La Corée du Nord revient régulièrement sur le devant de la scène et les quelques semaines qui viennent de s’écouler valident bien cette affirmation. Pourtant, que sait-on vraiment de ce pays ? Juliette Morillot, coréanologue qui a effectué de nombreux voyages dans le pays, ainsi que Dorian Malovic, chef du service Asie au quotidien « La Croix », proposent une approche de ce pays sous forme de réponses à 100 questions.

Celles-ci sont réparties en sept chapitres : histoire, politique, géopolitique, réalités, économie, société et culture, propagandes. Le dispositif du livre peut être parfois un problème avec un sentiment de redite comme entre l’article 34 et l’article 39. D’autres argueront qu’ainsi chaque entrée se suffit à elle même et qu’une lecture linéaire n’est absolument pas obligatoire : à chacun de trancher.

Halte aux idées reçues !

Les deux auteurs consacrent les premières pages à mettre en garde le lecteur sur des images figées de la Corée du Nord. Pour eux, la Corée du Nord est trop souvent résumée à un pays sous-développé mené de main de fer par un fou. Or, à les lire, on a parfois l’impression de découvrir un autre pays, comme une version actualisée de la Chine de 1978. Le pays semble en effet osciller entre ouverture économique et domination politique exclusive du parti communiste, le tout quand même avec des spécificités nord-coréennes. Cela conduit les auteurs à utiliser des formules comme le fait que le défi pour le pays est de « savoir répondre aux aspirations de cette nouvelle génération et lui offrir un monde stimulant à la hauteur de ses rêves sans toutefois perdre le pouvoir. » On croirait parfois lire une analyse sur la situation du Parti communiste chinois. Parmi les autres idées à réviser, les auteurs soulignent que, sur plusieurs aspects, il n’est pas forcément pertinent de convoquer la coupure Nord Sud car il existe un socle civilisationnel coréen.

Une histoire à découvrir et dont il faut tenir compte

Treize questions et leurs réponses sont à découvrir dans cette première partie. Parmi les points à considérer pour comprendre le pays, il y a sans doute le fait qu’il n’y a pas eu un « siècle de l’histoire coréenne sans déferlement de troupes ennemies à travers le territoire ». Plus récemment, il faut insister sur la colonisation japonaise qui a duré de 1910 à 1945 ainsi que la mémoire qu’il en reste. Par l’anecdote, les auteurs font saisir le traumatisme de cette période. En effet, ils racontent que bien des vieux Coréens tournaient encore il y a peu la tête pour faire du calcul mental afin qu’on ne voit pas qu’ils calculaient en japonais. Plusieurs questions sont ensuite consacrées à la guerre de Corée en soulignant quelques faits marquants. Si les combats ne durèrent qu’une année, le bilan humain est impressionnant et controversé. Quant à la bien mal nommée zone démilitarisée ou DMZ, elle est, avec ses 907 kilomètres carrés, totalement à l’écart de toute intrusion humaine ce qui a d’ailleurs transformé le lieu en « véritable paradis pour la biosphère ».

Politique et géopolitique

Ces deux parties représentent 38 questions-réponses. La deuxième partie dresse notamment les portraits des dirigeants de la dynastie nord-coréenne. C’est l’occasion de préciser les particularités de chacun et donc de s’éloigner d’une vision trop monolithique. Chacun est à comprendre avec son temps. Kim Il-sung s’inspira de la politique stalinienne dans ce qu’elle avait de pire. Les deux auteurs cherchent ensuite à nous faire comprendre la « mentalité » nord-coréenne en se penchant par exemple sur le « juche », que l’on pourrait traduire par « l’indépendance politique ». Autre terme à maitriser, le « songun » qui désigne la priorité donnée à l’armée. La question 21 permet d’aborder la famine de 1995 qui a causé sans doute 1,5 million à 2 millions de morts. Les auteurs ont choisi également d’insérer des témoignages comme celui de Mun Halmeoni qui témoigne justement sur cette famine. Ce procédé est utilisé à plusieurs reprises de façon intéressante. Le tour d’horizon est vraiment complet et permet de répondre à des questions que l’on se pose comme la question de la sincérité des larmes lors des deuils officiels. Pour le comprendre, il faut considérer que le dirigeant nord-coréen est davantage un père qu’un homme politique. Kim Jong-un a droit évidemment à un portrait qui souligne sa formation. Les auteurs remettent en cause aussi le fait que les décisions ne sont que de son fait. Ri Sol-ju tranche aussi car la première dame nord-coréenne marie tradition et modernité jusque dans son vêtement.
La partie sur la géopolitique développe longuement la question du nucléaire. On pointera un article particulièrement éclairant, le numéro 34, qui donne les grandes séquences historiques autour du nucléaire de 1985 à aujourd’hui. Les auteurs veulent démonter l’idée reçue que les dirigeants nord-coréens sont fous et insistent pour dire que c’est une grille d’analyse paresseuse et fausse. Ils reviennent ensuite sur la question des citoyens japonais enlevés par la Corée du Nord qui demeure une question épineuse entre les deux pays.

Quelle est la réalité de la société nord-coréenne aujourd’hui ?

Pour en savoir plus sur cet aspect, on peut regrouper trois parties de l’ouvrage successivement consacrées aux réalités, à la société et culture et aux propagandes. Les auteurs abordent évidemment la question des camps en Corée du Nord en livrant là aussi un extrait d’un témoignage. Il y aurait encore une demi-douzaine de camps de travail avec 100 000 personnes à l’intérieur. Plusieurs autres questions sont consacrées à celles et ceux qui fuient, ou tentent de fuir le pays. On soulignera comme particulièrement utile la question 66 « Quel est le cycle des provocations nord-coréennes ? » qui donne un résumé particulièrement éclairant sur un « mécanisme saisonnier bien rodé » comme le qualifie les auteurs.
L’aspect le plus surprenant concerne la vie quotidienne car Juliette Morillot et Dorian Malovic insistent pour dire que Pyongyang en 2017 n’a plus rien à voir avec la capitale en 2000. De plus, ce changement n’affecterait pas que cette partie du pays. Les auteurs expliquent précisément un point peu connu comme internet à la façon nord-coréenne ou le système du téléphone portable avec trois réseaux différents.
La dernière partie sur la propagande est très intéressante en donnant une liste de proches du régime censés être morts dans des circonstances atroces et qu’on a vu réapparaitre ensuite. Plus décontenançants, les passages sur le business que représentent les témoignages de certains qui arrivent en Corée du Sud. Plus les témoignages sont terrifiants plus ils sont rétribués en Corée du Sud.

Une économie en pleine transformation

Dix questions sont consacrées aux aspects économiques, même si on a pu rencontrer ce thème à travers d’autres parties comme celui sur la vie quotidienne. Le thème n’est pas évident et les auteurs parlent de « data free zone » c’est-à-dire que les statistiques sont inexistantes. L’économie nord-coréenne vit depuis une dizaine d’années une véritable métamorphose et les auteurs montrent que le modèle capitaliste s’est imposé dans plusieurs domaines comme la restauration ou les transports urbains. La question 78 s’interroge pour savoir si «  Des zones économiques spéciales existent en Corée du Nord ? ». Sachez qu’il y en a vingt deux aujourd’hui dans tout le pays. Kim Jong-un a donné la priorité absolue au développement économique dans une logique qui rappelle donc la Chine de la fin des années 70.

Reconnaissons au livre le fait de surprendre, voire de décontenancer dans un premier temps. Mais, au fur et à mesure de la lecture, Juliette Morillot et Dorian Malovic donnent à mieux comprendre quelles peuvent être les logiques de ce pays. Quelques articles sont particulièrement éclairants et le livre permet une approche complète sur un pays encore peu connu.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.