de se conformer au modèle viril tant au plan physique que moral ; il faut avoir un corps viril et adopter un comportement viril. A défaut de pouvoir développer l’ensemble de ces thématiques dans ce compte-rendu, je me contenterai d’exemples : Maurice Sartre consacre ainsi de longs développements à l’éducation des jeunes garçons à Athènes et à Sparte, avec la fameuse agogè, qui ne sont pas sans faire écho aux pages de Hervé Dévrillon sur la formation dispensée aux jeunes gens dans les académies équestres à l’époque moderne, même si ces académies illustrent par ailleurs l’inflexion introduite dans l’histoire de la virilité par la modernité et l’essor de la civilisation des mœurs comme l’explique George Vigarello en introduction à la partie du volume consacrée aux XVIe et XVIIe siècles. Arlette Farge se demande si virilité et violence forment un « couple indissociable » au XVIIIe siècle dans les milieux populaires, en particulier dans les rapports entre hommes et femmes. Elle montre ainsi que la domination masculine se traduit alors par un niveau de violence déconcertant à nos yeux tout en rappelant que la violence est prégnante dans l’ensemble de la vie quotidienne des classes populaires du siècle des Lumières.
Avec ce tome 1 de L’histoire de la virilité, nous disposons donc d’un ouvrage de référence et d’une grande richesse. Il peut être susceptible de renouveler une partie de nos cours ; je pense en particulier à l’étude des portraits de Louis XIV ou des tableaux le présentant en roi de guerre qu’on ne peut plus mener exactement de la même manière après avoir lu le chapitre que Stanis Perez lui consacre.
Thomas Figarol ©