Les deux auteurs ont précédemment écrit « Atlas du Moyen-Orient » déjà chez Autrement, mais cette fois ce livre s’inscrit dans une collection « d’essais illustrés de cartes et d’infographies en couleurs ». C’est donc en quelque sorte une vision plus personnelle, plus sélective. Si le propos intéresse, la cartographie proposée interroge.

Leur propos est organisé en deux parties et ils choisissent dans la première de mettre l’accent sur les années 20, en parlant pour cette période et pour la zone « d’accouchement traumatique ». La seconde partie propose une approche sur un temps plus long autour de plusieurs thématiques.

L’empreinte des années 20

Les auteurs entament logiquement leur propos en montrant combien les frontières dans la zone ont été imposées et ils soulignent à ce titre le rôle des Anglais et des Français. Le chapitre concerné rappelle les logiques stratégiques de chaque pays et s’attarde sur les accords Sykes-Picot. On découvre ensuite comment les deux grandes puissances d’alors ont instrumentalisé les communautés pour asseoir leur domination et se sont livrées à des promesses souvent contradictoires. Souhaitant tracer des liens entre les époques, les auteurs renvoient parfois à des chapitres ultérieurs de leur livre. Dans un deuxième temps, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud démontrent combien les élites locales ont été manipulées ou isolées selon les circonstances. Les grandes puissances ont eu tendance à s’appuyer sur les minorités. A l’inverse, les auteurs développent le cas de Chérif Pacha, l’homme qui représenta les Kurdes à la conférence de Paris, pour montrer son isolement dans les négociations. La conclusion des auteurs est sans appel : « d’un côté des minorités soutenues par l’une des deux puissances impériales et, de l’autre, des peuples, les Arabes, les Kurdes et les Arméniens, dont les exigences nationales sont ignorées. Rien d’étonnant alors que des révoltes jaillissent ici et là. Elles seront toutes écrasées ». C’est ce thème qui fait d’ailleurs l’objet du troisième chapitre où est souligné le fossé entre des leaders qui parlaient un langage nationaliste et une société traditionnelle.

Des trajectoires funestes

Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud insistent alors sur la trajectoire de plusieurs Etats, à savoir l’Irak, la Syrie et le Liban. Ils choisissent d’essayer de montrer des points communs malgré les différences. Parmi les ressemblances, il y a évidemment la période coloniale et les auteurs parlent à son propos d’ « hystérèse », c’est-à-dire que le système demeure dans un certain état alors que la cause qui a produit le changement a cessé ». Les auteurs se focalisent ensuite sur les Palestiniens et les Kurdes, les grands « perdants du découpage territorial des années 20 ». Leur combat politique a été marqué des mêmes étapes, à savoir « affirmation, coercition et division ». Les territoires revendiqués par les Palestiniens ne représentent plus que 22 % de la Palestine de 1947. Enfin, le sixième chapitre est dédié au jeu des acteurs extérieurs intitulé ici « des ingérences dévastatrices ». Le livre aborde la position des Etats-Unis, de la Russie, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, ce qui permet de varier les effets d’échelle. A chaque fois, il s’agit d’expliquer le pourquoi de cette ingérence.

Des cartes et des infographies peu utiles et peu convaincantes

Une des particularités de la collection « Angles et reliefs » est de proposer, comme le rappelle d’ailleurs la quatrième de couverture, des « cartes et infographies en couleurs ». Il faut dire que celles proposées dans ce volume se révèlent souvent peu convaincantes. On a parfois l’impression que certaines sont proposées afin d’atteindre le chiffre fatidique de trente. Plus gênant, certaines cartes se révèlent peu utiles. A la page 24 « le territoire revendiqué par Hussein » offre le visage et le corps de Hussein sur la péninsule arabique sans qu’on en voit bien l’intérêt. Mais, ce qui est plus gênant, c’est que de nombreuses cartes ne sont pas situées dans un ensemble plus vaste ce qui en gêne considérablement la lecture. C’est d’autant plus étonnant que d’autres cartes de l’ouvrage le proposent. Enfin, l’infographie sur « le lobby pro-israélien aux Etats-Unis » prête pour le moins à confusion avec un lobby pro-israélien autour duquel gravitent certes des organismes, mais qui surtout surplombe par une flèche le Congrès américain et le Président américain ! Pour finir, on pourra aussi être sceptique sur la représentation sous forme de poissons et de bateaux qu’on pensait reléguée aux vieux livres de géographie.

En conclusion, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud avancent deux idées fortes : ils plaident pour une non-intervention des puissances extérieures et pour que soit réaffirmée « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force ». Il est vraiment dommage que le propos très intéressant des auteurs soit à tempérer du fait de propositions cartographiques parfois hasardeuses. Il faut néanmoins souligner la volonté de Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud de proposer des grilles d’analyse qui, tout en respectant les spécificités des pays de la zone, veulent offrir des cadres de lecture pour analyser la situation de la zone.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes